Nous allons en effet devoir nous poser de vraies questions et réfléchir aux possibles orientations. Les agriculteurs l'ont dit souvent, notamment au cours des mobilisations : ils veulent vivre de leur métier, non toucher des aides. Ils se disent que s'ils ne percevaient plus les aides, ils ne seraient plus soumis aux multiples contrôles qu'implique la perception de fonds publics – une exploitation peut connaître quarante-cinq contrôles par an.
Sommes-nous prêts à faire basculer nos modes de consommation, donc nos choix de société, pour parvenir à une agriculture capable de se passer de subventions ? Personne n'est dupe : si on enlève ces dernières, les entreprises agricoles devront aller chercher ailleurs les montants perdus. La compensation peut s'obtenir par la baisse du coût social du travail. On peut également autoriser à nouveau des systèmes dont les coûts de production sont moins élevés, en utilisant des molécules actuellement interdites et en intensifiant les productions pour alléger les charges – plus une entreprise optimise et dilue les charges, plus elle est rentable.
Une autre solution existe, que l'ensemble de la classe politique devrait assumer. Elle exigerait de mener plusieurs chantiers, dont il nous semble important qu'ils le soient en même temps. Premièrement, nos concitoyens devraient s'habituer à payer leur alimentation à un juste prix et non à un prix faussé à coups de subventions. Cela impliquerait toutefois qu'ils puissent dégager du revenu ; or le poids du logement et d'autres charges est tel dans le budget des ménages qu'il faudrait du courage et de l'allant. Nous l'avons toujours dit, maintenir des prix d'alimentation bas pour préserver le pouvoir d'achat est une folie qui détruit l'agriculture française. Il vaut mieux réfléchir à baisser le coût du logement, des transports, de l'énergie que celui de l'alimentation.
Après toutes ces années de PAC, le nombre d'exploitations n'a fait que baisser ; en 2024, une majorité d'agriculteurs ne vivent pas dignement de leur métier et remettent en cause leur activité. Il va falloir faire des choix et les assumer. L'orientation prise par les politiques, comme par la ferme France, de tendre vers une agriculture avec un standard reconnu, qui concilie niveau de production et préservation de son environnement est la bonne – les Chinois viennent chercher le lait en poudre en France non seulement pour son prix mais aussi pour ses normes de sécurité sanitaire. Cependant, les politiques publiques environnementales mises en œuvre à marche forcée ne sont plus supportables économiquement pour les exploitations, qui décrochent en cas de hausses de prix.
L'enjeu est donc de revoir le modèle de consommation, notamment les coûts de l'alimentation. Demain, il faudra sans doute se demander à quoi sert la PAC et assumer tous les choix qui seront faits en la matière.