C'est pour moi un honneur, en tant que nouveau parlementaire de la troisième circonscription de Martinique, de rapporter le budget de la mission Outre-mer. Si celle-ci ne représente que 12 % de l'effort budgétaire consacré par l'État aux Outre-mer, elle n'en reflète pas moins des enjeux majeurs de politique publique dans ses programmes Emploi Outre-mer et Conditions de vie Outre-mer.
Ce budget est présenté dans un contexte se caractérisant, dans un grand nombre de territoires ultramarins, par un ensemble de crises dans les domaines économique, social, environnemental et sanitaire – les suites de la pandémie de covid se font encore sentir –, sans oublier l'explosion du problème de la vie chère.
Pour l'année 2023, les moyens de la mission, à périmètre constant, s'élèvent à 2,93 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 2,75 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), ce qui représente une hausse de 298 millions d'euros en AE et de 285 millions d'euros en CP par rapport à 2022.
Toutefois, il convient de relativiser cette hausse, qui provient pour les deux tiers de l'accroissement prévisionnel et mécanique des compensations d'exonérations de cotisations sociales, à raison de 203 millions d'euros supplémentaires en AE et en CP, après une baisse observée les années précédentes. Dans la mesure où le dispositif d'allégement de charges destiné à l'Outre-mer n'a pas évolué, la hausse budgétaire est fondée sur les projections des administrations de sécurité sociale. Elle ne traduit pas une volonté politique d'intensifier l'accompagnement des entreprises ultramarines.
Les autres crédits en augmentation concernent le montant alloué au service militaire adapté (SMA), le renforcement du soutien budgétaire de l'État à certaines collectivités territoriales, ou encore le financement de l'Agence française de développement (AFD).
Plusieurs motifs d'insatisfaction à l'égard des choix politiques que traduit le budget de la mission expliquent l'avis défavorable que j'émettrai.
Je déplore en effet que certains crédits budgétés, comme ceux du fonds exceptionnel d'investissement (FEI), proviennent en grande partie de la hausse de l'impôt sur le revenu payé par les ménages des départements d'Outre-mer (DOM) consécutive à la réforme de l'abattement spécifique qui a frappé ces territoires. J'aurais préféré que ces crédits supplémentaires proviennent de dotations ne pesant pas sur le pouvoir d'achat des populations.
Le recours à un financement local dans les quatre DOM historiques pour financer les investissements de l'État dans tout l'Outre-mer est d'autant plus paradoxal que ces derniers y sont nettement plus faibles que dans l'Hexagone, en dépit des retards considérables observés en matière d'équipements et d'infrastructures de base.
Alors que les collectivités territoriales sont garantes de la cohésion sociale et du développement endogène, je regrette également que s'ajoute au sous-financement structurel des collectivités ultramarines, démontrées par le rapport Patient-Cazeneuve de 2019, un sous-financement conjoncturel, qui d'ailleurs s'aggrave. Les communes de ces quatre départements – Martinique, Guadeloupe, Guyane et La Réunion –, qui comptent 2 millions d'habitants, souffrent d'un déficit aggravé de financement depuis la baisse des dotations. En effet, l'État a prélevé près de 1 milliard d'euros sur leur budget de fonctionnement à travers la contribution au redressement des finances publiques (CRFP), sans que ce prélèvement soit entièrement compensé par la hausse de la péréquation nationale. Ainsi, l'État laisse supporter à ces collectivités un déficit cumulé s'élevant à près de 400 millions d'euros en 2022. Les conséquences en sont l'allongement des délais de paiement et la ruine des capacités d'investissement et d'intervention auprès des populations. Cette situation explique la crise sociale aux Antilles. Pour mémoire, l'État avait veillé à compenser à 100 % la perte des dotations des communes défavorisées de l'Hexagone afin d'éviter les désastres budgétaires et sociaux que l'on constate dans les DOM. Je regrette le traitement inéquitable et discriminatoire que subissent les populations des territoires ultramarins par rapport à celles de l'Hexagone.
Je constate, par ailleurs, que les priorités politiques du budget des Outre-mer consistent à gérer la crise en bout de chaîne, par le renforcement du SMA, les contrats de redressement en Outre-mer (Corom) et l'ingénierie de l'AFD, quand il faudrait un traitement équitable en amont, pour éviter l'échec scolaire qui mène au SMA, le déficit qui mène aux Corom et l'incapacité des collectivités à recruter des cadres qualifiés qui mène au recours à l'ingénierie financée par l'AFD.
Pour faire le lien avec la partie thématique de mon rapport, consacrée à la vie chère, je regrette que certaines actions pourtant essentielles pour compenser les contraintes structurelles auxquelles sont confrontés les Outre-mer – l'éloignement, l'insularité ou encore l'exiguïté des territoires – n'aient pas vu leurs moyens renforcés. C'est notamment le cas des actions en faveur de la continuité territoriale, du logement ou encore de l'aide au fret.
J'en arrive à la partie thématique du rapport. La vie chère est un phénomène ancien, dont les racines sont à chercher dans l'histoire. Le problème est structurel, mais des déterminants conjoncturels s'y ajoutent, dont les conséquences sur le plan humain sont dramatiques.
La vie chère dans les Outre-mer résulte d'un modèle de mal-développement économique inhérent au passé colonial et qui s'explique par la conjonction de plusieurs phénomènes. Premièrement, les prix y sont structurellement plus élevés que dans l'Hexagone. Deuxièmement, le niveau de vie et les revenus y sont significativement moins élevés. Troisièmement, le sous-financement des collectivités territoriales est structurel. Celles-ci sont pourtant garantes de la cohésion sociale. Cet état de fait empêche le développement de l'ingénierie locale, affaiblit les investissements endogènes, voire les ruine, et impose une fiscalité locale élevée pour assurer les services publics, au détriment du pouvoir d'achat des ménages et de l'épanouissement des populations. Quatrièmement, le traitement que réserve l'État aux territoires ultramarins est inéquitable et injuste en comparaison avec l'Hexagone.
Historiquement, les territoires ultramarins entretenaient avec la métropole une relation asymétrique et coloniale de type centre-périphérie, avec des échanges privilégiés structurant un ordre économique non concurrentiel, ce qui a transformé leurs économies en marchés captifs et non compétitifs. Ce modèle de mal-développement économique a perduré malgré les évolutions institutionnelles et statutaires : la production locale est faible, non diversifiée, et ces territoires dépendent à plus de 80 % des importations.
Selon la dernière enquête exhaustive menée en 2015 par l'Insee sur les prix dans les Outre-mer, le niveau général y était de 7 % à 12,5 % plus élevé qu'en France hexagonale, avec des écarts de prix particulièrement criants pour les produits alimentaires : 28 % de plus à La Réunion et jusqu'à 38 % à la Martinique.
Plusieurs facteurs structurels expliquent ces écarts de prix majeurs. L'insularité et l'éloignement géographique par rapport à l'Hexagone induisent des coûts d'infrastructure, notamment pour les télécommunications, mais aussi des coûts d'approche, de transport et de stockage très importants. Les coûts d'approche et de transport comprennent notamment le fret maritime ou aérien. Je présenterai un amendement à ce propos.
Ces coûts sont renchéris par la présence de nombreux intermédiaires tout au long de la chaîne d'approvisionnement. En outre, l'étroitesse structurelle des marchés intérieurs conduit à une grande faiblesse concurrentielle, l'activité étant concentrée autour d'un petit nombre d'acteurs : c'est la configuration oligopolistique qui domine. C'est le cas, par exemple, dans le transport maritime, avec la CMA-CGM, sachant que Maersk se retirera bientôt des Antilles. Dans le commerce à prédominance alimentaire, ce sont les groupes GBH, Sodifram et Somaco qui dominent à Mayotte ; à La Réunion, les groupes GBH et Leclerc forment un duopole.
L'Autorité de la concurrence note que l'intégration verticale, c'est-à-dire la présence d'un même acteur aux différents niveaux de la chaîne, joue également sur la concurrence, et que l'accumulation des marges par les acteurs tout au long de la chaîne de production et de distribution des produits de grande consommation explique les écarts de prix par rapport à l'Hexagone.
La fiscalité doit aussi être prise en compte dans la formation des prix. L'octroi de mer renchérit le prix – quoique de manière raisonnable –, de même que la TVA, du reste appliquée de manière discriminatoire dans les DOM, car elle n'existe qu'à La Réunion, en Martinique et en Guadeloupe. La situation est d'ailleurs ubuesque, puisque l'octroi de mer est inclus de manière illégale dans l'assiette de calcul de la TVA.
Aux écarts de prix structurellement plus élevés s'ajoute la hausse conjoncturelle due au renchérissement du coût des transports et des intrants, notamment, en lien avec les crises mondiales – je pense à la guerre en Ukraine.
Les revenus, quant à eux, sont structurellement inférieurs dans les Outre-mer en raison des taux de pauvreté, de chômage et de précarité et de l'accroissement des inégalités. En 2018, le niveau de vie médian était de 11 000 euros annuels environ en Guyane et de 3 000 euros à Mayotte. Dans les trois autres départements d'Outre-mer, il se situait entre 15 500 euros et 17 000 euros. À titre de comparaison, la même année, il était de 23 860 euros en Île-de-France.
Le taux de pauvreté serait passé de 44 % à 53 % en Guyane, où le salaire moyen est compris entre 700 et 800 euros mensuels. Le niveau de vie dans la plupart des DOM est d'autant plus faible que les ménages de la classe moyenne ont souffert de la réforme de l'abattement fiscal sur l'impôt sur le revenu en 2018 : la disposition a touché 50 % des ménages assujettis et provoqué une perte du pouvoir d'achat directe – et disproportionnée – de plus de 70 millions d'euros.
De plus, du fait de la diminution de l'abattement, l'évolution de l'impôt sur le revenu est cinq fois plus élevée dans les DOM que dans l'Hexagone. Pourtant, on est en droit d'estimer que l'abattement est légitime étant donné que les Ultramarins ne bénéficient pas de services publics du même niveau que dans l'Hexagone et qu'ils supportent de nombreux surcoûts.
Les Outre-mer ne bénéficient pas non plus de dotations de continuité territoriale équitables : l'enveloppe est de 45 millions d'euros pour 2,7 millions d'habitants, contre 190 millions d'euros pour la Corse, peuplée d'environ 330 000 habitants et située à seulement 20 kilomètres des côtes françaises.
Enfin, à contre-courant de sa politique appauvrissant les classes moyennes des DOM, l'État a offert aux plus grandes fortunes un cadeau fiscal sans précédent : il s'est privé de 4 milliards d'euros de recettes en supprimant l'impôt sur la fortune.
Le sous-financement des collectivités locales d'Outre-mer par rapport à celles de l'Hexagone est lui aussi structurel. En 2019, il était estimé à près de 200 millions d'euros, et compensé seulement à hauteur de 50 millions d'euros environ par des dotations de péréquation. Le sous-financement s'est encore aggravé dans les quatre DOM historiques, car les collectivités sont soumises depuis 2014 à la contribution au redressement des finances publiques. L'État a ainsi prélevé au total 869 millions d'euros sur le budget de ces communes. En tenant compte de la compensation par la péréquation et des 30 millions d'euros – échelonnés sur trois ans – versés dans le cadre des Corom, le déficit net s'élève à près de 400 millions d'euros en 2022. Les communes sont sinistrées sur le plan financier, avec pour conséquence, notamment, l'allongement des délais de paiement pour les entreprises. La Cour des comptes a dénoncé en 2017 ce traitement inéquitable des DOM, et le Président de la République lui-même l'a reconnu.
Ce traitement se traduit également par le fait que plusieurs dispositifs soutenant l'économie et le pouvoir d'achat des ménages ultramarins ont déjà été ponctionnés ou sont menacés de disparition afin de réduire le déficit de l'État. La TVA non perçue récupérable des entreprises a été supprimée en 2018, ce qui a provoqué la perte de 100 millions d'euros. L'allégement de cotisations sociales pour les travailleurs indépendants – mécanisme qui concerne donc les très petites entreprises – a été diminué de 40 millions d'euros à partir de 2018, avec pour objectif final de gagner 400 millions d'euros. La réforme de l'abattement sur l'impôt sur le revenu a fait économiser 70 millions d'euros à l'État. Le coût de la défiscalisation est passé de 1 milliard d'euros en 2011 à moins de 500 millions en 2022. À cela s'ajoute la menace d'une suppression de l'octroi de mer et de son remplacement par une TVA à 19,6 %.
Quelles solutions à court, moyen et long terme peut-on envisager pour lutter contre la vie chère ? Il importe d'avoir une vision globale, pragmatique et prenant en compte les réalités locales.
Des mesures d'urgence sont indispensables, avec pour objectif de sanctuariser le pouvoir d'achat des populations. La pertinence du bouclier qualité-prix doit être améliorée.
Il faut également proposer, pour le fret maritime, une tarification ad valorem, c'est-à-dire une taxe proportionnelle à la valeur du bien transporté. Il convient d'accroître l'aide au fret ainsi que l'enveloppe consacrée à la continuité territoriale, dans un souci d'équité.
Les moyens des observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR) doivent être renforcés, pour une plus grande transparence des prix, des marges et des revenus de l'ensemble des acteurs de la chaîne d'approvisionnement.
Les différents niveaux de fiscalité doivent être aménagés pour agir directement sur les prix, les charges des entreprises et le pouvoir d'achat des ménages, avec pour objectifs de faire baisser globalement le coût de la vie, de créer de l'activité et de la richesse et d'accompagner les populations vers le mieux-vivre. Il faut une TVA à zéro pour cent en Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion, comme en Guyane et à Mayotte. Il importe de rétablir les abattements de 30 % et de 40 % sur l'impôt sur le revenu. Un dispositif zéro charge pendant cinq ans pourrait être mis en place pour les très petites entreprises et les petites et moyennes entreprises, qui représentent l'essentiel du tissu économique de ces territoires. L'objectif est de ne pas voir diminuer davantage le pouvoir d'achat et de ne pas plomber les entreprises.
Il faut résorber le sous-financement des collectivités territoriales et maintenir les dépenses fiscales de l'État afin d'accroître les marges d'intervention des pouvoirs publics locaux. Il importe de compenser par une péréquation nationale les 150 millions d'euros manquants, à l'instar du 1,5 milliard d'euros fourni en 2021 par l'État à Marseille. Une intervention équitable de l'État s'impose dans les DOM, au-delà des plans d'urgence de Guyane et de Mayotte, pour éviter que ne s'aggrave progressivement la crise sociale.
Sous l'action 06, Collectivités territoriales, il faut créer un fonds d'urgence pour le fonctionnement des communes d'Outre-mer, alimenté par les crédits non consommés et annulés de la mission Outre-mer, lesquels sont estimés à près de 80 millions d'euros par an. Les communes d'Outre-mer pourraient aussi bénéficier des crédits du plan de relance : seuls 1,5 % des 100 milliards d'euros sont prévus pour l'Outre-mer, qui représente pourtant 4,3 % de la population nationale.
Il convient d'exempter les Outre-mer de la nouvelle contribution au redressement des finances publiques prévue à partir de 2023, quelle qu'en soit la forme, et de maintenir les dépenses fiscales de l'État, voire d'en rétablir certaines.
L'intensité concurrentielle doit être accrue dans l'ensemble des secteurs économiques ultramarins. Il faut garantir le désenclavement numérique à moindre coût et la continuité territoriale digitale pour les territoires ultramarins.
L'augmentation de la capacité de production locale permettra de se diriger vers l'autonomie alimentaire. Cela suppose d'accompagner la diversification – j'ai déposé un amendement à cette fin – et la structuration de filières de production locales. Il faut développer les échanges économiques et commerciaux avec les bassins régionaux voisins.
Tous les acteurs doivent converger autour de l'appel de Fort-de-France pour libérer l'initiative. Il s'agit de changer de paradigme, de résoudre concrètement les problèmes structurels par la création endogène d'outils, de moyens, de compétences et de pouvoirs locaux, pour œuvrer au développement économique et à l'épanouissement des populations.
Enfin, pour approfondir la démarche eu égard à ces enjeux essentiels, je propose de créer une commission d'enquête parlementaire sur la vie chère dans les Outre-mer. Les DOM et les collectivités d'Outre-mer (COM) constituent une richesse qu'il faut développer.