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Intervention de Karine Lebon

Séance en hémicycle du jeudi 30 mai 2024 à 9h00
Discussion d'une proposition de loi — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaKarine Lebon, rapporteure de la commission des affaires économiques :

Les travaux de la semaine dernière en commission des affaires économiques ont démontré que vous êtes nombreuses et nombreux à être sensibles à cette crise du logement social que traversent nos territoires ultramarins – un peu moins nombreux aujourd'hui puisque je vous vois quitter l'hémicycle.

Pour la semaine dernière, je vous remercie ; pour cette semaine, je le regrette. La présente proposition de résolution a été adoptée à l'unanimité en commission, malgré quelques abstentions. Pour tenter de vous convaincre une dernière fois, j'aimerais aujourd'hui donner la parole, en toute humilité, à toutes ces femmes, à tous ces enfants, qui font les frais des graves manquements de la politique du logement social dans nos territoires ultramarins. J'espère que ces témoignages vous feront mesurer l'urgence de la situation et de la création de cette commission d'enquête.

« Madame la députée, Je me permets de me tourner vers vous, car j'ai frappé à toutes les portes et je n'ai aucune nouvelle. Cela fait un an que je suis retournée à La Réunion avec mon fils de six ans. Je me suis séparée de son père, suite à des violences psychologiques de sa part. On est retourné chez ma mère, sauf que nous sommes à sept dans la maison et, dernièrement, je commence à recevoir des avances du mari de ma mère et cela me fait très peur. Je n'ai pas d'autre endroit où aller. J'ai l'impression que je n'arrive plus à sortir de ce trou noir. Je n'y arrive plus. »

« Madame la députée, Je suis dans un logement qui va s'effondrer à cause du cyclone Belal. L'eau est entrée à l'intérieur, ce qui nous met, ma fille et moi, en danger. Je crains le passage du prochain cyclone. Jusqu'à ce jour je demande un relogement par le bailleur, mais ma demande est refusée, car je n'ai pas de contrat de travail. Comment peut-on, au XXIe siècle, laisser une famille dans des conditions déplorables, en mettant en danger la vie des habitants ? »

« Bonjour madame la députée, Je me permets de revenir vers vous car ma situation a empiré. Cela faisait dix ans que j'attendais du bailleur un logement décent pour moi et mes deux enfants. Le 19 décembre j'ai pu avoir un autre logement, mais celui-ci se trouve être pire que celui que j'avais auparavant : infiltrations d'eau dans le couloir et les chambres, fissures au plafond, pas d'eau chaude, canalisations défectueuses. Tout ceci ne fait que renforcer les problèmes de santé de mon fils de cinq ans. Ma demande de rapprochement familial n'a pas été prise en compte, ils m'ont laissée dans les hauts avec toujours plus de problèmes d'humidité. Je ne sais plus vers qui me tourner pour être aidée. Je m'inquiète surtout pour la santé de mon fils. Je vous en prie, aidez-moi. C'est le cri d'une mère désespérée. »

« Madame la députée, Je me permets de vous solliciter car la situation devient de plus en plus difficile. Je vis actuellement dans une maison du parc privé avec un loyer trop élevé, à 850 euros. Mes ressources actuelles ne me permettent plus d'assumer un loyer dans un tel type de logement, pour ma famille composée de trois enfants, à ma charge. Je suis sans emploi depuis le 31 janvier 2024, un de mes enfants a dû quitter le domicile, car il est asthmatique et la maison est trop humide. Vous ne pouvez pas imaginer ce sentiment d'une maman qui ne peut pas avoir son enfant avec elle… Mon enfant vit actuellement chez ma maman, je souhaiterais avoir un logement décent, qui pourrait accueillir mon fils. »

« Bonsoir madame Lebon, Je suis une maman avec quatre enfants. J'habite dans la maison de ma défunte grand-mère, mais il n'y a qu'une seule chambre. Ma sœur m'a frappée, j'ai des bleus sur le corps. Je souffre énormément. Aidez-moi, s'il vous plaît. »

« Madame la députée, Je suis dans une situation très compliquée en ce moment. Je vis dans ma voiture avec mes enfants, de trois ans et un an et demi. J'ai fait une demande de logement, qui date aujourd'hui de trois ans et quatre mois, et n'ai toujours aucune proposition depuis. Je ne fais qu'appeler tous les numéros mais aucune réponse. Je vais voir les bailleurs, le guichet unique, mais rien non plus, on me dit toujours d'attendre. La situation est vraiment lourde. Ce n'est vraiment pas la vie que je souhaite donner à mes enfants. Ils ont besoin d'un toit et d'une vie plus saine. J'espère que mon message sera entendu. »

« Bonjour madame Lebon, Je suis mère de deux enfants et séparée de leur père depuis la mi-janvier pour cause de violences intrafamiliales. J'ai été contrainte de quitter mon foyer avec mes filles, car même après avoir porté plainte, après la garde à vue de mon ex-conjoint, il est retourné dans la maison où nous vivions. Il faut savoir que c'était un logement social et que le bail a été fait à nos deux noms. À ce jour, je suis sans domicile, j'ai été dans des locations saisonnières financées en partie par Action logement mais, comme j'ai atteint le montant maximum de l'aide, je suis sans domicile depuis aujourd'hui. Mon ex-conjoint, lui, l'agresseur, a un endroit où se loger, tandis que moi, je dormirai sans doute dans ma voiture ce soir. Je crois que j'ai frappé à toutes les portes. Je suis toujours en attente de logement. Je trouve, en tant que victime de violences conjugales et ayant encore deux enfants mineurs, que c'est sidérant de voir qu'il est impossible de trouver un logement d'urgence pour les personnes comme nous. Je vous écris aujourd'hui car je ne sais plus vers qui me tourner. J'espère que vous apporterez une attention particulière à mon mail, car je suis vraiment désespérée. »

Mes chers collègues, il y a plus de témoignages que vous ne pouvez l'imaginer. Ne perdons pas de vue notre objectif premier : tout faire pour protéger nos concitoyens et leur assurer des conditions de vie dignes. Entendons toutes ces voix, tous ces cris du cœur, car derrière les chiffres, il y a la réalité des vies. Cette question du mal-logement est multifactorielle et met en exergue bien d'autres drames, qu'il s'agisse de la maladie, du pouvoir de vivre ou encore des violences intrafamiliales.

En permettant l'adoption de ce texte, comme vous l'avez fait la semaine dernière en commission, vous engageriez la longue marche vers la dignité des personnes les plus démunies. La création d'une commission d'enquête sur l'insuffisance, la non-décence et l'insalubrité du logement social dans les outre-mer est une étape essentielle à la résorption de toutes ces irrégularités. Nous devons dès aujourd'hui tout faire pour déterminer les responsabilités de chacun et établir une liste de recommandations visant à mettre fin à cette crise.

Prenons les choses en main. Derrière chaque demande de logement social, c'est une famille qui souffre. Vous l'avez entendu, les plus affectées par cette crise sont les femmes, les mères. Le logement social n'est pas qu'une simple affaire de chiffres ; c'est une question d'humanité. Toutes ces femmes sont confrontées à une multitude de difficultés et de menaces, qu'elles doivent articuler avec leur propre vie et celles de leurs enfants.

Prenons les choses en main. Cette proposition a été nourrie par une demande forte, émanant de nos concitoyens mais aussi des différents acteurs de la politique du logement social. La situation est en effet alarmante et mérite notre attention la plus aiguë. Nous ne pouvons plus fermer les yeux sur les réalités du terrain : plus de 80 % des ménages ultramarins sont éligibles au logement social – et près de 70 % au logement très social ; pourtant, seuls 15 % d'entre eux résident effectivement dans le parc social. Ce taux très faible dissimule d'importantes disparités entre les différents territoires dits d'outre-mer : alors qu'il y a plus de 10 000 demandes de logement social en attente en Guadeloupe et plus de 12 000 en Guyane, il y en a près de 45 000 à La Réunion ! Ces retards chroniques dans la délivrance des logements sociaux sont inacceptables ; ils appellent des mesures fortes et immédiates.

Malheureusement, pour différentes raisons, les projets des bailleurs sociaux correspondent de moins en moins aux besoins réels de la population. Près de 70 % des habitants des outre-mer sont éligibles au logement très social – je le disais à l'instant –, mais cette catégorie de logement est loin d'être la priorité des bailleurs, qui préfèrent investir dans des habitations plus rentables, qu'un nombre toujours plus réduit de personnes est capable de s'offrir. Le niveau de vie des ultramarins est en effet structurellement inférieur à celui des populations vivant dans l'Hexagone, comme l'a démontré le rapport de la commission d'enquête sur le coût de la vie dans les départements et régions d'outre-mer (Drom).

La question de la non-décence des logements recouvre des enjeux d'insalubrité et de dangerosité du bâti. C'est une situation humainement intolérable : nombre d'ultramarins, ne trouvant plus de solutions d'hébergement durable, sont contraints de vivre dans la rue ou de s'accommoder d'une qualité de vie médiocre et dangereuse pour leur santé mentale et physique.

La commission d'enquête sera ainsi l'occasion d'analyser les données statistiques relatives à la non-décence du logement social, qui apparaissent fréquemment sous-évaluées, de déterminer les causes des défaillances observées dans la chaîne de livraison des logements sociaux en outre-mer, et, enfin, de s'enquérir de l'existence de malfaçons, susceptibles de mettre en lumière le manque de contrôle dont fait l'objet la construction des logements sociaux, avant qu'elle ait lieu mais aussi a posteriori.

Je tiens à insister sur l'importance de cette démarche. Les différentes réunions de travail que nous avons organisées avec les principaux acteurs concernés ont témoigné d'un large consensus concernant la création de cette commission d'enquête. L'ensemble des acteurs locaux ont souligné la nécessité de mener des actions concrètes pour remédier à cette situation alarmante.

Les causes de cette crise sont multiples et les responsabilités partagées ; reste encore à les déterminer. Dès lors, chers collègues, il est de notre devoir de répondre à cet appel. Nous ne pouvons plus ignorer les souffrances de nos concitoyens ultramarins ; nous ne pouvons plus tolérer que des familles vivent dans des conditions indignes, dans des logements insalubres et dangereux. Il est grand temps de prendre des mesures concrètes et efficaces pour améliorer la situation du logement social dans nos territoires ultramarins.

Le droit au logement est un droit humain. « La maladie la plus constante et la plus mortelle, mais aussi la plus méconnue de toute société, est l'indifférence », disait l'abbé Pierre. Aujourd'hui, soyons dignes ; soyons humains. I fo soley i lèv pou nout tout – le soleil doit se lever pour nous tous !

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