Je n'oublie pas, monsieur le président, que vous avez été un grand ministre de l'agriculture, attaché à ce qui est peut-être le premier défi français : redevenir une nation de production.
Regardons ce qu'il s'est passé en France depuis une quarantaine d'années : nous avons abandonné notre production pour devenir une nation de consommateurs ; les productions agricoles et surtout industrielles se sont effondrées. Je considère que la pire faute politique, économique et même morale qui ait été commise dans notre pays depuis quarante ans, ce sont les délocalisations industrielles, menées sous des prétextes faussement intelligents mais en réalité stupides, avec des concepts tous plus fallacieux les uns que les autres, comme l'industrie sans usine ou les usines sans ouvriers.
Tout cela nous a conduits droit dans le mur. Nous sommes la seule des grandes nations industrielles européennes à avoir perdu la moitié de sa production industrielle en l'espace de quarante ans – sa part dans le PIB est passée de 20 % à 10 %, alors qu'elle augmentait légèrement en Allemagne et restait stable en Italie. Tout notre objectif, avec le Président de la République, a été de répondre à ce défi, en refaisant de la France une nation de production et de plein-emploi, avec un cap clair : devenir la première économie décarbonée en 2040. Voilà le travail que je poursuis depuis sept ans que je suis ministre de l'économie et des finances – sept années non pas de réflexion, mais de décisions.
Les résultats économiques français – je tiens à le rappeler dans ce climat de pessimisme généralisé – sont bons. On n'a cessé de nous tympaniser avec la récession, décrite comme inéluctable en 2023 : nous avons obtenu 0,9 % de croissance, ce qui est très proche de la prévision du gouvernement français. On nous avait dit qu'au premier trimestre 2024, la croissance serait nulle : nous avons fait 0,2 %. On n'a pas arrêté de nous dire qu'elle serait au maximum de 0,5 % en 2024 : nous avons déjà un acquis de 0,5 %. On nous a affirmé que le chômage allait exploser en début d'année : nous venons de créer 50 000 emplois. On a prétendu que les Français perdaient du pouvoir d'achat : l'augmentation des salaires au premier trimestre 2024 s'établit à 3,3 % par rapport au premier trimestre 2023, soit plus que l'inflation. Celle-ci, je le rappelle, est tombée à 2,2 % : c'est une grande victoire du Gouvernement d'avoir réussi à la maîtriser en deux ans, comme je m'y étais engagé. Je ne dis pas que tout est facile pour les Français, mais que l'économie française fait bien, que ses fondamentaux sont solides et qu'il faut persévérer dans la même direction, qui est celle d'une nation de production décarbonée au plein emploi – et je ne varierai pas de cette ligne.
Quelles décisions expliquent les résultats obtenus, les usines qui ouvrent, les emplois industriels qui sont recréés ? Tout d'abord, et même si elle est très contestée, notre politique fiscale fait l'attractivité de notre pays. Nous avons baissé l'impôt sur les sociétés (IS) de 33,3 % à 25 %. On n'a pas cessé de nous dire qu'il fallait le réaugmenter et le moduler. Eh bien non ! Ce qui est précieux pour les entreprises, ce sont la stabilité et la visibilité. Si nous changeons le taux de l'impôt sur les sociétés tous les quatre matins, nous en perdons l'attractivité. Nous avons également instauré un prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 %. Néanmoins, la France reste l'un des pays qui taxent le plus lourdement le capital en Europe ; or, il n'y a pas d'industrie sans capital. Nous devons donc avoir une fiscalité attractive en la matière.
Deuxièmement, nous avons transformé en profondeur le marché du travail, en le réformant et en relançant l'apprentissage, qui est devenu une voie d'excellence pour tous les jeunes. Nous avons en outre modifié l'assurance chômage et engagé une réforme des retraites. Le résultat, c'est que nous avons le taux d'emploi le plus élevé depuis 1975 – ce sont les chiffres de l'Insee fin 2023. Cela fait un demi-siècle que la France n'avait pas connu un taux d'emploi aussi élevé. Est-ce que tout est rose ? Non. Est-ce que nous allons dans la bonne direction ? Oui, même s'il reste du travail à accomplir, concernant notamment l'emploi des plus de 55 ans, qui me tient très à cœur.
En troisième lieu, nous avons rouvert des filières industrielles. Certains parlementaires du Rassemblement national m'ont interrogé sur les choix que nous avons faits en faveur des véhicules électriques. Il faut être clair : si on refuse le passage au véhicule électrique, si on ne crée pas des usines de batteries, d'anodes et de cathodes, si on ne fabrique pas de moteurs électriques, comme à Trémery, il ne nous restera plus qu'à acheter des véhicules chinois. Refuser la transition vers le véhicule électrique, c'est défendre les intérêts de la Chine, et non ceux de la France. Tous les constructeurs automobiles étrangers – chinois, sud-coréens ou autres – rêvent que la France ne se batte pas pour le véhicule électrique. Nous sommes un marché de 67 millions de consommateurs plutôt riches : si nous ne produisons pas de véhicules électriques, nous les achèterons demain à des pays étrangers. Être patriote, c'est défendre l'industrie en France ; être patriote, c'est anticiper les grands changements et non les subir. C'est exactement ce que nous faisons en matière industrielle, en combinant réindustrialisation et décarbonation.
Ce que chacun doit bien comprendre, c'est que la transition énergétique est une opportunité historique pour la France de se réindustrialiser. Les États-Unis l'ont parfaitement compris en mettant en place l'Inflation Reduction Act (IRA). La Chine l'a parfaitement compris en accélérant la production d'éoliennes, de panneaux photovoltaïques, de véhicules électriques ou de batteries. Et nous l'avons aussi parfaitement compris, avec le Président de la République, en liant décarbonation et réindustrialisation. Aucun autre pays en Europe n'a mis en place un crédit d'impôt industrie verte pour les productions de pompes à chaleur, de batteries électriques, d'hydrogène ou d'autres produits industriels verts.
La crise sanitaire liée au covid-19 et la crise inflationniste ont radicalement changé la donne, en modifiant le visage de la mondialisation. La mondialisation heureuse est derrière nous : l'explosion des chaînes de valeur sur toute la planète – je prends un peu de titanium ici, un peu d'aluminium là, du caoutchouc dans un troisième endroit, des semi-conducteurs dans un quatrième endroit – est finie. Chacun veut son indépendance dans les filières critiques. Nous avons engagé le travail pour bâtir notre indépendance dans des filières critiques qui vont de l'aéronautique à l'automobile, en passant par l'espace, l'hydrogène vert, les pompes à chaleur ou les batteries. Afin d'accentuer ce mouvement tout en faisant en sorte que la France garde les mêmes résultats économiques, la réindustrialisation et la décarbonation doivent s'accélérer.
Pour cela, nous devons rester attractifs pour les investisseurs étrangers. Il n'est donc pas question de changer notre politique fiscale. Ne comptez pas sur moi pour augmenter les impôts : ce serait le pire signal adressé aux investisseurs. On peut évidemment récupérer l'argent des rentes, et nous le ferons, notamment sur les énergéticiens, c'est-à-dire ceux qui gagnent de l'argent uniquement parce que les prix du marché augmentent et non parce qu'ils ont investi. En revanche, nous ne toucherons pas à l'impôt sur les sociétés (IS), nous ne toucherons pas à la baisse des impôts de production et nous ne voulons pas toucher au prélèvement forfaitaire unique.
En deuxième lieu, il faut que nous soyons capables de protéger notre industrie – j'emploie ce terme à dessein. Protéger, cela signifie tout d'abord réserver les aides aux produits qui respectent les meilleurs standards environnementaux, c'est-à-dire nos produits. L'aide à l'installation d'une pompe à chaleur s'élève à 9 000 euros. Les pompes à chaleur produites en France sont plus chères car elles utilisent un gaz qui n'émet quasiment aucun CO2, contrairement à d'autres qui sont importées. Il est normal que je réserve les aides aux pompes à chaleur qui émettent le moins de CO2.
Il en va de même pour les véhicules électriques : il est essentiel de conserver les 1,2 milliard d'aides accordés sous forme de bonus et de donner de la visibilité pour que les industriels puissent investir. Mais nos batteries et nos véhicules électriques obéissent à des règles environnementales plus strictes que ceux produits en dehors des frontières européennes. J'ai donc pris la décision de réserver les bonus aux véhicules électriques les plus performants du point de vue environnemental, c'est-à-dire ceux qui sont produits en Europe. Cela a fait chuter de 44 % les importations en provenance de Chine. Les discussions ne sont certes pas faciles ensuite avec le gouvernement chinois, mais ce commerce est fondé sur un principe de réciprocité, qui implique que les mêmes normes, les mêmes règles doivent s'appliquer d'un bout à l'autre de la planète, sans quoi il n'y a pas de justice, pas d'équité et pas de compétition possible.
Tant que le coût de production dans un secteur reste trop élevé, nous comptons maintenir les aides à la demande, quitte à les diminuer par la suite. La contrepartie, c'est que nous voulons de la production en France. Je l'ai dit aux patrons de Renault et de Stellantis à plusieurs reprises. Je peux faire état ici de certaines négociations : il a, par exemple, fallu livrer un véritable combat pour garder l'usine Alpine à Dieppe. En tant qu'actionnaires de Renault, il nous a fallu démontrer qu'il y avait un intérêt pour l'entreprise à agir de cette façon, en trouvant un équilibre entre la compétitivité du site et l'aide à la demande que nous maintenons pour préserver celui-ci. De même, à Sandouville, pour les véhicules utilitaires légers, 200 millions d'euros seront investis et plus de 1 000 emplois industriels créés mais, en contrepartie, il faut de la commande publique et des aides à la demande. C'est comme cela que l'on construit un partenariat intelligent.
S'il y a une chose dont je suis fier, dans l'accord qui a été conclu hier, c'est qu'il a montré l'unité de la filière automobile. Je salue en particulier l'esprit de responsabilité des syndicats, qui sont lucides sur la férocité de la compétition mondiale. Nous avons signé un accord de filière, qui permet de trouver un bon équilibre entre la politique économique globale du Gouvernement, les aides à la demande que nous maintenons et les investissements des industriels en France – fabrication de la E-3008 à Sochaux, ou encore de la R5 à Douai. On me dit qu'on ne peut pas produire de segment B en France ; or, ce sera le cas avec la R5, parce que c'est un véhicule électrique rentable, avec des batteries produites en France et le soutien à la demande apporté par l'État français.
Le quatrième volet porte sur la simplification. Nous devons aller beaucoup plus loin dans ce domaine. Nous voulons supprimer les 1 800 formulaires Cerfa existant en France. C'est un travail de Titan – il suffit de recenser toutes les obligations qui sont derrière un formulaire Cerfa pour comprendre à quel point c'est difficile – mais nous voulons accélérer dans cette voie, afin de faciliter les autorisations d'ouvertures et d'agrandissements d'usines et, ainsi, de gagner la bataille de la réindustrialisation qui, à mes yeux, est absolument fondamentale.
Le grand défi, maintenant, est de faire en sorte que cette politique économique nationale de productivité, d'innovation, de réindustrialisation et de protection de notre industrie devienne un choix européen. Depuis 2017, nous avons réussi à faire bouger les lignes. Il y a sept ans, il était impossible et même inenvisageable d'octroyer des aides d'État au secteur industriel ; c'est désormais possible. Il y a sept ans, les projets importants d'intérêt européen commun (Piiec) n'existaient pas ; ils existent désormais et permettent de bâtir des coopérations en matière d'hydrogène vert ou de pompes à chaleur. Il y a sept ans, il était absolument impossible de mettre en commun certains investissements ; nous le faisons aujourd'hui.
Maintenant que nous avons convaincu les autres États membres de la nécessité de mettre en œuvre une politique industrielle européenne – cela a été notre combat et notre victoire –, une autre grande question se pose : comment refonder la politique commerciale européenne, notamment sur le principe de réciprocité ? Si nous sommes les seuls à réserver nos bonus sur les véhicules électriques à des productions européennes et à réclamer un contenu européen dans les critères d'attribution des marchés publics, il y a fort à parier que nous allons devenir la cible des deux autres grands continents, en particulier des États-Unis – surtout si des changements interviennent dans ce pays dans quelques mois – et de la Chine. Pour tenir cette ligne d'innovation et de protection, d'investissement et de défense de nos intérêts, qui me paraît la seule responsable, il faut impérativement que ces choix nationaux deviennent, dans les prochains mois, des choix européens.