Monsieur Le Gall, votre interrogation est juste. Vous dites que deux principes universels sont en jeu dans le dossier calédonien, à savoir la démocratie et la décolonisation. Ce dernier terme n'est pas un synonyme d'indépendance, car l'ONU définit quatre voies possibles pour sortir de la colonisation : l'indépendance, l'intégration totale à l'ancienne puissance administrant le territoire, la libre association ou tout statut négocié entre les citoyens de l'ancienne colonie et l'ancienne métropole. Avec les trois référendums et l'accord de Nouméa, la question de la décolonisation a été traitée. L'autonomie de la Nouvelle-Calédonie est très large et les indépendantistes sont surreprésentés dans les cinq institutions locales, puisqu'ils en contrôlent quatre ; le corps électoral est restreint et a même été gelé pour les trois référendums. Peut-on concevoir processus de décolonisation plus achevé ? Dans ce contexte, les non-indépendantistes ont demandé le retrait de la Nouvelle-Calédonie de la liste onusienne des territoires à décoloniser.
La question de la décolonisation a été traitée, mais pas celle de la démocratie puisque le corps électoral reste gelé. L'objectif du projet de loi constitutionnelle est de résoudre cette deuxième question. Plusieurs intervenants ont regretté que le Gouvernement précipite le dégel du corps électoral, alors que les discussions ont duré trois ans et que l'article 2 du texte prévoit du temps supplémentaire pour parvenir à un accord global. La Nouvelle-Calédonie connaît une crise économique : 20 000 personnes, soit 10 % de la population, ont quitté le territoire, dont les caisses sont vides. L'incertitude institutionnelle joue un grand rôle dans cette situation. Nous devons donc accélérer, car les gens ont besoin de visibilité. Vous êtes nombreux à craindre que le projet de loi mette en péril la paix et crée des tensions, mais, pour ma part, je constate une invisibilisation des loyalistes. D'ailleurs, pensez-vous que ces derniers se précipiteraient à la table des négociations si le Gouvernement retirait le texte – par exemple si la clause des dix ans glissants, issue de l'équilibre des accords de Nouméa, était remplacée, sur le fondement de l'article 2, par une durée de vingt ou de vingt-cinq ans glissants ?
N'invisibilisez pas les loyalistes ! Le texte reflète les demandes des indépendantistes, mais, dans le dossier calédonien, il n'y a pas que l'État et les indépendantistes : des gens ont refusé l'indépendance lors des référendums et ils tiennent à être écoutés et entendus. Le Gouvernement ne pouvait pas présenter de texte plus équilibré ; j'en suis le rapporteur alors que je suis presque en désaccord avec le fond de ses dispositions. J'ai l'impression que vous défendez la nécessité de trouver un consensus pour faire avancer la revendication indépendantiste. Si les Calédoniens avaient approuvé l'indépendance lors des référendums, auriez-vous défendu la voix loyaliste et l'importance du consensus ? J'en doute.