Intervention de Catherine Vautrin

Réunion du jeudi 16 mai 2024 à 15h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'accompagnement des malades et de la fin de vie

Catherine Vautrin, ministre :

Une fois de plus, je commence par citer l'avis du Conseil d'État. Il considère qu'en retenant les trois dernières conditions énumérées à l'article 6, « le projet de loi ne méconnaît pas les principes constitutionnels et conventionnels » – qu'il a précédemment évoqués : « Pour l'appréciation de la troisième condition relative à l'échéance du “moyen terme”, le Conseil d'État estime que cette expression ne peut être entendue que dans le sens employé par la pratique médicale, pour laquelle elle correspond à un horizon temporel qui n'excède pas douze mois. Il considère qu'elle n'est dès lors pas entachée d'incompétence négative. Il observe que les modalités d'appréciation de l'horizon de “moyen terme” pourront être utilement éclairées, selon les pathologies en cause, par des recommandations formulées par la Haute Autorité de santé. »

Suivant l'avis à la lettre, j'ai interrogé le président de la HAS, le professeur Collet. Il m'a répondu par un courrier en date du 29 avril 2024, que je vous lis :

« Madame la ministre,

« J'ai bien pris connaissance de votre saisine de la Haute Autorité de santé, en date du 22 avril, relative à l'évaluation du pronostic médical engagé à moyen terme par le médecin dans le cadre d'une demande d'accès à l'aide à mourir telle que mentionné dans le titre II du projet de loi relatif à l'accompagnement des malades et de la fin de vie prochainement examiné au Parlement.

« Tout d'abord je souhaitais vous remercier pour la confiance portée [à] la HAS pour mener ces travaux aux multiples enjeux que nous ne manquerons pas de réaliser.

« Je tenais également à vous indiquer que l'élaboration d'une recommandation de bonnes pratiques professionnelles de la HAS s'étale de manière générale sur dix-huit mois.

« Ce délai intègre certaines étapes propres à nos travaux et à leur qualité et notamment l'élaboration d'une note de cadrage, la constitution du groupe de travail, l'analyse de la littérature, la préparation d'un avis et la mise en place d'un groupe de lecture ainsi que d'éventuelles auditions de représentants de pays étrangers ayant déjà mis en place des dispositifs liés à la fin de vie et une consultation publique qui apparaît pertinente a priori compte tenu de la nature du sujet traité.

« Compte tenu de ces éléments, de l'enjeu central que représente l'évaluation de la notion de moyen terme dans le projet de loi et afin de garantir la qualité de notre recommandation, le délai fixé au dernier trimestre 2024 apparaît extrêmement contraint.

« Nous mesurons pleinement les attentes concernant ce sujet. En conséquence, nous proposons de publier en juin 2024 une note de cadrage de notre recommandation de bonne pratique puis une note d'avancement de son élaboration au dernier trimestre 2024, avant de vous communiquer la version finale de notre recommandation dès leur adoption par le collège et d'ici le deuxième trimestre 2025.

« Une telle démarche permettrait d'assurer pleinement la qualité des recommandations produites, qualité à laquelle nous sommes tous attachés, et le consensus nécessaire, tout particulièrement sur un sujet dont la sensibilité n'est plus à démontrer. »

Par ailleurs, la référence au moyen terme constitue un des apports importants du texte ; elle le distingue de la loi Claeys-Leonetti, précisément parce qu'il caractérise la fin de vie. Tous les médecins vous le diront, le pronostic vital est engagé à court terme quand a débuté l'agonie, la phase ultime de l'existence, quand l'organisme paraît lutter pour échapper à un glissement inévitable vers la mort – les dernières heures ou les derniers jours. Étymologiquement, « agonie » signifie « lutte », « combat ». Évidemment, il est beaucoup plus compliqué de définir le pronostic engagé à moyen terme. Il s'agit d'une notion médicale. En médecine, malgré les protocoles, il n'est pas toujours aisé de choisir la conduite à tenir ; chaque patient est unique. La liberté du patient est fondamentale, et son corollaire est l'examen médical, qui décidera de l'éligibilité – nous y reviendrons lors de l'examen de l'article 7.

Comme vous, j'ai évidemment discuté avec des médecins, entendu les avis de l'Académie nationale de médecine et du Comité consultatif national d'éthique : personne, il est vrai, ne borne le moyen terme. Toutes les instances médicales, scientifiques et éthiques considèrent qu'il s'agit d'un horizon de quelques mois. Cela dépend de la pathologie, de l'état général de santé du patient, de l'observance du traitement. Toutefois, la réalité de la pratique médicale quotidienne connaît cette évaluation, nécessaire pour choisir les traitements : on parle de « survie à six mois » ou « à un an » – je n'invente pas ces termes, présents dans la littérature scientifique. La HAS rendra son avis et donnera des repères en fonction des pathologies, pour guider les médecins, mais elle ne normera pas, parce que ce n'est pas possible.

Les auteurs des amendements tendant à supprimer la référence au moyen terme ont des intentions très différentes. Les uns veulent restreindre l'aide à mourir aux affections engageant le pronostic vital à court terme ; ce n'est pas le sens du texte, et j'y suis défavorable. Les autres estiment qu'il est inutile de préciser cette condition dans la loi, que la pratique médicale se suffira. Mais la loi ainsi rédigée serait-elle applicable ? Quel médecin se sentira protégé si la loi n'éclaire pas un minimum son action ? Nous formulons une notion, la pratique se l'appropriera. La pratique est à la médecine ce que la doctrine est au droit. Incontestablement, pour que la pratique soit possible, les médecins ont besoin d'un cadre protecteur, aussi avons-nous inscrit dans le texte la double référence au court et au moyen terme.

J'émets donc un avis défavorable à ces amendements en discussion commune.

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