Mon rapport concerne le financement de l'économie sociale et solidaire (ESS), porté, depuis 2021, par l'action 04 du programme 305. L'action 04 ne reflète pas, néanmoins, l'ensemble de l'effort budgétaire fourni pour le secteur, car d'autres missions et programmes peuvent contribuer à son développement. Afin de mener à bien ma mission, j'ai pu compter sur de nombreux acteurs de l'ESS, des têtes de réseau, des acteurs de terrains, des responsables de banque, des financeurs, des personnalités éminentes comme l'ancien ministre Benoit Hamon, des représentants d'administration et de syndicats de travailleurs. Malheureusement, je n'ai pas pu auditionner la secrétaire d'État chargée de l'économie sociale et solidaire et de la vie associative, Mme Marlène Schiappa.
C'est d'autant plus regrettable qu'il semble que, parmi les acteurs auditionnés, aucun – sauf M. Jean-Marc Borello – n'ait été consulté par la secrétaire d'État ou son cabinet pour établir la feuille de route ministérielle dédiée à l'ESS. C'est donc – ironie du sort – M. Borello et le pôle chargé du financement à la direction générale du Trésor qui m'ont permis de comprendre et d'analyser la volonté du Gouvernement.
Les choix opérés sont très inférieurs aux besoins et ne suffiront pas à relever les défis.
À l'action 04 sont inscrits 20,69 millions d'euros en crédits de paiement pour accompagner et développer l'ESS en 2023. La vérité oblige à dire que la programmation 2023 reflète un manque d'ambition pour l'ESS, voire l'absence de prise en compte des situations d'urgence. Si les crédits ont augmenté de 7,5 % par rapport à 2022, c'est en réalité parce que les orientations intérieures ont été reconduites. Le financement des dispositifs locaux d'accompagnement (DLA) stagne, tout comme celui des têtes de réseaux. La création d'une sous-action ne se traduit par aucun moyen supplémentaire pour les pôles territoriaux de coopération économique. Dès lors, la programmation budgétaire 2023 est une tacite reconduction des budgets antérieurs : l'inflation n'est pas prise en compte, non plus que les attentes des bénéficiaires, qui ont déjà du mal à mener à bien les missions qui leur sont confiées par la loi.
La programmation budgétaire fait l'impasse sur trois défis décisifs. Premièrement, elle ne prend pas en compte la nécessité impérieuse d'anticiper les recrutements, d'améliorer les conditions de travail, de renforcer la formation professionnelle dans des secteurs aussi essentiels que le médico-social et le sanitaire. Tous les acteurs auditionnés s'inquiètent de l'insuffisance des salaires, de la pénibilité de certains métiers, de la précarité des carrières et du vieillissement des personnels, qui sont autant de freins à l'attractivité de l'ESS.
Deuxièmement, elle ignore le défi des besoins d'accompagnement et de financement, indispensables pour valoriser et reconnaître les projets d'innovation sociale.
Troisièmement, en matière de planification écologique, comment se fait-il que l'ESS, pourtant à l'avant-garde des initiatives en matière d'agriculture, de réemploi, de distribution, d'énergie renouvelable, de transport collectif, ne se voie confier aucun rôle ni attribuer aucun budget dans un plan national pour l'écologie ? Le secrétariat d'État est pourtant rattaché à la Première ministre en charge de la planification écologique.
L'insuffisance des moyens programmés, l'impasse faite sur des sujets d'avenir pour l'ESS m'amènent à émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits de l'action 04 du programme 305.
L'économie sociale et solidaire est une économie territoriale – la très large majorité des emplois ne sont pas délocalisables –, innovante d'un point de vue écologique et social, et citoyenne, car utile au plus grand nombre. Ceux, ici, qui siègent dans des collectivités territoriales connaissent l'importance de l'ESS. C'est dans cette optique que j'ai choisi comme thème de mon rapport le soutien public apporté aux coopératives et aux associations.
Les coopératives et les associations représentent plus de 2 millions d'emplois, c'est-à-dire autant, voire plus, que le tourisme. Les personnes que j'ai auditionnées m'ont alertée sur le recours abusif à la commande publique via les appels à projets, les appels d'offres ou les appels à manifestation d'intérêt (AMI). En pratique, cette situation a des effets délétères. Ce recours a explosé dans des domaines qui, pourtant, ne devraient pas être soumis à la concurrence, comme la protection de l'enfance, les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), les centres de soins ou les centres d'accueil d'urgence. Tous les acteurs que j'ai entendus ont dénoncé une mise en concurrence inégale, au profit d'organismes lucratifs qui tirent les prix vers le bas et profitent de la prime au moins-disant. Personne n'y gagne : ni les collectivités, ni l'État, ni les citoyens. La prime devrait être plutôt donnée à des projets qui ont, de par le statut même d'association ou de coopérative, une finalité sociale.
Je recommande donc de limiter le recours aux appels d'offres et aux appels à projets et d'établir des critères adaptés aux caractéristiques de l'ESS.
Je recommande aussi de dissiper les incertitudes juridiques quant à la capacité des collectivités publiques de verser des subventions de fonctionnement aux structures associatives de l'ESS, compte tenu des exigences du droit européen. Je pense qu'il y a, en la matière, une surinterprétation des textes. J'insiste sur ce point car, lors de la crise sanitaire, c'est bien par des subventions de fonctionnement que l'État et les collectivités ont soutenu les structures de l'ESS. Cela a permis à ces dernières de bien fonctionner et de limiter les défaillances. Aujourd'hui, la poussée inflationniste fragilise les coopératives et les associations, qui se trouvent confrontées à un effet ciseau.
Je plaide aussi en faveur d'un relèvement du tarif des prestations conventionnées dans le secteur médico-social, pour pouvoir augmenter les salaires et rendre plus attractifs ces métiers. Je plaide aussi pour une augmentation de l'aide au poste pour les structures d'aide à l'insertion. J'appelle à une revalorisation globale des salaires, et même à la convocation d'une conférence salariale dans le secteur de l'ESS.
Le second enseignement de mes travaux, c'est qu'il faut rénover les statuts pour qu'un secteur tiers, à dominante non lucrative, s'affirme pleinement. La France a joué un rôle pionnier en fixant un cadre adapté au développement des coopératives et des associations, mais la diversité des formes commerciales et des statuts pourrait bien contribuer, aujourd'hui, à l'illisibilité dont l'ESS pâtit. Il pourrait être utile d'examiner la pertinence du statut des coopératives et des associations dans le champ de la loi Hamon, en vue d'une mise en cohérence et d'une révision éventuelles des textes. Un même travail pourrait s'avérer nécessaire dans le champ fiscal, afin de prévenir toute incohérence à l'égard des organismes à but non lucratif.
Sur le plan institutionnel, la priorité doit être accordée au développement de points d'appui et de relais locaux. J'ai exprimé tout à l'heure mon regret concernant la faiblesse des ressources accordées aux dispositifs locaux d'accompagnement (DLA). Ces dispositifs, qui existent depuis une vingtaine d'années, peuvent proposer un accompagnement utile aux structures de l'ESS. Mais leurs moyens ne permettent que des interventions relativement limitées au regard des besoins. C'est pourquoi je prône un accroissement des ressources allouées par l'État aux DLA, pour un effet levier auprès des collectivités et des autres financeurs.
Il conviendrait aussi de financer un centre de ressources pour l'innovation sociale ainsi qu'un centre de ressources pour la transformation, la reprise et la création des coopératives.
J'alerte sur la situation des chambres régionales de l'économie sociale et solidaire (Cress). Ces acteurs pourtant moteurs sont confrontés à une situation désolante à bien des égards. La vérité, c'est que les Cress sont pauvres, qu'elles n'ont pas les moyens suffisants pour mener à bien leurs missions, pourtant définies par la loi. Cela résulte de facteurs institutionnels et financiers. Je préconise donc d'accroître les crédits budgétaires accordés aux Cress et d'établir une coopération institutionnelle avec les chambres de commerce et d'industrie (CCI). Je n'écarte pas l'hypothèse d'un financement de certaines missions des Cress sur le modèle des chambres consulaires.
Les auditions que j'ai menées me permettent de dénoncer les obstacles illégitimes au financement des structures de l'ESS. En effet, les coopératives et les associations se heurtent à une surestimation de leur risque financier et, surtout, à une mauvaise connaissance de leur modèle économique. Je propose donc de veiller à l'efficacité des instruments de financement qui existent déjà, comme les titres associatifs et les titres participatifs. Je propose aussi de parfaire l'organisation d'une véritable épargne solidaire réglementée.
En dernier lieu, je tiens alerter sur le fait que les deux financeurs publics que sont la Banque des territoires et BPIFrance ne sont pas en mesure de répondre aux attentes et aux besoins du secteur de l'ESS. BPIFrance avait, dans ses missions, le financement de l'ESS ; ce n'est plus le cas depuis 2014. L'organisme traite désormais de façon indifférenciée les structures de l'ESS et leur propose des offres de prêts ou de garanties, soit surdimensionnées, soit inadaptées aux besoins. Je propose donc deux mesures : inscrire le soutien aux coopératives et aux associations de l'ESS parmi les missions légales de BPIFrance et les objectifs de la Banque des territoires ; réviser les conditions d'intervention.
Enfin, une grande ambition, mais aussi un chantier d'ampleur, serait d'établir une comptabilité extrafinancière. Celle-ci permettrait de mieux valoriser l'utilité sociale et écologique des coopératives et des associations. Je vous remercie de votre attention.