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Intervention de Arthur Delaporte

Réunion du lundi 29 avril 2024 à 17h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaArthur Delaporte :

C'est avec la plus grande inquiétude que le groupe Socialistes et apparentés aborde l'examen de ce projet de loi constitutionnelle, fruit de la seule volonté du Gouvernement. Nous arrivons au terme de la période prévue par l'accord de Nouméa : notre assemblée aurait pu y voir un rendez-vous avec l'histoire. Or nous nous apprêtons à examiner un texte qui rompt avec la pratique institutionnelle et avec les fragiles équilibres trouvés à l'occasion des accords de Matignon de 1988 et de l'accord de Nouméa de 1998, tous deux orchestrés par des Premiers ministres socialistes, Michel Rocard et Lionel Jospin.

La crise institutionnelle couve. La gestion des événements par le Gouvernement est loin d'atteindre l'objectif premier qui devrait être le nôtre : l'apaisement. Nous regrettons la méthode que vous avez choisie, par laquelle un texte précipite la modification du corps électoral au détriment d'un accord global entre les parties calédoniennes. Ce faisant, vous retirez de la balance du dialogue un des éléments clés. Surtout, cette réforme pourrait entraîner une modification de la Constitution avant tout accord.

Nous partageons l'analyse du Conseil d'État, selon laquelle l'accord de Nouméa « constitue, aux termes du point 5 de son préambule, une “solution négociée, de nature consensuelle”, qui a mis en place “l'organisation politique de la Nouvelle-Calédonie et les modalités de son émancipation” […] ».

En l'absence de négociation et de consensus, les conditions ne sont pas réunies pour modifier le corps électoral. Nous devons redoubler de vigilance pour que le processus de décolonisation soit abouti et complet ; il serait intolérable que le projet de loi constitutionnelle mette en cause ce processus et l'autodétermination. Aussi le texte doit-il être retiré. Le maintenir serait prendre le risque d'un embrasement généralisé – nombre des acteurs que nous avons auditionnés nous ont alertés à ce sujet.

Lors de l'examen du projet de loi organique portant report du renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, nous avons recommandé – en vain – de prendre tout le temps nécessaire et d'adopter le délai supplémentaire suggéré par le Conseil d'État en nous laissant la possibilité de réunir des élections jusqu'en novembre 2025. Je vous appelle à écouter les forces vives locales, monsieur le ministre. Comme l'ont écrit Lionel Jospin et Michel Rocard dans une tribune en 2008 : « Plus que jamais, il faut parler, diagnostiquer sans complaisance les injustices qui persistent et y porter remède, rechercher ce qui rassemble et discuter de ce qui divise. L'État, partenaire politique des accords, en charge de l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, doit assurer une mission permanente de dialogue. »

Pour préparer l'avenir et réparer les blessures du passé, nulle précipitation n'est nécessaire. Les récentes manifestations, qui ont mobilisé près de 20 % du corps électoral, s'ajoutent à la crise du nickel. Les tensions politiques et économiques témoignent d'une réactivation de la bipolarisation – autant de signes que le texte divise plus qu'il ne rassemble. Les soupçons quant à la neutralité de l'État concernant le dégel du corps électoral prouvent que le texte va trop loin. La théorie des apparences doit l'emporter.

Je soutiens la proposition, formulée dans le rapport d'étape de la mission d'information sur l'avenir institutionnel des outre-mer, de créer une mission impartiale dans le but d'aboutir à un accord global. Cela suppose de suspendre la réforme constitutionnelle envisagée, pour retrouver le chemin du dialogue. Il est urgent de laisser le temps aux parties de construire une solution négociée, pacifique et durable. La prise en main du dossier par le ministère de l'Intérieur et des Outre-mer n'est pas propice à des négociations sereines – ce n'est pas vous que je critique, monsieur le ministre, mais le passage du niveau primo-ministériel au niveau ministériel. Nous devons avancer sereinement ; malheureusement, vous ne semblez pas en prendre le chemin.

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