Madame la présidente, monsieur le ministre chargé du commerce extérieur, chers collègues, en ouverture de la niche du groupe Gauche démocrate et républicaine, le groupe GDR, c'est avec gravité que je vous soumets, avec ma collègue Mereana Reid Arbelot, la proposition de résolution visant à mutualiser et adapter nos politiques publiques au changement climatique, notamment à destination des villes côtières et insulaires. Avec gravité, en effet, car au moment où je vous parle, des atolls de Polynésie sont en grand danger de submersion et leur population est inquiète de devoir migrer. Avec gravité, aussi, parce que la commune du Prêcheur, dont j'ai eu l'honneur d'être le maire, prise en étau entre les flancs du volcan de la montagne Pelée et la mer des Caraïbes, au nord de la Martinique, voit ses habitations submergées par la montée des eaux, qui a entraîné, en moins de cinquante ans, un recul du trait de côte de 100 mètres, obligeant les habitantes et les habitants à se relocaliser en amont, sur les mornes.
On serait tenté de penser que les phénomènes liés au dérèglement climatique concernent au premier chef les territoires d'outre-mer qui sont quasiment tous des îles, à l'exception de la Guyane – le changement climatique y a cependant des effets préoccupants, notamment dans la commune d'Awala-Yalimapo. Toutefois, comme le savent nos amis de l'Association nationale des élus du littoral (Anel), qui partagent nos inquiétudes et dont certains sont présents aujourd'hui, le dérèglement climatique est aussi une réalité pour les villes côtières de la France hexagonale. Ainsi, la tempête Xynthia a fait plusieurs morts en submergeant l'île Oléron en 2016. Le sujet y est prégnant, comme en Seine-Maritime, sur le littoral normand, en Bretagne et aux Sables-d'Olonne.
La question est donc globale et de première importance : elle appelle, de notre point de vue, une réponse politique déterminée. Nous ne disons pas que l'État ne s'engage pas face au dérèglement climatique majeur auquel nous sommes confrontés. Les territoires régionaux, communaux et littoraux se mobilisent également dans le cadre du troisième plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc), s'agissant notamment des enjeux relatifs au recul du trait de côte. Néanmoins, on constate que la question ne fait pas l'objet d'un programme dédié au sein du budget de l'État, et il faut reconnaître la grande dilution des structures et des financements mobilisés.
La proposition de résolution demande, en conséquence, au Gouvernement de mieux planifier, sur le long terme, des réponses adaptées aux différents contextes locaux et d'inscrire le plan national d'adaptation au changement climatique dans un chapitre spécifique de la prochaine loi de programmation pluriannuelle sur l'énergie et le climat. Elle demande surtout une meilleure prise en compte de l'adaptation au changement climatique dans le processus d'évaluation environnementale des projets, dans les plans et les programmes, ainsi que dans les documents d'urbanisme. Enfin, le texte demande que les impératifs sociaux soient placés au cœur des politiques d'adaptation.
Penser l'adaptation au dérèglement climatique suppose, en effet, de penser en même temps et globalement le « ménagement du territoire » – j'insiste sur ce terme –, la souveraineté et l'autonomie alimentaire et énergétique. Dans la commune du Prêcheur, confrontée depuis des décennies à des risques majeurs, y compris aux lahars – « coulées de boue », en indonésien –, nous avons développé une certaine capacité de résilience : coupés du monde à plusieurs reprises, nous avons appris à ne compter que sur nous-mêmes pour subsister, aussi bien sur le plan agroalimentaire que sur le plan énergétique. Notre expérience peut servir de laboratoire pour la gestion des risques naturels et technologiques – les deux sont désormais liés –, laquelle doit être revisitée à partir des savoirs des populations locales et de nouveaux travaux de recherche permettant de consolider le socle des connaissances scientifiques qui éclairent les politiques publiques.
Les élus communaux que nous sommes, ou que, pour beaucoup, nous avons été, le savent : nous sommes souvent livrés à nous-mêmes, sans moyens, sans financements, sans capacité d'agir, alors même que nous sommes en première ligne. Il nous semble donc important d'asseoir un modèle financier adapté aux villes côtières et insulaires, grâce, en particulier, à la création d'un fonds d'érosion côtière. De même, il est nécessaire d'élaborer une stratégie nationale relative aux déplacements de populations victimes des effets du changement climatique, parmi lesquels la montée des eaux et la perte de la biodiversité, et de décliner cette stratégie avec les communes littorales.
La proposition de résolution a l'ambition de promouvoir le rôle pionnier de la France dans ce domaine en s'appuyant sur les collectivités territoriales. Il s'agit, face à l'urgence du dérèglement climatique, de définir un nouveau paradigme d'intervention publique. Pourquoi, demanderez-vous ? Car vous pensez peut-être que quelques enrochements, digues ou ouvrages de protection côtière suffisent. En réalité, face à l'ampleur des phénomènes actuels, de tels dispositifs ont, hélas, montré leurs limites.
Le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) le constate également : ces installations quelles qu'elles soient sont des « solutions de court terme inadaptées », qui créent un sentiment trompeur et dangereux de sécurité. Élus des littoraux ou insulaires, nous savons que la nature reprend toujours ses droits et que le changement climatique a des conséquences insoupçonnées.
Déjà, des îles polynésiennes contractent des accords internationaux avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande en vue de l'hébergement de leurs populations – Je pense à Tuvalu. De même, certaines îles des Tuamotu ont demandé aux Marquises d'accueillir leurs habitants, mais ces dernières ne pourront pas constituer un refuge pour les milliers de personnes qui vivent dans la centaine d'îles du Pacifique en danger. En Martinique, nous savons que notre territoire aura perdu 10 % de sa superficie dans vingt ans, en particulier dans la plaine du Lamentin, la plus habitée, la plus industrielle et la plus commerciale.
Il faut donc réagir. Or le rapport que nous avons rédigé en novembre 2023, dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances pour 2024, au nom de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée, en nous rendant sur le terrain, grâce au soutien de la commission et de son président, rapport dont est directement issu le texte que nous vous soumettons, fait un constat : si le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), le monde universitaire, l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris), Météo-France, le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), entre autres, mènent tous, dans leur domaine, d'excellentes expériences, celles-ci restent sectorielles et peu partagées, elles ne font pas l'objet de synergies, ce qui rend les plans Orsec – organisation de la réponse de sécurité civile – obsolètes, notamment en cas de risques concomitants, ce qui est bien souvent le cas.
De fait, l'adaptation aux effets du changement climatique concerne de multiples secteurs, qui doivent tous être impliqués et dont les actions doivent systématiquement être coordonnées et déclinées à tous les niveaux, y compris au niveau communal. Planifier les politiques d'adaptation, favoriser la transdisciplinarité, inscrire dans le code de l'environnement un volet spécifique sur l'adaptation au changement climatique, placer les impératifs sociaux au cœur des politiques d'adaptation – les premières victimes sont souvent les plus précaires et les plus pauvres –, développer de nouvelles façons de produire et de consommer, construire un modèle financier solidaire et adapté aux villes côtières et insulaires par la création d'un fonds d'érosion côtière : voilà l'ambition de la proposition de résolution, qui, je l'espère, saura nous rassembler. Son but ultime, face à la folie des phénomènes engendrés par le dérèglement climatique, est de garder raison et de retrouver notre énergie vitale et solidaire.