Si l'intention des auteurs de cette proposition de loi est évidemment louable – protéger notre système de sécurité sociale et garantir constitutionnellement l'accès de tous à celui-ci –, on peut et on doit s'interroger sur la solidité et la pérennité de ce système.
Bien que le onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, intégré à notre bloc de constitutionnalité, reconnaisse le droit de tous à la protection de la santé, à la sécurité matérielle, au repos et aux loisirs, la sécurité sociale n'est pas directement protégée par notre loi fondamentale. C'est en effet le Conseil constitutionnel qui a déduit de ces dispositions l'exigence constitutionnelle de mettre en œuvre une politique de solidarité nationale ; il a laissé au législateur le soin d'en déterminer les modalités concrètes et c'est bien effet à ce dernier qu'il revient de concevoir des politiques publiques garantissant la protection de la santé.
Notre système de sécurité sociale est une véritable institution, un socle auquel nos compatriotes sont profondément attachés. Il convient donc de le protéger contre les menaces de démantèlement. Toutefois, votre proposition ne va pas sans poser des questions de taille, notamment celle de la stabilité et de la viabilité financière du système. Il faut rappeler que la sécurité sociale sert chaque année 470 milliards d'euros de prestations, soit l'équivalent de 25 % de la richesse nationale : on ne peut donc pas traiter la question de son avenir à la légère.
Si l'OMS a jugé en 2000 que notre système de santé était le meilleur au monde, il a depuis été largement déclassé. Le service public de santé français, avec ses deux piliers – l'hôpital public et les professionnels de santé du premier recours –, s'effondre malheureusement petit à petit.
C'est tout notre système de santé qui est désormais en crise. Les déserts médicaux, l'essoufflement du système sanitaire et la crise des vocations médicales en attestent, sans parler de la grève déclarée aujourd'hui par les pharmaciens. Ceux-ci s'inquiètent d'une dérégulation du marché des médicaments, de la pénurie persistante de certains d'entre eux et de leur vente en ligne par des plateformes commerciales dotées de stocks déportés. À cette liste, je pourrais ajouter un système de soins palliatifs largement insuffisant – c'est d'actualité, compte tenu du texte que nous étudions cette semaine –, ou encore la dernière proposition faite par la Cour des comptes de cesser d'indemniser les arrêts de travail de moins de huit jours, afin de permettre à l'assurance maladie de dégager 470 millions d'euros d'économies. Les délais moyens de prise de rendez-vous avec un praticien s'allongent et le nombre de patients dépourvus de médecin traitant grandit, tout comme le nombre de médecins n'acceptant plus de nouveaux patients, signes que la capacité médicale est saturée en France. Parmi les patients sans médecin traitant, la part des plus précaires s'accroît, et de manière accélérée.
Il me semble donc plus important et surtout plus urgent de réparer le système de santé français que d'inscrire un nouveau droit élargi dans la Constitution, au risque de fragiliser encore plus l'équilibre financier de la sécurité sociale.
Par ailleurs, si la protection sociale est universelle en France, notre système est ainsi construit qu'il faut remplir des conditions précises pour pouvoir en bénéficier, comme une résidence stable et régulière sur le territoire national ou l'exercice d'une activité professionnelle. Par réalisme financier, il me paraît important de s'en tenir au principe d'un financement par les cotisations des travailleurs et des entreprises plutôt que d'instituer un système sans aucune limite. Aujourd'hui, il me semble surtout urgent de repenser l'organisation du financement des dépenses de santé, et peut-être même de la décentraliser, de façon à tenir compte des besoins réels des populations locales.
Pour toutes ces raisons, je ne pourrai pas voter cette proposition de loi constitutionnelle en l'état.