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Intervention de Joël Sorres

Réunion du jeudi 11 avril 2024 à 9h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté alimentaire de la france

Joël Sorres, président de l'Office de développement de l'économie agricole d'outre-mer :

Pour commencer par me présenter, je suis agriculteur, plus précisément maraîcher sur l'île de La Réunion. Je produis des légumes sur 3 800 mètres carrés de serres et de la canne à sucre sur près de 9 hectares. L'exploitation se compose de deux permanents et d'un apprenti. Je produis globalement entre 70 et 80 tonnes de légumes suivant les années et un peu plus de 600 tonnes de canne. Enfin, j'ai l'honneur de présider le conseil d'administration de l'ODEADOM, une présidence qui tourne entre les différents territoires concernés.

Autant vous le dire tout de suite, la souveraineté alimentaire ne signifie pas pour moi l'autosuffisance alimentaire. Dans les départements d'outre-mer tels que la Guyane, la Guadeloupe, la Martinique, Mayotte et La Réunion, notre objectif est de nourrir la population en intégrant la capacité d'échanges qu'ont les DROM (départements et régions d'outre-mer). La conscience de cette nécessité est très ancienne chez les agriculteurs ultramarins, du fait de notre éloignement de l'Union européenne continentale. Notre insularité et l'étroitesse de nos marchés mettent à mal notre modèle économique.

La crise sanitaire liée au covid a révélé les fragilités structurelles des chaînes d'approvisionnement mais également la force d'adaptation de l'agriculture locale pour répondre aux besoins alimentaires des populations. Cette conscience est d'autant plus vive que, depuis de nombreuses années, nos régions sont soumises à des aléas climatiques qui malheureusement s'intensifient – sécheresse à Mayotte, périodes cycloniques à La Réunion, en Martinique et en Guadeloupe. Cette réalité oblige les professionnels à acquérir des réflexes de production différents de ceux que vous connaissez dans l'Hexagone.

Nous souffrons également d'une dépendance dans chacun de nos territoires, différente selon les filières et inhérente à notre situation régionale. Elle ne pourra jamais trouver une seule réponse et sera toujours évolutive. Nous n'écartons pas les cultures d'exportation, qui ont un poids économique d'importance et participent grandement à l'équilibre de la balance commerciale agricole. Elles occupent une place notable dans les revenus agricoles et l'emploi, et sont un gage de stabilité économique pour les agriculteurs.

Les outre-mer sont particulièrement dépendants de facteurs de production agricole tels que l'approvisionnement en alimentation animale et en produits vétérinaires pour l'élevage. Ce sont des facteurs limitants pour le développement de nos filières volaille et porcine, qui connaissent un intérêt marqué de nos consommateurs.

Les enjeux en matière de souveraineté alimentaire portent clairement sur les filières des fruits et légumes et de l'élevage. De façon globale, on observe une augmentation tendancielle de la production dans le secteur organisé – pour les intrants et les semences, nous sommes et resterons dépendants des importations. Ces filières se construisent, les organisations de producteurs se développent, les instituts techniques s'implantent dans nos territoires. Nous nous sommes engagés dans cette dynamique il y a un peu plus de quinze ans : c'est donc tout récent mais on voit déjà des résultats, même s'il reste encore du chemin à parcourir.

La démarche de transformation agricole des outre-mer a été lancée dans le discours prononcé par le Président de la République, le 25 octobre 2019, à La Réunion. L'objectif est d'aller vers un mode de production conforme aux attentes de nos citoyens, avec des produits issus de nos territoires et dont l'origine est identifiée, afin de tendre vers la souveraineté alimentaire à l'horizon 2030.

Quatre ans après ce discours, un premier bilan peut être fait. Les comités de transformation agricole se sont tenus sous l'égide des préfets et des collectivités. Les stratégies de développement ont été bâties avec l'ensemble des représentants du monde agricole et des consommateurs. Désormais, chaque territoire dispose d'une feuille de route pour atteindre la souveraineté alimentaire en tenant compte des réalités locales. Des objectifs chiffrés ont été établis et les données des services statistiques permettront de mesurer chaque année l'avancée de ces démarches.

Les principaux leviers à actionner ont été identifiés : l'adaptation au changement climatique ; la situation phytosanitaire ; le conseil technique aux agriculteurs ; l'installation ; la recherche agronomique. Nos territoires étant les seules régions tropicales et subtropicales de l'Union européenne, il est primordial d'aborder la question foncière et de trouver des solutions adaptées.

Le soutien de l'État a été renforcé pour accompagner les augmentations de production. Des aides ponctuelles ont été mises en place pour faire face aux aléas du marché ; elles nous ont permis de tenir, face par exemple au covid ou au conflit en Ukraine, et de limiter les ruptures entre la production et la consommation. L'accompagnement s'est également porté sur l'acquisition d'équipements, permettant de créer de nouveaux itinéraires techniques. Enfin, la production a été soutenue dans le cadre du plan de relance et des différents guichets de France 2030 ouverts par FranceAgriMer.

Le comité interministériel des outre-mer (CIOM) du 18 juillet 2023 a créé une task force dédiée à la problématique phytosanitaire des cultures ultramarines. À partir de 2024, les nouveaux crédits de la planification écologique permettront, par le biais du plan Écophyto 2030 et du fonds de souveraineté alimentaire, de soutenir ces démarches et de rendre nos agricultures plus performantes.

Parmi les outils de développement de la structure agricole figure le programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI). Cet outil de politique publique, fonctionnel et adapté au contexte des DROM, est élaboré par l'État en concertation avec les professionnels. Destiné à soutenir le revenu des agriculteurs et à améliorer la structuration des filières, il vient aussi en compensation de certaines difficultés régionales. Les modifications annuelles dont il fait l'objet lui confèrent une certaine souplesse. Il convient désormais de suivre collectivement les objectifs fixés et de veiller à la maîtrise des leviers identifiés dans chaque territoire.

Néanmoins, une attention particulière à la situation de nos territoires doit être maintenue. L'application des orientations nationales doit trouver une déclinaison locale, voire faire l'objet d'une construction avec les territoires ultramarins. Il est nécessaire d'adapter les plans nationaux aux besoins identifiés dans les plans de transformation et d'assurer un accompagnement équilibré de la production agricole, avec des filières de production diversifiées. Il faut également traiter la question de la capacité d'emploi au profit de l'agriculture. Enfin, le revenu des producteurs est un point important.

Ces demandes sont essentielles au regard de la situation économique, mais aussi sociale de nos territoires. Il convient de tenir compte du contexte, notamment de la croissance démographique de certains territoires, du taux de chômage plus important que la moyenne nationale, de la cherté de la vie et du taux de pauvreté plutôt élevé chez nous. Tous ces facteurs sont analysés annuellement par le conseil d'administration de l'ODEADOM. Nous travaillons sur les évolutions structurelles du POSEI. Le contrat d'objectifs et de performance signé par nos deux ministres lors du salon international de l'agriculture en 2024 confie à l'ODEADOM la coordination de ces travaux. Je veillerai avec un très grand intérêt à leur mise en œuvre.

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