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Intervention de Arnaud Gaillot

Réunion du jeudi 11 avril 2024 à 9h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté alimentaire de la france

Arnaud Gaillot, président des Jeunes Agriculteurs :

Je vous remercie pour votre invitation à venir nous exprimer devant votre commission d'enquête. Si celle-ci trouve sans doute son origine dans les mobilisations du début d'année, cela fait en réalité plusieurs années que nous alertons sur les sujets mis en avant à cette occasion.

Pour les Jeunes Agriculteurs, l'agriculture a une triple vocation : nourrir la population, contribuer à la décarbonation de l'économie et participer aux équilibres alimentaires mondiaux. Nous considérons en effet que l'agriculture française doit aussi approvisionner les pays qui n'ont pas les moyens de produire eux-mêmes, et qu'il serait insensé qu'elle s'en prive.

Pour nous, la souveraineté alimentaire participe de la souveraineté agricole sous son aspect de la production d'une alimentation de qualité et en quantité suffisante – un autre de ces aspects étant la participation au déploiement des énergies renouvelables, dont nous devons nous saisir pour l'avenir. Pour assurer la souveraineté alimentaire, il faudra relever le défi de la démographie ; ce sera un des enjeux de la loi d'orientation que de préparer le remplacement, d'ici à dix ans, des 200 000 agriculteurs qui partiront à la retraite.

Je voudrais citer quelques chiffres émanant de l'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer). Nous avons perdu plus de 100 000 agriculteurs depuis 2010. Une exploitation française compte en moyenne 69 hectares de surface agricole utile (SAU), ce qui est relativement peu par rapport à la taille de certaines exploitations européennes. Le nombre de salariés augmente dans les exploitations agricoles : l'année dernière, pour la première fois, ils étaient plus nombreux, en région Bretagne, que les chefs d'exploitation – pour nous, cela marque un tournant dans le fonctionnement de l'agriculture.

Un chiffre nous alerte et nous conduit à souhaiter un dispositif ambitieux d'accompagnement à l'installation dans le projet de loi d'orientation : en France, la moyenne d'âge des agriculteurs s'établit à 51,4 ans et 20 % des agriculteurs ont plus de 60 ans. Il nous semble important, enfin, de souligner l'augmentation de plus de 10 % du nombre d'agriculteurs titulaires du baccalauréat ou d'un diplôme de l'enseignement supérieur, qui marque la tendance à la professionnalisation des chefs d'exploitation.

Bien sûr, certaines filières sont en danger. Le cheptel bovin, en particulier, a perdu près d'un million de têtes. Certaines filières végétales, notamment celles du blé dur, du colza, du chou-fleur et de la moutarde, connaissent une baisse de la production et des capacités. D'autres se développent ; c'est le cas de celles de l'orge, de la fraise, de la pomme de terre, de l'œuf et de la volaille.

Le changement climatique affecte de plus en plus notre agriculture, en particulier dans les régions Occitanie, Provence-Alpes-Côte d'Azur et Nouvelle-Aquitaine. Des aléas climatiques réguliers réduisent parfois à néant certaines productions, provoquant des crises.

Les Jeunes Agriculteurs regardent l'avenir. Loin de considérer que tout est perdu et qu'il n'y aurait plus d'espoir, nous croyons que l'on peut faire de toute crise une opportunité. Nous avons participé à de nombreux groupes de travail dans le cadre de la préparation du projet de loi d'orientation agricole et sommes convaincus qu'il faut accroître l'attractivité du métier et renforcer l'accompagnement et la formation de nos agriculteurs. Il faut aussi faciliter, grâce à l'amélioration des dispositifs fiscaux, la transmission des exploitations, parent pauvre de nos politiques publiques depuis des années. On considère trop souvent en France que les transmissions ne se font qu'entre parents et enfants, en oubliant que de plus en plus d'agriculteurs s'installent en dehors du cadre familial. Quand bien même ce serait le cas, les enfants reprenant l'exploitation de leurs parents doivent, eux aussi, s'acquitter de frais. C'est ainsi qu'on a pu s'émouvoir de voir de grands vignobles passer sous capitaux étrangers. Les Jeunes Agriculteurs disent depuis longtemps que la fiscalité handicape voire empêche les transmissions.

Bien entendu, il faut également sécuriser les revenus, raison pour laquelle nous plaidons pour un renforcement des lois Egalim tenant compte, notamment, des coûts de production définis par les interprofessions. Comme nous le disons cependant depuis quelque temps, les lois Egalim ne résoudront pas tous les problèmes. Elles n'auront pas d'effet sur les marchés à l'export, par exemple. Si elles permettent de sécuriser les prix, elles n'empêchent pas non plus les produits agricoles français de se retrouver sur les mêmes étals que des produits venus de l'étranger et dont les coûts de production défient toute concurrence. Or, du fait de la baisse du pouvoir d'achat, les consommateurs français se sont progressivement détournés des produits français au profit de produits étrangers, mettant à mal de nombreuses filières. Celle du bio, en particulier, en a fait les frais.

Les Jeunes Agriculteurs ont ainsi souhaité que soit inscrite dans le projet de loi d'orientation agricole la nécessité d'une sensibilisation de nos concitoyens aux enjeux liés à l'alimentation. On oublie trop souvent que le risque de pénurie existe – on l'a vu avec la moutarde, notamment – et qu'une alimentation de qualité est l'un des premiers facteurs de bonne santé.

L'agriculture française est riche de ses différents modèles et de ses exploitations de tailles variées qui, toutes, ont leur utilité dans leur territoire. Cependant, la crise que nous avons traversée va nous conduire à repenser nos modèles. Nous avons récemment proposé des plans et contrats d'avenir pour lancer une réflexion : la compétitivité de nos exploitations sur leurs segments de marché est-elle suffisante pour rémunérer dignement les agriculteurs ? Sans présager des résultats, on peut considérer que de nombreuses filières sont en difficulté, en particulier celles qui proposent des produits cœur de gamme : la volaille est concurrencée par le poulet ukrainien, les fruits et légumes par des produits venus de l'étranger, souvent traités avec des produits interdits en France.

La relance de nos filières pourra venir en partie de la restauration collective, dans le cadre de laquelle sont consommées la moitié des calories en France. Sur 90 000 cantines, 35 000 sont inscrites sur le site ma-cantine.agriculture.gouv.fr, dont 20 000 seulement ont publié leurs données et 12 000 ont réalisé un diagnostic. Cela montre le travail qu'il reste à accomplir, et cela conduit à penser que les cantines publiques sont loin de respecter les objectifs de 50 % de produits durables dont 20 % de produits bio fixés par la loi Egalim 1 – pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous. Nous regrettons que trop de cantines à la main de l'État ne respectent pas les règles mises en place par celui-ci.

Pour les Jeunes Agriculteurs, la gestion et le stockage des ressources en eau sont l'enjeu du siècle : si nous n'anticipons pas mieux, nous allons au-devant de problèmes importants. Cela exige de mettre fin aux tensions et aux débats passionnés que cette question suscite entre les multiples acteurs concernés. Il n'y aura pas d'agriculture sans eau, mais il n'y aura pas de vie non plus. La situation dramatique que connaît actuellement le département des Pyrénées-Orientales en est l'illustration.

Il faudra aussi s'interroger, à l'avenir, sur la Politique agricole commune (PAC). Lorsqu'il a été décidé, dans les années 2000, de soutenir les efforts environnementaux plutôt que les prix, on a oublié qu'il fallait que les prix payés aux producteurs augmentent pour que le système fonctionne. Aujourd'hui, celui-ci est déséquilibré.

Les Jeunes Agriculteurs plaident enfin pour la cohérence dans les accords internationaux de libre-échange. Nous avons toujours dit que nous n'étions pas opposés aux accords, à condition que ceux-ci contiennent des clauses miroirs et que le respect des standards de production puisse être contrôlé.

Une crise de confiance, démocratique, géopolitique, économique et climatique perturbe nos milieux agricoles depuis un moment. La souveraineté alimentaire est mise à mal, certes, mais la France et l'Union européenne ont largement la capacité de relever le défi. Il est temps que la classe politique entende les agriculteurs qui se sont exprimés, trouve des solutions et fasse les bons choix, sans quoi nous courrons vers une situation qui n'est voulue par personne.

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