De façon inquiétante, les discours sur la Nouvelle-Calédonie semblent oublier les épisodes tragiques que l'île a connus. Le Gouvernement pense pouvoir légiférer sur ce territoire en passant en force, comme il en a pris l'habitude dans de nombreux domaines. Cette méthode brutale, qui refuse la recherche d'un consensus, est dangereuse. Vous donnez l'illusion du dialogue pour transposer un modèle colonial.
Je tiens à rappeler que l'ONU a classé la Nouvelle-Calédonie parmi les territoires à décoloniser et que votre projet de loi constitutionnelle touche à des considérations de droit international qui appellent à la plus grande prudence. Le Gouvernement ne peut agir en Nouvelle-Calédonie en faisant fi des événements historiques récents et de l'extrême violence dans laquelle le territoire fut plongé dans les années 1980. On oublie trop souvent que les insurrections et les guerres civiles sont le fruit de basculements ténus. Comme disait Romain Gary : « La vérité, c'est qu'il y a une quantité incroyable de gouttes qui ne font pas déborder le vase. » Il est impossible de savoir quelle goutte d'eau provoquera le débordement. Et si cette goutte, c'était une réforme du corps électoral imposée par le Gouvernement alors même que des négociations sont en cours ?
La Nouvelle-Calédonie a connu plusieurs séquences insurrectionnelles au cours de son histoire, dont l'épisode tragique de la grotte d'Ouvéa qui a causé la mort de dix-neuf Kanaks et de deux militaires. De cet événement est resté un serment, voulu par Michel Rocard : les responsables politiques ne devraient plus jamais mêler la Nouvelle-Calédonie à la politique nationale. Pourtant, vous avez organisé le troisième référendum d'autodétermination à quelques mois des élections présidentielle et législatives, malgré un boycott massif.
Le présent projet de loi constitutionnelle témoigne que vous n'avez rien appris d'Ouvéa ni du boycott des indépendantistes. Le consensus n'est pas une des options possibles ; il est l'unique chemin sur lequel le Gouvernement doit s'engager, aussi long et sinueux soit-il. Telle doit être notre boussole politique. Le 23 mars dernier, le FLNKS, réuni en congrès, a voté une motion de politique générale qui « condamne la méthode de passage en force du Gouvernement français » et « exige le retrait définitif du projet de loi constitutionnelle ». Il y réaffirme « l'illégitimité de la troisième consultation du 12 décembre 2021 en raison de la non-participation du peuple kanak ».
Les députés du groupe Écologiste défendront toujours le temps long de la discussion et du compromis, plutôt que les délais contraints qui permettent de balayer les contestations d'un revers de main. Nous défendrons toujours le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et le principe d'autodétermination. C'est pourquoi nous voterons contre le projet de loi constitutionnelle.
Que pensez-vous qu'il se passera, monsieur le ministre, quand le Gouvernement aura fait voter la réforme du corps électoral, effaçant toute possibilité d'accord tripartite ? En l'absence de consensus, quelle sera la prochaine étape, alors que la Nouvelle-Calédonie connaît des mobilisations colossales ? Sachez entendre ces questions empreintes d'une grande inquiétude.