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Intervention de Karine Lebon

Séance en hémicycle du jeudi 23 mai 2024 à 9h00
Assurer une justice patrimoniale au sein de la famille — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaKarine Lebon :

La proposition de loi de nos collègues du groupe MODEM sur la justice patrimoniale au sein de la famille se donne pour objectif de rendre plus juste le droit des régimes matrimoniaux et donc de préserver les intérêts des ex-conjoints et de leurs héritiers en cas de divorce, de dissolution du pacs ou d'homicide conjugal. Elle tend donc à assurer une justice fiscale et à épargner une double peine aux victimes et covictimes, en préservant leur intégrité patrimoniale.

En effet, les époux et partenaires de pacs forment un foyer fiscal. Ils sont donc soumis au principe de solidarité fiscale, mais en cas de dissolution du pacs, de divorce ou de décès de l'un des conjoints, cette solidarité se transforme souvent en injustice, par effet de laquelle l'un des ex-conjoints et ses héritiers sont lésés.

Il est toujours délicat de parler d'argent et de patrimoine au sein du couple. Titiou Lecoq écrivait dans son ouvrage Le Couple et l'argent : « Dans un couple, parler d'argent reste délicat. Comme si défendre son intérêt personnel revenait à dire : Je ne crois pas en notre amour . On bute là sur un premier tabou. Cela revient souvent à envisager que l'on ne sera pas toujours ensemble. Or, pendant la vie conjugale, personne ne veut évoquer une hypothétique rupture. »

Notre rôle de législateur est pourtant de réparer des injustices, où qu'elles se trouvent. Cette proposition de loi vise justement à améliorer la situation des femmes qui sont, dans la plupart des cas, concernées par des injustices clairement présentées dans l'exposé des motifs : « En cas de séparation, une dette fiscale peut peser injustement sur l'un des ex-conjoints et il s'agit à plus de 80 % de femmes, alors même que la séparation entraîne déjà pour une grande majorité d'entre elles une perte sensible de revenus. »

L'appauvrissement après une séparation touche aussi les femmes âgées : le revenu des femmes sexagénaires chute ainsi de 31 % après leur divorce. Quel que soit leur âge, le niveau de vie des femmes accuse une baisse de 14 % l'année suivant le divorce, alors que celui des hommes augmente de 1,6 %.

La dette de l'ex-conjoint pose d'autant plus problème qu'il n'est pas financièrement indépendant. Il apparaît ainsi que la solidarité fiscale imposée aux femmes est l'une des raisons pour lesquelles elles se maintiennent dans le domicile conjugal, alors même qu'elles sont victimes de violences intrafamiliales.

Oui, les femmes sont les principales victimes de violences conjugales et intrafamiliales : en 2022, 118 femmes sont décédées des suites de violences conjugales, contre 27 hommes. Réalisée par la délégation aux victimes du ministère de l'intérieur, l'étude nationale sur les morts violentes au sein du couple pour l'année 2022 montre qu'un meurtre conjugal en moyenne est enregistré tous les deux jours et demi. Nous ne pouvons continuer de tolérer cette situation révoltante.

Cette proposition de loi ne vise pas à enrayer les violences faites aux femmes, mais permettra au moins à certaines d'entre elles de divorcer, de partir, de se sauver. Le groupe Gauche démocrate et républicaine salue le travail et l'implication de Mme la rapporteure sur ces questions.

Très concrètement, la proposition de loi tend à corriger plusieurs injustices. Elle met notamment fin à l'incohérence législative, en reconnaissant, dans le droit positif, la notion d'indignité successorale, qui permet d'exclure de la succession les personnes condamnées pour avoir « volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt ». Le vote de cette proposition de loi rappelle qu'il est actuellement possible, pour un époux ayant attenté à la vie de son conjoint, de bénéficier légalement d'un avantage matrimonial.

L'article 1er tend à empêcher la personne qui a tué son conjoint d'hériter des biens de ce dernier. Il était urgent de rectifier ce qui était une anomalie, une honteuse injustice juridique et morale, qui persistait jusqu'à maintenant dans notre droit. À l'occasion de son examen par le Sénat, le texte a été enrichi : sa rapporteure a renforcé le dispositif de déchéance des avantages matrimoniaux, ce dont nous pouvons nous satisfaire.

L'article 2 vise quant à lui à encadrer l'appréciation de la situation patrimoniale du demandeur, afin d'éviter les situations dans lesquelles une dette fiscale pèse lourdement et injustement sur l'un des ex-conjoints.

En matière de droits des femmes, ces dispositions envoient le bon signal et nous voterons pour, mais non sans vous rappeler, chers collègues de la majorité, combien il est nécessaire d'aller plus loin – et beaucoup plus vite – dans la lutte contre les violences faites aux femmes. En effet, malgré quelques tentatives louables, vous n'êtes pas encore allés assez loin dans la lutte contre ces violences.

L'écrivain Philippe Besson résume parfaitement la situation, lorsqu'il écrit : « Les féminicides sont rangés dans la catégorie des faits divers, alors qu'ils disent quelque chose de nous en tant que société. Le féminicide est un fait social qui nous interroge sur la domination masculine. » Ainsi, pour que ces violences, ces crimes intolérables, ne fassent plus partie de la réalité de notre société, cessons de nous contenter de mesurettes ponctuelles. Agissons collectivement, non pour diminuer le nombre de victimes, mais bien pour éradiquer ces violences.

Prenons exemple sur la loi-cadre de notre ancienne collègue Marie-George Buffet, qui comptait 103 articles et tentait d'apporter une réponse globale au fléau que représentent les violences faites aux femmes. La route est encore longue, mais le chemin est pris. Tipa tipa, narivé – on y arrivera pas à pas !

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