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Intervention de Marisol Touraine

Réunion du mercredi 22 mai 2024 à 16h00
Commission d'enquête sur les difficultés d'accès aux soins à l'hôpital public

Marisol Touraine, ancienne ministre des affaires sociales et de la santé :

Je vous remercie de votre invitation à venir m'exprimer devant vous, au titre de mes fonctions de ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes entre 2012 et 2017.

Je souhaiterais tout d'abord insister sur trois éléments de contexte.

Premièrement : j'ai toujours éprouvé un attachement très fort pour le monde hospitalier, qui s'explique en partie par des raisons strictement personnelles – puisque je viens d'une famille qui compte de nombreux médecins hospitaliers – mais aussi par des raisons politiques. Je considère en effet que l'hôpital public porte des valeurs qui sont celles de la République : l'excellence sociale et l'excellence médicale. C'est cet alliage quasiment unique au monde qui en fait la force et l'identité. Notre hôpital soigne tout le monde, à toute heure, sans exception ni condition de revenus. C'est cet hôpital qui, aujourd'hui encore, fait barrage à l'émergence d'une médecine à deux vitesses. Ma conviction, lorsque j'étais ministre, était que ces valeurs, auxquelles je reste profondément attachée comme citoyenne, nécessitent des choix assumés. Le soir même de ma nomination, je me suis rendue à l'hôpital Delafontaine, à Saint-Denis, pour marquer d'emblée mon engagement pour les hôpitaux publics dans les zones en tension.

Deuxièmement : en 2012, l'hôpital souffrait de la blessure qu'avait constituée la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi « HPST », qui avait donné aux professionnels le sentiment d'être mal reconnus – voire méprisés. L'instauration de la convergence tarifaire, qui traitait de la même façon le secteur public et le secteur privé sans considération pour les missions spécifiques de l'hôpital public, avait exacerbé les tensions. Mon action a donc visé, d'abord, à rétablir la confiance et à exprimer aux agents hospitaliers la reconnaissance de l'État.

Troisièmement : je puis affirmer, au titre de mes fonctions de présidente d'Unitaid – une organisation multilatérale basée à Genève, qui œuvre pour l'accès à la santé dans les pays à bas revenus ou à revenus intermédiaires – que, si les débats sur la pénurie de personnels sont très vifs en France, cette pénurie est en réalité mondiale, visible dans les pays riches comme pauvres. On l'observe aux États-Unis, en Allemagne et au Danemark, notamment, soit trois pays dont les modèles d'organisation et de financement diffèrent. Elle est pesante dans la quasi-totalité des pays du Sud, où elle constitue un frein à l'instauration de la couverture sanitaire universelle et à la garantie d'un accès à la santé de base.

Ces réflexions sont internationales et ont fait l'objet de nombreux rapports de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Le dernier concernant l'Europe date de septembre 2022 et a mené à l'adoption de la déclaration de Bucarest du 22 mars 2023. Je ne dis pas que nous ne pouvons rien faire – au contraire, nous pouvons et devons agir – mais que nous sommes face à des mécanismes qui dépassent le seul cadre français et qui doivent, au minimum, nous amener à faire preuve d'humilité, aussi bien dans les diagnostics et les critiques que dans la mise en œuvre des solutions.

Après ces remarques introductives, je souhaiterais vous présenter les éléments clés de la politique que j'ai menée vis-à-vis de l'hôpital, autour de trois thèmes : la reconnaissance de la spécificité de l'hôpital public et l'évolution de son financement ; le développement d'une politique résolue d'attractivité et d'ancrage dans les territoires ; la volonté de structurer une politique d'engagement de l'État.

Cette politique s'est inscrite dans le « Pacte de confiance pour l'hôpital », dont les travaux avaient été lancés en 2012, dans la stratégie nationale de santé adoptée au printemps 2013 – c'était la première fois que l'on adoptait une telle stratégie globale de santé – puis dans la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016, qui avait fait l'objet de débats au cours des deux années précédentes. Parallèlement, diverses dispositions ont été adoptées dans les cinq de lois de financement de la sécurité sociale votées alors que j'étais ministre.

Dès 2012, j'ai considéré qu'il fallait marquer clairement et assez solennellement la reconnaissance de l'État pour l'hôpital public. Cela s'est d'abord fait par la réintroduction du « service public hospitalier » dans la loi. La mesure n'était pas seulement symbolique ; elle visait à reconnaître que le service public hospitalier est une garantie pour les Français. Le service public, c'est un ensemble qui ne peut pas être « saucissonné » en différentes missions, comme cela avait été le cas dans la loi HPST.

C'est parce qu'il y a un service public hospitalier cohérent et global qu'il doit y avoir un financement spécifique. J'ai ainsi mis fin à la convergence tarifaire dès 2012. Je ne veux pas m'immiscer dans le débat actuel sur les tarifs entre les différents secteurs, car je n'ai pas les éléments pour le faire. Je veux simplement indiquer que, dès 2012, la rémunération des missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (Migac) a été revalorisée et qu'il m'a paru important qu'à la reconnaissance du service public hospitalier corresponde un financement particulier. Au cours des cinq années de mon mandat ministériel, le positionnement de l'hôpital public s'est renforcé et ses parts de marché, si je puis dire, ont progressé, avec 700 000 séjours de plus, soit une augmentation de 6 %.

Le troisième élément de reconnaissance de l'hôpital public, c'est la sortie du « tout-T2A » instauré au début des années 2000. Si elle existe dans tous les pays comparables à la France et qu'elle a permis une meilleure allocation des ressources, la tarification à l'activité s'est incontestablement accompagnée d'une très grande complexité administrative et elle a constitué, en tout état de cause, un facteur de crispation entre les soignants et les personnels administratifs. C'est pourquoi j'ai enclenché un mouvement de réforme qui s'est révélé irréversible, en instaurant d'abord un financement pour les activités isolées, puis un financement à la qualité et, à partir de 2016, un financement spécifique pour les activités de médecine des hôpitaux de proximité – un financement qui a concerné 250 établissements, soit environ 25 % des hôpitaux.

Le rapport confié à M. Olivier Véran, alors député, a permis d'amplifier le mouvement : une réforme du financement des soins palliatifs, de la médecine ambulatoire et des soins critiques a été inscrite dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017. La transformation du financement des parcours et de la recherche était l'étape suivante. Elle supposait de trouver des modalités pour articuler la rémunération des professionnels libéraux et celle de l'hôpital dans le cadre de parcours cohérents. Des travaux avaient été lancés en ce sens.

Dernier point sur la reconnaissance de l'hôpital public : si des moyens considérables ont été mis au service de l'ambition hospitalière, je ne rougis pas de dire que je me suis aussi préoccupée des comptes sociaux. Je considère qu'un gouvernement qui ne s'en préoccupe pas ne répond pas à sa mission. Face à des systèmes sociaux durablement déficitaires, vient un moment où certains proposent de les remettre en question et de remettre en cause leurs équilibres. Ce n'est pas parce que l'on met de l'ordre dans une maison que l'on veut en saper les fondements. La politique de redressement des comptes que j'ai menée et qui a laissé la sécurité sociale à l'équilibre à mon départ s'est faite sans jamais franchir les lignes rouges que j'avais fixées : le reste à charge des patients a diminué ; l'hôpital public a accueilli tous les patients qui en avaient besoin, d'où qu'ils viennent et quelle que soit leur nationalité.

Malgré des contraintes économiques réelles, je n'ai cessé d'afficher mon soutien à l'hôpital – ce qui m'a d'ailleurs été souvent reproché, y compris à Bercy et entre ces murs. Je vous renvoie à cet égard aux débats sur les projets de loi de financement de la sécurité sociale successifs. En 2012, votre ancien collègue Jean-Pierre Door déclarait ainsi : « En ce qui concerne les soins hospitaliers, vous tournez manifestement le dos à toute évolution, au nom de la défense de l'hôpital public. À notre sens, c'est une grossière erreur de stopper la T2A. » En 2014, il disait encore : « Des gisements considérables d'économies existent, en particulier dans les hôpitaux. » Monsieur Bernard Accoyer, président de l'Assemblée nationale entre 2007 et 2012, affirmait, quant à lui, en 2015 : « La France est en surcapacité de lits hospitaliers publics. » En 2016, il ajoutait : « Chacun le sait, il y a plusieurs dizaines de milliers de lits hospitaliers aigus en trop. »

Concrètement, le soutien financier aux hôpitaux a été assurée. J'indiquerai seulement que la progression de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) a été de 2,1 % en moyenne sur la période avec une inflation moyenne à 0,5 %, soit une progression réelle de 1,6 %. Entre 2018 et 2019 et entre 2022 et 2024, en excluant donc volontairement la période de la covid-19, l'évolution nominale de l'Ondam hospitalier a été de + 3,9 %. L'inflation moyenne s'étant élevée à 3,1 %, l'évolution réelle a été inférieure à celle de la période au cours de laquelle j'étais aux responsabilités.

Le personnel hospitalier – contrairement à ce que j'entends parfois – a augmenté pendant cette période de 56 000 personnes, dont 36 000 soignants. Des revalorisations salariales sont intervenues, même si elles n'ont certainement pas été suffisantes et ont souvent pris la forme de primes – une augmentation de 480 euros nets par an, par exemple, pour les personnels de catégorie C. Des investissements ont été réalisés et seuls les lits de chirurgie ont diminué, en raison du développement de la chirurgie ambulatoire.

En 2012, tout le monde considérait que la grande réforme à mener était d'ancrer l'hôpital public dans les territoires. Je crois que cette analyse était juste. Pour cela, il fallait renforcer les liens entre l'hôpital et la médecine de ville et favoriser le développement de la chirurgie ambulatoire, qui était très en retard en France par rapport aux pays d'Europe du Nord. En 2011, il y avait 36 % de chirurgie ambulatoire ; en 2016, on a atteint 55 %.

Il y a eu 700 lits supplémentaires en médecine. Le nombre de lits de soins critiques est passé de 18 200 à 19 300. C'est une période où, contrairement à ce que l'on a pu imaginer, il y a eu une relative stabilisation du nombre de lits, après une période marquée par une très forte baisse et avant une période où la baisse s'accélère. Entre 2013 et 2017, le nombre de lits a baissé de 3 %, soit de 13 500 unités, alors qu'au cours de la période précédente, ce sont 38 000 lits qui ont été supprimés, la baisse atteignant ensuite 26 000 lits. Il faut donc mettre les choses en perspective.

Le deuxième thème sur lequel je veux insister, c'est l'ancrage dans les territoires. Mon raisonnement a été de considérer que, pour renforcer l'attractivité de l'hôpital et son rôle, il fallait l'ancrer dans les territoires et que cela se ferait par le biais d'une politique de valorisation des parcours de soins.

La stratégie pour favoriser l'attractivité a consisté à revoir les mécanismes de gouvernance et à mettre en place des plans spécifiques pour attirer les professionnels à l'hôpital, dans tous les hôpitaux – en particulier, ceux de proximité – et dans toutes les spécialités, par le biais d'une valorisation, y compris financière. L'engagement des praticiens hospitaliers dans des spécialités sous-dotées ou dans des territoires en manque d'hôpitaux a été valorisé – il y avait même un cumul de ces valorisations, lorsqu'ils s'engageaient dans des spécialités sous-dotées dans des territoires sous-dotés. Toute une série de mesures d'attractivité ont été prises.

Nous avons aussi créé de nouvelles formes d'organisation de l'offre de soins, au service des territoires. C'est le sens de la stratégie nationale de santé, qui s'appuie sur deux piliers : le virage ambulatoire, d'une part, et les groupements hospitaliers de territoire (GHT), d'autre part. C'est ensemble qu'il faut lire ces deux réformes.

Toute une série de décisions et de réformes ont été engagées : le développement des maisons de santé pluri-professionnelles, qui ont connu leur essor à cette époque, passant de 150 à mon arrivée à plus de 1 250 à mon départ ; la valorisation financière des praticiens de médecine générale dans les territoires ; la création des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), qui associent les médecins libéraux, les professionnels médico-sociaux et les professionnels hospitaliers ; la délégation de tâches ; et les groupements hospitaliers de territoire. Après la loi HPST, qui avait organisé la compétition entre les établissements de santé, j'ai organisé leur coopération.

Je veux également vous rappeler que c'est à partir de cette période que l'on a relâché le numerus clausus, qui a augmenté de 650 places entre 2012 et 2017, malgré l'opposition radicale de l'Ordre national des médecins et d'un certain nombre de médecins.

En conclusion, il me paraît essentiel que l'État, c'est-à-dire le gouvernement, s'engage sur des résultats, en déterminant les critères d'évolution les plus importants. C'est en ce sens que j'ai fait du délai d'accès aux soins, en particulier aux soins d'urgence, une mesure structurante, qui a irrigué la politique menée au long de ces cinq années. Nous avions fixé le critère à moins de trente minutes, ce qui a permis d'adapter toute une série de dispositifs : création d'un service public de transport ; déploiement de médecins correspondants du Samu – il y en avait 150 en 2012 et plus de 700 en 2017. Cela a permis l'accès de plus de 1 million de personnes à des soins en moins de trente minutes.

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