Cela fait deux ans que nous attendons ce projet de loi, qui devait être « d'orientation et d'avenir ». Il en a perdu le nom, mais aussi le fond, puisqu'il ne fixe aucun objectif et que ses articles sont soit inutiles et vides, soit dangereux pour le droit de l'environnement.
Ce projet de loi n'est ni d'orientation, ni d'avenir, puisqu'il poursuit ce qui a été fait jusqu'ici et qui a conduit à un échec. En dix ans, la France a perdu cent mille agriculteurs et agricultrices : c'est un gigantesque plan social qui se joue dans nos campagnes. Ce n'est pas seulement l'agriculture qui meurt : ce sont nos villages qui se vident et les paysages qui se referment. Les inégalités se creusent dans le monde agricole et un agriculteur sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. Ne pouvant déterminer leurs propres prix, ils dépendent d'une chaîne de valeur où les industriels du secteur phytosanitaire, aux mains des Chinois et des Américains, les agro-industriels qui vont chercher de meilleurs marchés ailleurs grâce à vos accords de libre-échange – je pense à Lactalis – et la grande distribution s'engraissent sur leur impuissance.
Les milliers d'hectares de haies qui disparaissent, la fertilité des sols qui s'effondre, les pollinisateurs qui auront disparu d'ici à la fin du siècle, les captages d'eau potable qui ferment, des pertes qui atteignent 20 %, 30 %, voire 100 % de la production... La semaine dernière encore, le gel a frappé, après quatorze mois consécutifs au-dessus des normales saisonnières. Vignerons, arboriculteurs, éleveurs, maraîchers, apiculteurs : nous sommes en train d'accélérer leur entrée dans l'ère de l'incertain. « C'est le propre du travail avec le vivant », me direz-vous. Eh bien non, mes chers collègues : cette incertitude, cette impuissance, cette insécurité, c'est le propre de l'inaction climatique, de la destruction des écosystèmes, puis de la mal-adaptation et de la fuite en avant.
Votre politique, c'est de ne pas choisir, alors même que certains modèles servent l'intérêt général, quand d'autres le menacent, et que le mythe de la diversité des modèles n'en soutient en réalité qu'un seul, celui de l'agro-industrie, qui met à mort l'agriculture familiale, paysanne et pastorale, qui ne peut pas lutter contre la concentration des terres et des ressources dans les mains de quelques-uns.
Il importe, enfin, de revenir au sens des mots. La souveraineté alimentaire, c'est un choix clair : c'est la possibilité, pour les peuples, de déterminer leur politique agricole pour et par eux-mêmes, et non pour satisfaire des impératifs de compétitivité imposés par une globalisation non régulée. La sécurité en agriculture, ce n'est pas mettre plus de moyens pour accélérer l'effondrement du vivant en faisant des feux de joie autour de la diversité des modèles. Assurer la sécurité des agriculteurs, c'est protéger leur métier, leurs revenus, leur santé ; c'est garantir qu'en regardant leurs enfants, ils auront envie de leur transmettre l'histoire d'une vie, que représente souvent une ferme, en sachant qu'ils leur lèguent des métiers rémunérateurs, où ils pourront s'épanouir, expérimenter, s'inscrire dans des écosystèmes vivants, produire une alimentation saine et de qualité et en être fiers.
Ce projet de loi n'est définitivement pas un projet d'orientation et d'avenir. Et pourtant, il y avait tant d'attentes et tant de besoins… Ce texte, c'est du gâchis : non seulement il ne répond pas aux besoins, non seulement il est vide, mais vous l'avez même rendu dangereux, à force de dévoyer le sens des mots. « Ce qui importe avant tout, c'est que le sens gouverne le choix des mots et non l'inverse », disait George Orwell.