J'ai évoqué la création de la prime à la vache allaitante en 1978. Les agriculteurs ont été spécialisés dans l'exportation de broutards, au détriment d'une production qui aurait été transformée chez nous. Nous vendions des broutards, notamment en Italie, pour qu'ils aillent s'y faire engraisser, et nous importions des arrières d'Allemagne. Cette pratique a perduré assez longtemps. Les habitudes de consommation ont beaucoup évolué. La moitié de la viande bovine est aujourd'hui consommée sous la forme de steaks hachés. Faire évoluer la filière de production n'est pas aussi simple car cela réclame des délais longs avec le développement d'un certain nombre de savoir-faire. Il faut alors prévoir une adaptation du monde agricole et des outils. La concentration des outils de transformation n'est pas forcément une bonne chose. C'est mon opinion personnelle. Des abattoirs et des outils de transformation se retrouvent à la peine. Presque tous les établissements se trouvent rassemblés dans les mains d'un opérateur unique. Cela peut engendrer divers problèmes, notamment en termes d'adaptation aux habitudes de consommation locales.
Je pense que la souveraineté alimentaire peut être obtenue très rapidement et que ce n'est donc pas une véritable problématique pour la filière. Là-dessus nous sommes d'accord.
En revanche, nous assistons à une réelle désaffection, notamment de la part des jeunes, pour l'élevage bovin. Un élevage de charolais est présent sur ma commune depuis trente ans. Il participe à des concours parisiens tous les ans et il obtient souvent le premier prix. Sur les quatre fils qui reprennent l'exploitation familiale, deux d'entre eux souhaitent arrêter l'élevage car les conditions de vie sont trop contraignantes. Ils préfèrent se reconvertir dans la culture. Les problématiques de revenus découragent certains jeunes, tandis que la nécessité de maintenir une présence tous les jours de l'année est très contraignante. Les exploitants peinent à trouver des remplaçants lorsqu'ils souhaitent partir en congés. Faibles revenus et conditions de vie difficiles, ajoutons à cela un peu d' agribashing … Je sais d'où vient le message selon lequel les vaches polluent trop peu de voix ne se sont élevées pour dire qu'il était intéressant de produire de l'herbe dans notre pays. La filière de l'élevage, notamment en plein air et à l'herbe, est en réel danger.
Il y a quinze jours, j'ai rencontré un ingénieur en agronomie qui travaille à une thèse sur les élevages bovins, charolais notamment. Sa première conclusion est que la concentration de la production ne garantit pas l'amélioration des revenus, bien au contraire. Au-dessus de soixante-dix vaches allaitantes, il a constaté une décroissance des revenus qui n'est compensée que grâce aux primes. Il n'existe donc pas de phénomène d'économie d'échelle, bien au contraire.
Il faut que nous prenions le temps d'analyser certains schémas. Le problème de la filière bovine, et dans une moindre mesure ovine, est celui d'un individualisme assez exacerbé. La contractualisation apparaît pour le moins compliquée. J'ai vu des coopératives expliquer aux agriculteurs que s'ils s'engageaient à leur livrer cinquante broutards, et que si finalement ils n'en produisaient que quarante-huit, il leur faudrait en trouver deux autres pour compenser. Les agriculteurs n'ont alors pas voulu contractualiser. Les négociants ont eu le même type de comportement. Ce qui est choquant, c'est que les coopératives le fassent, car elles ont plutôt vocation à structurer l'organisation de la filière. La contractualisation ouvre alors des possibilités.
Je pense que les abattoirs locaux – modernisés bien entendu – sont importants pour garantir l'adaptation locale. La consommation chez les bouchers – qui ont en partie disparu – ne redémarrera pas seulement avec Bigard. La production de steaks hachés est possible avec des produits qui ne sont pas forcément du soja. Nous avons besoin de travailler à ce niveau-là également.
Se pose également la question de la consommation des collectivités publiques. Les appels d'offres visent à sélectionner le fournisseur le moins cher, sans prendre en compte la qualité ni l'organisation de la filière. Un produit de qualité n'est pourtant pas plus onéreux si, en fin de compte, il est mieux consommé et moins gaspillé. En achetant un produit un peu plus cher, et donc en valorisant la production agricole au passage, on s'y retrouve en termes de consommation. Il faudrait donc réorganiser l'ensemble de la filière. Certaines coopératives jouent parfaitement leur rôle quand d'autres ont tendance à en dévier. Quant aux négociants, assez logiquement, ils ne souhaitent pas contractualiser.
Je pense que nous pouvons atteindre l'autosuffisance alimentaire dans cette filière sans trop de difficultés, mais je pense aussi qu'il ne faut pas négliger la question des revenus.