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Intervention de Patrick Hetzel

Séance en hémicycle du lundi 27 mai 2024 à 16h00
Discussion d'une proposition de loi — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Hetzel :

Il n'est pas éthique de ne pas nommer correctement les choses ; il est des sujets pour lesquels il est impossible de louvoyer et de manœuvrer.

Dans son ouvrage Soi-même comme un autre, Paul Ricœur insiste sur la nécessité de s'envisager soi-même en tant qu'autre. Le respect porté aux autres en général, et aux plus fragiles en particulier, est un reflet de ce qu'est ontologiquement et profondément une société. Donner la mort est évidemment tout sauf anodin. Inclure cette perspective dans la pratique professionnelle des soignants, c'est rompre avec vingt-cinq siècles de déontologie médicale.

Il est très choquant de légiférer sur une telle question alors même que chaque jour, 400 à 500 de nos concitoyens sont privés d'accès aux soins palliatifs par manque de moyens, tant financiers qu'humains. Légaliser le suicide assisté et l'euthanasie alors même que l'accès aux soins palliatifs reste limité peut conduire certaines personnes à recourir aux premiers parce qu'elles sont privées des seconds. Vous en conviendrez, c'est particulièrement choquant. Nous ne pouvons accepter qu'un suicide assisté soit un choix par défaut : ce serait terrible.

Il est singulièrement troublant que vous cherchiez à transformer la philosophie des soins palliatifs, qui visent précisément à éviter l'acharnement thérapeutique, à soulager les douleurs et à offrir des soins jusqu'à la fin de la vie. Là aussi, vous jouez avec les mots, mais le projet ainsi exposé cache son dessein.

Vous parlez de soins d'accompagnement, une expression plus englobante dans laquelle vous cherchez à absorber les soins palliatifs. Ce faisant, vous élaborez un continuum entre soins palliatifs, suicide assisté et euthanasie. Or la philosophie des soins palliatifs est radicalement différente : donner la mort n'est pas un soin.

Permettez-moi d'aller encore plus loin. Avec ce projet de loi, vous allez pervertir ce trésor national que sont les soins palliatifs. Le triptyque sur lequel ils reposent est consubstantiel à leur pratique : personne ne doit mourir seul, personne ne doit subir d'acharnement thérapeutique et personne ne doit souffrir.

Ce projet, qui a une dimension civilisationnelle et profondément humaniste, est basé sur une confiance réciproque et inaliénable entre soignants et patients, confiance qui repose aussi sur le fait que le patient n'a pas à s'inquiéter : à aucun moment les soignants ne seront là pour lui donner la mort. Quelle ironie du sort que de vouloir qualifier l'acte létal de soin ultime ! C'est vouloir donner bonne conscience à ceux qui seront conduits à pratiquer le geste, mais c'est balayer d'un revers de la main une valeur fondamentale : la protection de la vie. En autorisant des soignants et des tiers à donner la mort à autrui, vous rompez avec la philosophie même du soin. Les lois devraient protéger et rassurer, et non pas inquiéter.

J'ai rencontré des personnes littéralement assommées par ce qui s'est passé en commission. Âgées, malades, dépendantes quelquefois, vulnérables souvent, certaines en sont réduites à s'excuser d'être encore là et d'être un coût pour la société. Elles ne vous écriront pas, madame la ministre, trop occupées qu'elles sont à se faire toutes petites.

Avez-vous conscience que votre projet de loi, qui n'en est qu'au stade du débat parlementaire, produit déjà des effets terribles auprès des plus fragiles et des plus vulnérables de nos concitoyens ? Que faisons-nous de notre humanité ? Je ne me résoudrai jamais à ce qu'elle soit réduite à des lignes et des colonnes dans un tableau Excel.

Nous devons inlassablement transmettre le message suivant : il y a un pacte social autour d'une fraternité véritable. Les sujets du grand âge, de la souffrance et de la fin de vie sont essentiels. Madame la ministre, vous avez parlé en commission de processus, de technique et de la dimension réglementaire du serment d'Hippocrate. J'aurais préféré vous entendre parler de relations, d'inclusion et de fraternité authentique.

Celles et ceux qui incarnent ces valeurs existent pourtant : ce sont tous ces professionnels engagés dans les équipes de soins palliatifs et les bénévoles qui suivent les patients. Ils vont désespérer avec ce texte qui prévoit d'inoculer la mort alors qu'ils se battent pour que la vie règne jusqu'au bout.

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