Je suis très heureux et honoré de présenter, pour la première fois en tant que rapporteur, un texte devant la commission des lois.
La proposition de loi soumise à notre examen fait écho à la fois au devoir fondamental le plus ancien de l'État – assurer la sécurité des citoyens – et à son obligation contemporaine la plus ardente : favoriser la transition écologique. Les pouvoirs publics ne ménagent pas leurs efforts pour encourager un usage plus large des transports collectifs – avec un certain succès, puisque cet usage augmente d'année en année. Les transports collectifs, éléments essentiels de la vie quotidienne des Français, sont à la fois une source de liberté et un pilier de la transition écologique, puisque les déplacements représentent 30 % de l'empreinte carbone de nos concitoyens.
Mais s'ils apparaissent incontournables, ils sont aussi profondément vulnérables. Les gares, les arrêts de bus, les véhicules sont des carrefours d'échanges et de trafic, des lieux de vie dont les usagers sont parfois exposés à des menaces. Pour qu'ils puissent rester ouverts, ce que je souhaite, cette vulnérabilité doit être prise en compte et la question de la sécurité ne saurait être considérée comme anecdotique ou secondaire.
D'abord, la menace terroriste est croissante et ne disparaîtra pas, comme en témoignent les événements qui ponctuent trop souvent l'actualité : je songe aux attaques survenues à Mulhouse ou à la gare de Lyon il y a quelques semaines, à la gare du Nord il y a quelques mois, ou à la gare Saint-Charles de Marseille il y a quelques années. Ensuite, les transports publics sont le lieu de comportements qui ont trop longtemps été sous-estimés, comme les agressions à caractère sexiste et sexuel, dont les femmes sont les premières victimes. Enfin, une étude conduite en 2023 par l'Observatoire de la mobilité, organe créé par l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP), montre que la sécurité constitue le critère le plus important au moment de choisir un mode de transport, devant la rapidité ou le coût. Or, un tiers des personnes interrogées dans le cadre de cette enquête associent le terme « insécurité » aux transports publics.
Cette perception ne saurait être réduite à un simple sentiment, puisque les données disponibles témoignent d'une insécurité réelle dans les transports en commun. On comptait ainsi, en 2023, près de 91 000 victimes de vols sans violence et 6 500 victimes de vols violents, plus de 7 600 victimes de coups et blessures volontaires et près de 2 500 victimes de violences sexuelles. L'Île-de-France est particulièrement touchée, mais le problème ne se limite pas à la région francilienne ou à quelques métropoles.
Deux analyses politiques caricaturales pourraient dès lors s'opposer.
La première conduirait à estimer que la situation est dramatique et qu'elle se dégrade, ce qui n'est pas exact. Les efforts du législateur – dont témoignent la loi du 22 mars 2016 relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs, dite loi Savary, mais aussi la loi du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés ou encore la loi du 19 mai 2023 relative aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions –, couplés aux actions du Gouvernement et des collectivités pour augmenter les effectifs des forces de sûreté, portent leurs fruits. Les chiffres de la délinquance dans les transports, même s'ils restent très élevés, ont ainsi diminué en 2023, à l'exception notable et insupportable des violences sexuelles.
La seconde approche consisterait à se contenter de cette tendance encourageante, alors même que la situation demeure préoccupante. Cette question doit être prise au sérieux : il y va de la qualité du service public et de l'attractivité des transports. À la hausse du nombre de victimes de violences sexuelles s'ajoutent la menace terroriste et la multiplication de comportements de plus en plus dangereux. La SNCF indique ainsi que le nombre d'objets dangereux – notamment des armes – introduits sur ses réseaux a triplé en cinq ans, pour s'établir à 4 100 en 2023. Enfin, les agents des transports publics sont de plus en plus souvent victimes d'agressions, verbales ou physiques, ou pris dans des rixes.
C'est dans ce contexte que nous examinons cette proposition de loi, déposée par le sénateur des Alpes-Maritimes Philippe Tabarot et examinée par la commission des lois du Sénat sous l'égide de sa rapporteure, Nadine Bellurot, avant d'être adoptée en séance le 13 février dernier.
Le texte comporte des mesures concrètes et pragmatiques qui me semblent indispensables. Il importe de concilier deux mouvements complémentaires pour mener une action efficace en vue de renforcer la sûreté dans les transports : le renforcement des effectifs d'agents de sûreté, de police, de gendarmerie, ou encore des militaires mobilisés dans le cadre de l'opération Sentinelle ; et l'élargissement des compétences et prérogatives qui leur sont dévolues. C'est à ce second mouvement que la proposition de loi participe.
Il s'agit d'un texte d'approfondissement, qui s'inscrit dans le prolongement des lois que j'ai évoquées et dont certaines ont fait l'objet de débats animés. Il serait présomptueux de prétendre que cette proposition de loi mettra un point final au problème de la sûreté dans les transports et au débat sur les compétences devant être confiées aux agents chargés de l'assurer. L'action publique, en matière de sécurité, doit, par définition, s'adapter sans cesse à la nature de la menace et aux évolutions technologiques – nous reviendrons sur ce point, car j'estime que nous devons utiliser les techniques à notre disposition, comme l'intelligence artificielle, pour mieux protéger nos concitoyens, à condition de les encadrer.
Le texte n'a pas non plus pour objet de mener à son terme le rapprochement entre le statut des forces de sûreté des opérateurs de transport et celui des forces de sécurité intérieure. Il s'agirait là d'une mutation fondamentale, qui soulèverait des questions très lourdes et difficiles à trancher. Elle supposerait par exemple d'étendre aux agents de sûreté le cadre régissant les officiers de police judiciaire (OPJ), ce qui n'apporterait d'ailleurs pas que des avantages sur le plan opérationnel.
J'insiste également sur le fait que les quelque 5 000 agents de sûreté des transports, notamment ceux de la Sûreté ferroviaire de la SNCF – auparavant connue sous le nom de Surveillance générale, ou Suge – et du groupe de protection et de sécurité des réseaux (GPSR) de la RATP, sont des agents publics assermentés, dont les compétences sont définies par le législateur. Il ne s'agit ni de mercenaires, ni d'agents de sécurité privée : leurs prérogatives étendues sont assorties de responsabilités importantes et d'un cadre propre à leur statut.
Les vingt-deux articles du texte me semblent pouvoir être classés en trois catégories.
Le cœur régalien de la proposition de loi est constitué des trois premiers articles, qui visent à renforcer les pouvoirs d'intervention des forces de sûreté ferroviaire pour faciliter les palpations de sécurité ou la saisie d'objets dangereux et à élargir leur périmètre d'action, en leur permettant notamment d'intervenir aux abords des gares ou d'interdire à certaines personnes d'y pénétrer. Ces dispositions, pragmatiques et équilibrées, feront probablement l'objet de longs échanges.
Cette approche est complétée, aux articles 8 à 11, de dispositions relatives à l'utilisation des technologies disponibles, comme les caméras-piétons, l'intelligence artificielle, ou encore les techniques de captation de l'image ou du son.
Enfin, la troisième catégorie englobe des dispositions de lutte contre l'insécurité du quotidien et les incivilités d'habitude, de la fraude aux attitudes menaçantes ou dangereuses – autant de comportements qui, s'ils ne doivent pas être placés au même niveau que les menaces à caractère terroriste, n'en méritent pas moins l'attention du législateur.
J'ajoute que le texte, s'il comporte quelques dispositions spécifiques à la région francilienne, ne concerne pas uniquement l'autorité organisatrice des mobilités (AOM) d'Île-de-France ni les grandes métropoles, même si l'insécurité s'y concentre. Il ne s'agit pas non plus d'une loi de circonstance, motivée par la seule perspective des Jeux olympiques et paralympiques, même si les grands événements internationaux peuvent jouer un rôle d'accélérateur en matière de sécurité.
Mes travaux m'ont conduit à mener treize auditions, au cours desquelles j'ai entendu plus de quarante personnes – opérateurs de transport, autorités organisatrices, responsables d'administration, mais aussi la présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) ou les représentants d'associations d'usagers des transports publics. J'ai également effectué quatre déplacements, en immersion aux côtés d'agents de la Suge et de la RATP, au sein du centre de coordination opérationnelle de sécurité (CCOS) de la préfecture de police de Paris, ou encore à l'Université de la sûreté de la SNCF.
À la lumière de ces éléments, je suis convaincu de l'importance, et même du caractère essentiel de ce texte, non seulement pour défendre et renforcer le service public des transports, mais aussi pour réussir la transition écologique et encourager le report modal. Il permettra aussi de protéger les usagers et les agents des transports, qui ne disposent pas toujours des moyens matériels ou juridiques nécessaires pour répondre aux menaces. Il nous revient de trouver l'équilibre entre l'impératif de sécurité et la protection des libertés publiques. Tels sont les critères qui ont guidé mon action : efficacité opérationnelle, robustesse juridique et nécessité de trouver un terrain d'entente avec le Sénat afin que le texte aboutisse le plus rapidement possible.
Je tiens à remercier le président Sacha Houlié pour sa confiance et à saluer les collègues qui ont participé aux déplacements sur le terrain, comme Guillaume Gouffier Valente et Aude Luquet, ou qui, à l'instar de Thomas Portes, ont assisté à plusieurs auditions.