Intervention de Jean-Victor Castor

Réunion du lundi 29 avril 2024 à 17h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Victor Castor :

Le point 5 du document d'orientation de l'accord de Nouméa précise qu'après trois réponses négatives aux référendums, « les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée. Tant que les consultations n'auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée, l'organisation politique mise en place par l'accord de 1998 restera en vigueur, à son dernier stade d'évolution, sans possibilité de retour en arrière, cette “irréversibilité” étant constitutionnellement garantie ». Dialogue et consensus, telle est l'essence des accords relatifs à la Nouvelle-Calédonie.

Votre projet de loi constitutionnelle renie l'esprit de ces accords. Le corps électoral constitue la base de la citoyenneté calédonienne et fait intégralement partie de l'organisation politique instaurée par l'accord de Nouméa. Les restrictions qui lui sont apportées constituent une garantie de paix civile. En mettant en cause de façon unilatérale l'irréversibilité constitutionnelle de l'organisation politique issue de l'accord de 1998, vous revenez fracturer le pays et réveiller les antagonismes. Votre méthode va à contre-courant de celle qui a été adoptée depuis les accords de Matignon de 1988. Que cherchez-vous, monsieur le ministre ? Pensez-vous que c'est par un passage en force qu'une solution pérenne et pacifique sera trouvée en Nouvelle-Calédonie ?

L'accord de Nouméa a consolidé la stabilité de l'archipel en établissant, dans son préambule, la nécessité de poser les bases d'une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie permettant au peuple d'origine de constituer, avec les hommes et les femmes qui y vivent, une communauté humaine affirmant un destin commun.

Le premier alinéa du projet de loi constitutionnelle remet fondamentalement en cause la notion de communauté de destin prévue par l'accord de Nouméa. La création d'un corps électoral glissant menace un équilibre encore fragile, construit grâce à la bonne volonté de chacune des parties et garanti par la neutralité de l'État. En modifiant cet équilibre, vous provoquerez une minorisation irrémédiable du peuple kanak et des Calédoniens d'origine, du fait du poids croissant des nouveaux électeurs de passage – car vivre dans un territoire pendant dix ou quinze ans ne signifie pas obligatoirement vouloir y lier son destin. Il est courant que des personnes s'établissent dans nos pays pour un temps plus ou moins long, mais ne considèrent cet épisode que comme une parenthèse dans leur vie. En l'occurrence, elles ne souhaitent pas établir de communauté de destin en Nouvelle-Calédonie. Pourtant, si un corps électoral glissant était instauré, ces personnes de passage décideraient de l'avenir de l'île.

Le déséquilibre démographique qui s'ensuivrait est une des préoccupations de l'ONU, qui rappelle que, dans le contexte spécifique des territoires non autonomes, dont fait partie la Nouvelle-Calédonie, « [l]es puissances administrantes devraient veiller à ce que l'exercice du droit à l'autodétermination ne soit pas entravé par des modifications de la composition démographique dues à l'immigration ou au déplacement de populations dans les territoires qu'elles administrent ». L'avenir de Kanaky-Nouvelle-Calédonie doit emprunter le chemin du consensus, hérité de l'histoire. Une nouvelle organisation ne peut être instaurée que par la voie consensuelle, afin de définir plus précisément le périmètre de la citoyenneté calédonienne. Des propositions ont été faites à cette fin : l'ouverture du corps électoral aux natifs, ou encore la constitution d'une mission de médiation politiquement neutre, qui devra s'atteler à rétablir les conditions d'un vrai dialogue et l'impartialité de l'État.

Malheureusement, votre Gouvernement préfère une méthode à marche forcée qui renie l'esprit des accords pour la paix. Il est hypocrite : il dit vouloir dialoguer mais refuse d'en prendre le temps. Vous voulez obtenir un accord rapidement, sous la pression. Vous dites aux indépendantistes : « Signez, ou on passera par la loi constitutionnelle. » Il s'agit d'une attitude on ne peut plus coloniale, prétentieuse et risquée. En agissant de la sorte, vous ne résoudrez rien ; au contraire, vous recréerez les conditions du chaos. Vous devrez en assumer la responsabilité.

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