Mon propos liminaire sera synthétique, car j'aurai l'occasion de répondre aux interventions des représentants des groupes. Nous aurons en outre le temps de débattre des amendements, tant en commission qu'en séance.
Les enjeux sont connus et partagés par nombre d'entre nous. Nous faisons face à un défi démographique historique, avec une vague de départs potentiels à la retraite qui représente un tiers des agriculteurs dans les dix ans à venir. Cela exige que nous fassions plus et différemment, tant en matière de formation que d'installations. Il convient aussi d'améliorer l'attractivité de la profession, d'autant qu'une grande partie de ceux qui sont appelés à s'installer ne seront pas issus du milieu agricole. Il faut donc prendre des dispositions particulières pour ce public, dont nous aurons besoin pour renouveler les générations.
J'ajoute – et ce point est fondamental – que nous devons répondre à cet enjeu dans un contexte de bouleversements immenses – d'ordres climatique, géopolitique et économique – qui conduisent à s'interroger sur la manière dont nous produisons et pouvons assurer effectivement notre souveraineté. Ces bouleversements soulignent aussi le caractère absolument stratégique de l'activité agricole. Cela nécessite que nos agricultrices et nos agriculteurs soient accompagnés et soutenus pour faire face aux longues et profondes mutations à l'œuvre.
Les impératifs de souveraineté et de transition se font écho, et le renouvellement des générations doit permettre d'atteindre et de concilier ces deux objectifs. Telle est, au fond, l'orientation proposée par le projet de loi qui vous est soumis.
Cette orientation s'appuie sur le travail que nous avons accompli depuis 2017, à travers notamment trois batailles engagées – mais naturellement pas encore achevées : protéger le revenu agricole, mettre en place une concurrence plus équitable et accompagner les transitions. Ce projet engage de nouvelles batailles en activant des leviers qui devaient l'être davantage : l'orientation et la formation, l'installation et la transmission et, enfin, la simplification.
Le présent projet de loi ne répondra pas, à lui seul, à l'ensemble des défis auxquels est confrontée notre agriculture ; mais il fixe des principes et un cadre pour les acteurs, tout en proposant une organisation de nos politiques publiques cohérente avec ce que nous avons mis en œuvre depuis 2017 et que nous avons poursuivi depuis 2022 – et, à plus forte raison, depuis la crise agricole.
En préambule, je souhaite de nouveau indiquer dans quel cadre global s'inscrivent les avancées ici proposées.
Le présent texte est le fruit d'un dialogue de terrain avec les acteurs du monde agricole et avec ceux qui s'intéressent à l'agriculture, grâce à la concertation menée sur le pacte d'orientation pour le renouvellement des générations en agriculture – dont ce texte est issu, en grande partie – mais aussi grâce aux attentes exprimées lors des mobilisations agricoles. Ces dernières ont mis en évidence la nécessité de fixer une direction claire, de mettre un terme à ce qui était souvent légitimement perçu comme des injonctions contradictoires et de simplifier l'exercice de l'activité agricole.
Ce projet de loi d'orientation n'est pas un système isolé. Il s'insère dans un schéma cohérent et participe ainsi d'une vision d'ensemble pour notre agriculture. Depuis 2017 et depuis ma prise de fonction en 2022, des chantiers structurels ont été menés ou engagés. J'ajoute encore que le Premier ministre a fait des annonces fortes en fin de semaine dernière et que le Gouvernement demeure mobilisé pour que celles qui ne sont pas encore mises en œuvre le soient au plus vite. Comme il s'y était engagé, le Président de la République devrait s'exprimer devant la profession agricole le 2 mai. On peut toujours dire que ce n'est pas encore suffisant, mais des avancées absolument majeures ont été obtenues pour les agriculteurs, en particulier depuis le début de l'année.
Je sais que les parlementaires ont besoin de disposer d'une vision globale, en sachant ce que le Gouvernement proposera sur des sujets absolument essentiels qui ne sont pas abordés par ce texte.
S'agissant de la protection du revenu agricole, le Gouvernement a chargé vos collègues Anne-Laure Babault et Alexis Izard d'une mission sur les améliorations à apporter au cadre mis en place par les lois du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs et 30 mars 2023 tendant à renforcer l'équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, dites lois « Égalim 1, 2 et 3 ». Des propositions seront mises sur la table avant l'été afin que vous puissiez vous en emparer.
En ce qui concerne la compétitivité, nous avons adapté et modernisé l'outil de production agricole, mais aussi conforté l'innovation avec le plan « France relance » (850 millions d'euros [M€] déployés sur deux ans) puis avec « France 2030 » (1,8 milliard d'euros [Md€]), tandis que le compte d'affectation spéciale Développement agricole et rural (Casdar) bénéficie de 146 M€ en 2024. Ce sont des moyens inédits. Les 800 M€ prévus au titre de la planification écologique pour l'agriculture commencent à être déployés. Nous avons soutenu les filières avec des plans de souveraineté – notamment dans les domaines des fruits et légumes, des protéines végétales, de l'élevage et du blé dur.
Nous avons allégé la fiscalité, en renforçant le dispositif d'exonération de cotisations patronales pour l'emploi de travailleurs occasionnels demandeurs d'emploi (TODE) en 2024, en mettant en place dès 2018 la déduction pour épargne de précaution ou encore en modifiant le seuil qui permet de bénéficier du régime des micro-bénéfices agricoles, dit « micro-BA ». Nous souhaitons aller plus loin, notamment en baissant la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFPNB), en pérennisant le dispositif TODE et en augmentant son seuil à 1,25 Smic, mais aussi en améliorant la déduction pour épargne de précaution et en augmentant le dégrèvement pour la TFPNB.
Un texte législatif sur les produits phytosanitaires sera présenté d'ici à l'été. Il portera notamment sur l'évolution du conseil stratégique et sur la séparation de la vente et du conseil.
Des engagements ont été pris en matière de transmission d'exploitation, en particulier s'agissant de l'augmentation de 13 à 20 millions d'euros du budget consacré à l'accompagnement à l'installation-transmission en agriculture (AITA). Un travail sera en outre mené pour améliorer l'efficacité des outils fiscaux et non fiscaux destinés à faciliter la transmission et la reprise des exploitations. Cela se traduira par des mesures dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2025.
Enfin, nous avons conscience que les dispositions présentées dans le cadre de ce projet de loi n'épuisent pas le sujet de la simplification, certaines mesures relevant du domaine réglementaire. Un chantier d'ampleur a été lancé en la matière, sur la base de trois mille propositions émanant du terrain. Elles ont commencé à trouver une traduction concrète, notamment grâce aux évolutions importantes de la politique agricole commune (PAC) que j'ai proposées au niveau européen, qui sont au cœur des attentes du monde agricole et s'appliqueront dès 2024.
Comme vous le voyez, nous proposons une vision d'ensemble qui devrait être enrichie grâce à nos débats. Mais des avancées utiles figurent déjà dans le projet. Sans entrer dans le détail, je souhaite vous présenter les principales d'entre elles.
La première consiste à ériger l'agriculture en « intérêt général majeur », ce qui produira des effets à long terme sur la prise en compte de l'impératif de souveraineté alimentaire, sur la manière dont vont vivre nos politiques publiques et nos lois et sur celle d'évaluer et de réaliser des projets agricoles. Je sais que les débats seront nourris sur l'article 1er, ce qui permettra de l'enrichir.
La deuxième avancée sera de conforter la dynamique positive de l'enseignement agricole constatée depuis 2019, grâce à une série de mesures destinées à adapter ce système de formation qui fait notre fierté et notre singularité. Cela lui permettra de mieux faire face aux défis de la souveraineté et des transitions tout en organisant ce système de telle sorte qu'il contribue à former davantage de personnes et mieux, en répondant à l'attente de jeunes et de moins jeunes qui veulent s'installer.
La troisième avancée réside dans le fait d'accompagner et d'installer différemment. Pour cela, nous proposons de créer un diagnostic modulaire et le réseau « France services agriculture ». J'aurai l'occasion d'y revenir, mais je tiens à saluer le travail réalisé par vos rapporteurs pour commencer à répondre à certaines interrogations qui ont pu s'exprimer. Je pense en particulier à la question centrale de l'équité et du pluralisme dans le fonctionnement de France services agriculture, ou encore à l'orientation donnée au diagnostic modulaire, qui correspond désormais davantage aux attentes exprimées par les secteurs agricoles.
Je voudrais évoquer plus spécifiquement la question des groupements fonciers agricoles d'investissement (GFAI). Là encore, je salue le travail réalisé par vos rapporteurs pour préciser l'objectif prioritaire, c'est-à-dire l'installation des jeunes, et pour améliorer les garde-fous prévus pour cet outil. Leur proposition de rédaction viendra nourrir un débat qui me semble utile. En effet, face aux défis identifiés, nous avons besoin d'instruments pour permettre de lever des capitaux afin de favoriser l'installation. Les GFAI sont complémentaires des moyens affectés par ailleurs au fonds « Entrepreneurs du vivant ».
J'ai déjà parlé de la quatrième avancée, constituée par les mesures de simplification. L'adaptation du régime de répression des atteintes au droit de l'environnement, avec des procédures et des peines véritablement adaptées aux situations, permettra d'éviter des procédures infamantes pour nos agriculteurs tout en ayant des sanctions proportionnées et progressives. Les délais de recours contentieux seront réduits en ce qui concerne les projets agricoles et d'ouvrages hydrauliques, avec une adaptation de différentes procédures qui permettra d'obtenir plus rapidement une décision sur leur conformité au droit.
Le régime applicable aux haies sera unifié, ce qui simplifiera la vie des agriculteurs et sécurisera leurs interventions. Cela les encouragera à planter et à gérer durablement des haies.
Enfin, je souhaite vous faire part de mon état d'esprit alors que débute ce travail parlementaire. Par nature, aucun projet de loi déposé au Parlement n'est parfait et ce texte n'échappe pas à la règle. Il a naturellement vocation à être amendé et enrichi par les députés, puis par les sénateurs. Dans cette perspective, je vous assure tout d'abord que je souhaite que les ordonnances déjà rédigées soient intégrées au texte d'ici à l'examen en séance publique, afin que l'Assemblée nationale ne soit pas privée d'un débat sur le fond.
J'ajoute que toutes les dispositions de ce projet seront directement applicables outre-mer, qu'il s'agisse de la souveraineté, de l'orientation et de la formation, de l'installation et de la transmission ou encore de la simplification. Mais je sais que ces territoires ont leurs spécificités, notamment en ce qui concerne les enjeux d'autonomie alimentaire. Je suis à votre écoute, en commission comme en séance, pour voir si nous avons besoin d'adapter certaines dispositions à la réalité de ces territoires.
J'espère que nous pourrons assumer des désaccords de manière responsable et corriger des dispositions dont nous aurons constaté ensemble qu'elles présentent des difficultés, mais aussi travailler avec tous les groupes à des convergences au service de notre agriculture. Je n'ignore rien du contexte dans lequel nous examinons ce projet de loi et des attentes fortes qu'il suscite – autant sur les mesures qu'il comprend que sur celles qui ne s'y trouvent pas, et qui devront être traitées dans le cadre d'autres textes législatifs.
Comme toujours, je fais confiance à un débat parlementaire responsable, exigeant et constructif, au service de l'agriculture et de la souveraineté agricole.