Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle cet après-midi l'audition de Mme Catherine Colonna, que cette commission connaît bien pour l'avoir reçue à plusieurs reprises en sa qualité de cheffe de la diplomatie française de mai 2022 à janvier dernier. Madame la ministre, je vous remercie infiniment d'avoir accepté de venir devant nous afin de présenter et commenter les conclusions du groupe d'examen indépendant que vous avez présidé du 14 février au 30 avril 2024. Ce groupe a été chargé par António Guterres, le secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies (ONU), d'évaluer les mécanismes et procédures de l'Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), pour assurer sa neutralité et répondre aux allégations de violations graves formulées à son encontre.
Madame Colonna, le travail que vous avez mené a été réalisé avec trois organismes de recherche, selon une composition assez nordique à vrai dire : l'Institut Raoul Wallenberg en Suède, l'Institut Christian Michelsen en Norvège et l'Institut danois pour les droits de l'Homme. Cette configuration est assez étrange, au-delà de la qualité de ces trois instituts. Peut-être pourrez-vous nous expliquer les raisons de cette concentration géographique ?
Cet exercice a été engagé sur décision d'António Guterres, qui fait l'objet de diverses contestations actuellement ; personne remarquable, il est l'objet de mises en cause assez sévères de la part de l'État israélien. Parallèlement au travail de votre groupe d'examen, une enquête est aussi actuellement menée par le bureau des services du contrôle interne des Nations Unies, mais ses conclusions ne sont pas encore connues.
Votre groupe d'examen a été constitué à la suite de l'accusation par les autorités israéliennes concernant la participation de plusieurs personnels de l'UNRWA au pogrom – je pense que le mot s'impose – du 7 octobre 2023 et sur leurs liens supposés avec le Hamas. Les objectifs assignés à vos travaux étaient de trois ordres. Il s'agissait d'abord d'identifier les mécanismes et procédures dont l'Office dispose actuellement pour garantir la neutralité et répondre aux allégations et aux informations indiquant que ce principe pourrait avoir été violé. Deuxièmement, il convenait de déterminer comment ces mécanismes et procédures ont été ou non mis en œuvre dans la pratique et si tous les efforts possibles ont été déployés pour les appliquer pleinement. Enfin, il vous fallait évaluer l'adéquation de ces mécanismes et procédures et déterminer s'ils sont adaptés à leurs objectifs, notamment en ce qui concerne la gestion des risques, avant de formuler des recommandations.
Le 22 avril dernier, vous avez rendu vos conclusions définitives après un rapport intermédiaire transmis au secrétaire général de l'ONU, le 20 mars.
Pour résumer, ces conclusions soulignent notamment qu'en l'absence d'une solution politique entre Israël et les Palestiniens, l'UNRWA joue un rôle déterminant pour fournir de l'aide humanitaire et des services sociaux aux réfugiés palestiniens dans les territoires occupés, en Jordanie, en Syrie et au Liban.
Ce constat est fondamental à l'heure où certains préconisent de substituer à l'Office d'autres agences de l'ONU, tel le Programme alimentaire mondial. En effet, il faut bien que quelqu'un s'occupe des populations concernées. Pour ma part, il m'avait semblé historiquement et juridiquement qu'un territoire occupé était de la responsabilité de la puissance occupante. Or Israël a déclaré sans hésitation à plusieurs reprises qu'il ne veut pas s'en charger. En conséquence, l'UNRWA exerce en quelque sorte un rôle de substitution à celui d'Israël. Si d'autres solutions peuvent être imaginées, il faut bien partir de l'idée que l'UNRWA remplit un vide. Estimez-vous que d'autres possibilités de substitution existent, en l'absence de volonté d'Israël de s'impliquer ?
Ensuite, vous précisez également que l'UNRWA dispose déjà de nombreux mécanismes pour s'assurer que ses activités respectent les principes humanitaires, y compris les principes de neutralité. Nous avons cependant reçu un ensemble d'informations très préoccupantes, notamment sur l'activité éducative de l'UNRWA, faisant état d'incitations à la haine raciale. Les soutiens d'Israël soulignent que derrière l'activité de l'Office se profile une forme de solidarité implicite avec les combats touchant à la question palestinienne, parfois extrémiste en allant jusqu'à une mise en cause des principes de l'ONU. Cet organisme existant depuis 1949, une imbrication semble inévitable entre les populations portant assistance et les populations aidées. Cela dit, il semble bien – et j'aimerais bien connaître votre opinion à ce sujet – que si les procédures sont définies formellement, le fonctionnement semble très imparfait.
Vous identifiez huit domaines dans lesquels les améliorations peuvent être réalisées afin de respecter davantage le principe de neutralité, en formulant à chaque fois des recommandations telles que l'accroissement de la fréquence des rapports publiés par l'UNRWA à destination des bailleurs, la création d'un conseil exécutif pour renforcer la gouvernance ; le renforcement des effectifs internationaux dans l'encadrement ; le renforcement du criblage par des personnels palestiniens ; l'intensification des inspections des installations, ou encore la révision des manuels scolaires.
S'agissant des allégations d'appartenance de certains personnels de l'UNRWA à des organisations terroristes, le rapport du groupe d'examen indépendant constate qu'à ce jour, aucune preuve formelle n'a été fournie à l'ONU par l'État d'Israël. À ce titre, il convient de se demander si ces preuves n'existent pas ou si Israël n'a pas voulu les donner pour des raisons qui relèvent de techniques de confidentialité. Cependant, les images et les commentaires montrent qu'un certain nombre d'acteurs du pogrom du 7 octobre étaient effectivement très directement lié à l'UNRWA, un véhicule officiel de l'Office ayant notamment été utilisé ce jour-là.
Si elles ne lèvent pas toutes les interrogations, les conclusions du groupe d'examen indépendant constituent une étape importante dans la restauration de la crédibilité de l'UNRWA et de l'action des Nations Unies auprès de la population civile palestinienne, notamment à Gaza, à condition qu'on lui donne suite. Une partie des bailleurs internationaux, dont la France, attendait des résultats de ce travail avant de débloquer leur contribution à l'Office, dont les finances sont dans une situation détestable, alors que son action sur place n'a jamais été aussi nécessaire. De son côté, la France a refusé, par principe, de suspendre les crédits : d'une part, parce qu'aucune institution ne pouvait prendre immédiatement le relais de l'UNRWA ; d'autre part, parce que l'on ne peut condamner avant d'instruire.
Votre groupe d'examen a contribué à une première instruction et les États qui avaient suspendu ou menacé de suspendre leurs crédits y reviennent. C'est le cas notamment de la République fédérale d'Allemagne, qui est certainement au sein de l'Union européenne l'un des États les plus soucieux des questions touchant à la sécurité d'Israël. L'Allemagne a estimé qu'il fallait maintenir les crédits à l'Office, ce qui n'exclut pas de conduire des réformes extrêmement profondes au sein de l'UNRWA, car il est impossible de laisser 2,5 millions de Gazaouis sans assistance d'aucune sorte.
Je vous cède la parole, afin que vous nous éclairiez et que vous nous disiez d'abord comment vous avez ressenti sur le plan personnel cette tâche. Il s'agit en effet d'une mission extraordinairement délicate ; vous avez été confrontée à des horreurs absolues, à une situation qui ne cesse de se détériorer sur le plan humanitaire. Vous avez également été secondée par des réseaux dont l'intégrité morale et intellectuelle ne peut pas être contestée.