Nous le répétons souvent, nous défendons tous les types d'agriculture. Ils sont complémentaires ; chacun a sa place et son intérêt. Leur diversité fait notre richesse, en les tirant tous vers le haut.
Je ne vous cache pas que la crise et le manque de rémunération ont affaibli l'attractivité du bio. Nous avions donné l'alerte il y a un moment déjà : la façon dont notre pays développait la filière, à coups de subventions, notamment dans certaines régions qui distribuaient des aides pour faire bien et montrer leur engagement en faveur de l'environnement, risquait de la déconnecter du marché potentiel. On en revient souvent à ce problème : l'éloignement de la réalité économique. Les réformes sont souvent menées à l'affect, en voulant conformer les modèles agricoles à des représentations. Ainsi, le bio traverse une crise grave ; certes, il en a déjà connu, mais celle-ci est sans précédent.
À titre personnel, je l'avais sentie venir. J'avais alerté les syndicats bio sur le risque qu'ils couraient à passer leur temps à taper sur les agriculteurs de la filière conventionnelle plutôt qu'à structurer la leur. La GMS – les grandes et moyennes surfaces –, commençait à le faire pour eux, utilisant leur image sans les rémunérer. On voit des publicités comme : « un steak haché bio acheté, un offert » ; je voudrais qu'on m'explique comment on peut ensuite payer l'agriculteur.
Il faut avoir conscience que les prix des produits bio ne peuvent être les mêmes que ceux d'une agriculture de cœur de gamme. La seule variable d'ajustement du budget des ménages français est souvent l'alimentation, or si les gens se détournent du bio, celui-ci trinque.
Pendant la période de covid, la communication a permis à nos concitoyens de voir que l'agriculteur de nos villages, même s'il n'a pas de label bio, n'élève pas ses animaux à coups d'antibiotiques et en les maltraitant, comme on a pu le faire croire. Ils ont constaté que le modèle agricole français est plutôt durable, qu'il respecte des standards et des principes, et ils se sont rendu compte qu'ils n'avaient pas forcément un intérêt majeur à préférer des produits qui coûtent parfois plus cher. C'est en partie regrettable, parce que des agriculteurs se sont engagés dans cette voie.
Nous avons également commis l'erreur de laisser entrer des produits bio qui sont loin de respecter les normes en vigueur en France. Dans certains pays d'Europe, la qualité du bio est celle du conventionnel chez nous : cela jette, à tort, un fort discrédit sur la filière et ses produits.
Pour les Jeunes Agriculteurs, la priorité consiste donc à donner rapidement une réponse aux gens qui se sont installés dans le secteur bio il y a des années ou qui l'ont choisi par conviction. Il faut leur permettre de continuer leur activité. En revanche, une partie des exploitants ont choisi le bio parce qu'ils étaient en difficulté dans leur propre filière et que ce secteur bénéficiait de solides soutiens financiers. Ceux-là sont les premiers à se déconvertir, c'est-à-dire à retourner dans la filière conventionnelle. L'enjeu est de taille. Selon moi, dans la crise que nous traversons, les syndicats du bio doivent nous aider à identifier les exploitants qui ont choisi ce domaine par conviction, afin de flécher les aides, tandis qu'on laissera les autres rebasculer dans le conventionnel. Il faut retrouver une dynamique avant de laisser d'autres gens s'installer dans le bio : on ne peut pas dire à des gens « venez » et ne pas leur assurer un revenu. Nous restons convaincus que vouloir une agriculture française 100 % biologique serait une erreur stratégique.