Intervention de Thierry Bodard

Réunion du mardi 14 mai 2024 à 16h00
Commission d'enquête sur le montage juridique et financier du projet d'autoroute a

Thierry Bodard, président de NGE Concessions et ancien président d'Opale Invest :

Je vous remercie de me recevoir et j'espère que mon audition pourra contribuer à la clarté que vous appelez de vos vœux, avec votre commission, sur le montage juridique et financier de la concession de l'A69.

Mon propos liminaire a pour objectif d'apporter des précisions sur le contexte de cette opération, en complément des auditions du concédant, de l'Autorité de régulation des transports, des préfets d'Occitanie et du Tarn et du directeur général d'Atosca.

La question du secret des affaires nous préoccupe légitimement, en tant qu'entrepreneurs. Nous savons que le secret des affaires n'est pas opposable à votre commission d'enquête et que cette audition ne se déroule pas à huis clos. Ce choix semble tout à fait raisonnable, compte tenu du besoin de transparence exprimé sur ce dossier. Néanmoins, je me permettrai, comme vous me l'avez proposé, de vous adresser certaines réponses par écrit, notamment sur certains sujets protégés par la loi.

NGE est un groupe de sociétés qui peut se féliciter d'avoir livré, au cours du trimestre en cours, quatre ouvrages d'importance majeure : la liaison Est-Ouest Liaison Express (Eole), entre Saint-Lazare et La Défense, le prolongement de la ligne 14 jusqu'à Orly, le bassin de rétention des eaux d'Austerlitz pour le programme « Seine propre », et 300 kilomètres de lignes ferroviaires dans le cadre d'une concession en Uruguay. Nous sommes fiers de ces ouvrages, qui changent le monde et qui s'inscrivent dans notre raison d'être.

NGE ne réalise pas uniquement des autoroutes. Son chiffre d'affaires était de 3,3 milliards d'euros en 2023, dont 85 % réalisé en France et 10 % - environ 350 millions d'euros - dans la région Occitanie, avec environ 1 500 emplois.

Son actionnariat comporte deux particularités remarquables. Au 1er janvier 2024, 10 000 des 16 000 salariés du groupe en étaient actionnaires, soit près des deux tiers. En outre, plus de 70 % du capital est détenu par des personnes qui travaillent dans le groupe. Ce point est suffisamment exceptionnel pour être souligné.

NGE fait donc également des autoroutes en concession. Jusqu'à la fin du siècle dernier, à une époque où 300 kilomètres d'autoroutes étaient réalisés tous les ans, les concessionnaires étaient principalement publics. Toutes les entreprises travaillaient à la réalisation des autoroutes, et aucune ne se préoccupait de leur financement.

Au tournant du siècle, deux évènements importants ont eu lieu.

Le premier correspond à l'accord passé entre la France et l'Union européenne, connu sous le nom « Ponce-Monti », en 1996-1997, qui a mis fin, pour un temps, à la pratique de l'adossement. Pour réaliser une autoroute en concession, il n'est donc plus permis, en règle générale, de la confier en gré à gré à un concessionnaire existant, qui gère déjà un réseau important. Il est nécessaire, depuis cette date, de lancer un appel d'offres permettant de sélectionner un concessionnaire. Le candidat concessionnaire doit démontrer sa capacité à effectuer les travaux, mais aussi à les financer. La procédure de mise en concurrence assure à l'État d'avoir la meilleure offre.

Le deuxième événement important, en 2005, correspond à la privatisation des sociétés publiques d'autoroutes, soit la privatisation de 80 à 90 % du réseau. Certains de nos concurrents, de taille dix à vingt fois supérieure à NGE, ont pris une place importante dans le cadre de cette privatisation.

Du jour au lendemain, ces concurrents sont devenus nos clients. Pour réaliser des travaux sur le réseau autoroutier, nous ne nous adressons plus à un client public, mais à nos concurrents, sauf dans le cas d'extension du réseau autoroutier.

Le rythme de réalisation a désormais changé. Nous ne réalisons plus 300 kilomètres d'autoroutes par an, mais seulement 50 kilomètres tous les trois ans. Pour continuer notre métier d'entrepreneur, nous devions donc nous adapter ou nous vendre à un concurrent, de taille plus importante ou à un groupe étranger. Nous avons fait le choix de nous adapter, d'autant plus que nous ne nous adonnions pas à des activités ferroviaires à cette époque.

S'adapter signifiait entrer par la petite porte sur le marché des concessions, et trouver notre place, comme acteur de taille modeste, dans les appels d'offres lancés par l'État. NGE a ainsi participé à tous les appels d'offres de concessions autoroutières depuis 2007. Huit appels d'offres ont eu lieu, dont deux projets abandonnés. Sur les six autres, nous en avons gagné certains, en trouvant des fonds pour les financer. Ces projets nécessitent des moyens importants, supérieurs à ceux dont nous disposons. Nous recourons ainsi à des fonds d'infrastructure, en nous alliant à d'autres constructeurs ou à des exploitants.

Cette entrée dans les concessions autoroutières, nous l'avons initiée en gagnant et en réalisant l'A88 en Normandie. L'État avait tenté d'adosser ce projet à un réseau existant, avant qu'un avis du Conseil d'État l'amène à revoir sa position et à organiser une mise en concurrence.

Cette première expérience, nous l'avons poursuivie sur d'autres autoroutes, jusqu'à l'A69. Nous nous sommes également intéressés à d'autres sujets, comme les concessions de fibres optiques. Nous avons ainsi déployé deux millions de prises, au titre du plan France Très Haut Débit, pour de grandes régions françaises. La société s'est également intéressée à des projets à l'international, avec par exemple une concession en Uruguay.

Les interrogations suscitées par le projet de l'A69 nous placent en première ligne. Néanmoins, nous savons que ces questionnements s'inscrivent aussi dans un contexte d'interrogation plus large sur les projets d'infrastructure, à l'heure de la transition énergétique, et sur l'évolution des concessions autoroutières. Ce contexte est malheureusement le terreau de certains amalgames.

Nous sommes, pour l'A69, titulaire d'un contrat de concession qui est directement le produit de cette histoire et de ces vingt années d'appels à concurrence successifs, ayant affiné les lois tarifaires, encadré la rentabilité et renforcé les exigences environnementales.

Dans ce contexte, la vision portée par NGE est fondamentalement celle d'un acteur du champ concurrentiel.

Le représentant du concédant, M. Fabien Balderelli, a expliqué devant cette commission d'enquête, il y a quelques jours, que le mécanisme concurrentiel a été bénéfique aux collectivités publiques, puisque pour un tarif équivalent, celui présenté à l'enquête publique, la subvention d'équilibre est considérablement plus faible, pour un niveau qualitatif également amélioré.

Au moment où nous devions répondre à la concession de l'A69, un de nos concurrents détenait le monopole des concessions d'autoroutes en Occitanie, jusqu'à Verfeil. Un autre concurrent, dans la même région, était concessionnaire d'un ouvrage d'art majeur. Pour nous positionner dans un tel champ concurrentiel, nous avions trois priorités.

La priorité, en tant que constructeur, est d'anticiper. À l'issue du débat public en 2010, la livraison de l'autoroute Toulouse-Castres était évoquée pour 2015-2016. Il était clair que l'aménagement de la RN126, par petits tronçons, était abandonné, et que nous devions nous préparer à un projet d'envergure. L'échelle de projet n'était donc plus la même, et nous avons dû nouer des accords, afin de trouver l'ensemble des compétences dont nous avions besoin.

Lors de la déclaration d'utilité publique (DUP) en 2016, le projet de l'État a fait apparaître certaines caractéristiques inquiétantes, avec notamment un fort besoin en matériaux (deux millions de mètres cubes). Ce sujet devait donc être anticipé. Nous avons ainsi conclu des accords avec des propriétaires fonciers, qui concernaient des droits exclusifs de fortage.

Enfin, nous avons aussi anticipé l'acquisition des données requises pour les études environnementales, qui nécessitent au minimum une année d'observation.

La deuxième priorité, en tant que concessionnaire, consistait à choisir les bons partenaires, afin de constituer un groupement solide et compétitif. Un partenaire industriel était notamment nécessaire, afin de relever le défi du péage en flux libre. Nous nous sommes tournés vers Ascendi, car ce leader européen détient dix années d'expérience sur cette technologie au Portugal, sur un réseau de 630 kilomètres d'autoroute. Nous avons appris à connaître cet acteur, lors de l'appel d'offres de l'A79, auquel nous avons participé en 2017-2018, mais que nous avons malheureusement perdu.

Des partenaires financiers sont également nécessaires, spécialisés dans l'investissement d'infrastructures en Europe. Nos deux partenaires dans ce domaine, qui seront également auditionnés prochainement dans le cadre de cette commission d'enquête, sont Quaero et TIIC. Ces deux fonds sont fiscalisés en Europe.

En outre, la quasi-totalité des fonds a été collectée auprès d'investisseurs européens, tels que la Banque européenne d'investissement (BEI), avec une grande partie d'investisseurs institutionnels français, dont le Fonds de réserve pour les retraites (FRR).

La troisième priorité consistait à affirmer la composante locale de notre groupement et de notre offre. L'A69, qui ne se situe pas sur l'itinéraire Hambourg-Lisbonne, est un projet local, de desserte de Castres. Or, les projets d'infrastructures locaux doivent, de préférence, être réalisés en symbiose avec le territoire. Cette conviction nous a conduit à nous rapprocher du tissu économique local, afin d'assurer l'ancrage économique, social et environnemental de notre offre.

Nous nous sommes ainsi rapprochés des entreprises locales de travaux publics et des banques locales, ainsi que des missions d'insertion et de certains industriels. Nous aborderons à nouveau probablement ce sujet, à propos de Tarn Sud Développement.

En respectant ces trois priorités, nous pouvions ainsi espérer élaborer un projet exemplaire, répondant aux critères de l'État et des collectivités locales.

La subvention d'équilibre est effectivement basse. De leur côté, les tarifs sont au niveau de ceux annoncés à la DUP. Les sujets liés à l'excellence environnementale et aux services aux usagers, notamment dans le cadre d'un péage en flux libre, sont également majeurs.

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