Intervention de Nicolas Metzdorf

Réunion du lundi 29 avril 2024 à 17h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNicolas Metzdorf, rapporteur :

Je commence par présenter mes excuses à mes collègues : le rapport n'est pas encore disponible, car je mène encore des auditions en métropole, après de nombreuses autres en Nouvelle-Calédonie. Il le sera la semaine prochaine.

Un peu d'histoire : les accords de Matignon prévoyaient un référendum sur l'indépendance en 1998. Mais les deux grands mouvements politiques de l'époque, le RPCR –Rassemblement pour la Calédonie dans la République – et le FLNKS – Front de libération nationale kanak et socialiste –, ont estimé qu'il était bien trop tôt, après les événements de 1988, pour refaire un référendum sans raviver les tensions. Il a donc été décidé de trouver un accord plus global, un accord de décolonisation. C'est l'accord de Nouméa, qui reconnaît les ombres de la colonisation, et ses lumières, bien évidemment ; il met en avant les dégâts qu'elle a provoqués pour le peuple kanak. C'est aussi un accord de décolonisation au sens où il prévoit d'importants transferts de compétences, faisant de la Calédonie le territoire le plus autonome de la République. Le corps électoral était restreint, puisqu'il fallait dix ans de présence sur le territoire pour voter aux élections provinciales et aux référendums, même si les deux listes électorales étaient différentes.

Cette étape constructive devait mener à trois référendums. À cette époque, personne ne pensait que nous serions capables d'organiser ces trois consultations : tout le monde pensait que ce serait dangereux.

En 2007, de manière unilatérale, sans consensus ni accord global, le président Chirac, en lien avec le président de la province Nord Paul Néaoutyne, a décidé un nouveau gel du corps électoral : il ne fallait plus dix années de présence, mais être arrivé avant novembre 1998. Tous les Français arrivés après cette date, de métropole ou des outre-mer, ne pourraient jamais voter ni aux élections provinciales, ni aux référendums. À l'époque, 7 % de l'électorat était concerné ; c'est un électeur sur cinq aujourd'hui.

Je suis un fervent opposant à ce gel électoral, mais il faut lui reconnaître un avantage : il a légitimé le résultat des référendums, remportés tous les trois par les non-indépendantistes. Je rappelle qu'il suffisait que les Calédoniens votent oui à un seul référendum pour que l'indépendance soit proclamée, mais que l'accord de Nouméa prévoyait que si les trois référendums étaient négatifs, on « [examinerait] la situation ainsi créée ».

Nous y sommes. Gérald Darmanin est venu sept fois en Nouvelle-Calédonie, il y a mené des dizaines de réunions avec les indépendantistes comme avec les non-indépendantistes, il a missionné un préfet chargé uniquement des négociations. Les trois partenaires de l'accord de Nouméa – le Gouvernement, les indépendantistes et les non-indépendantistes – ont passé des centaines d'heures à discuter.

Nous étions proches d'un accord, après être allés très loin dans les négociations. Nous pensions pouvoir conclure un accord global. Je rappelle que les indépendantistes, notamment les plus modérés, ceux de l'UNI-Palika – Union nationale pour l'indépendance-Parti de libération kanak –, avaient déclaré publiquement qu'un retour à l'équilibre de 1998, c'est-à-dire dix ans de présence sur le territoire pour voter, était acceptable. Malheureusement, les indépendantistes les plus durs, les plus radicalisés – j'ose le mot –, ont prévalu au sein du FLNKS, et toutes les avancées que nous avions obtenues ont été remises en cause.

Les élections provinciales étaient prévues en mai, et le corps électoral doit être dégelé, pour les raisons juridiques qu'a rappelées le ministre.

L'article 1er du projet de loi constitutionnelle porte sur le temps de présence nécessaire pour voter. Les non-indépendantistes avaient proposé une période de trois ans glissants, considérant que, puisque nous avons voté trois fois non à l'indépendance, nous étions des Français quasiment comme les autres. M. le ministre, qui avait dans un premier temps coupé la poire en deux en proposant une durée de sept ans de présence sur le territoire, s'est finalement rangé à la proposition des indépendantistes.

Il a aussi accepté la demande des indépendantistes de privilégier un accord global : c'est l'article 2. J'ai l'impression de vivre en métropole ce que nous vivons en Nouvelle-Calédonie : un débat très binaire, qui oppose dégel du corps électoral à un accord global. Mais l'article 2 est magnifique du point de vue juridique, puisqu'il met au-dessus de la loi organique et de la Constitution un accord obtenu en Nouvelle-Calédonie : la loi constitutionnelle devient caduque si les Calédoniens trouvent un accord global jusqu'à dix jours avant les élections provinciales.

Le Gouvernement, représenté par M. Darmanin, a tout fait et continue de tout faire pour que les Calédoniens trouvent un accord global sur un projet d'avenir. Le projet de loi constitutionnelle garantit seulement que si les élections provinciales devaient se tenir sans accord politique, elles auraient lieu avec un corps électoral dégelé, ce que tant la Cour européenne des droits de l'homme que le Conseil d'État ont estimé nécessaire.

Le projet de loi constitutionnelle est très équilibré, peut-être trop, vous diront les non-indépendantistes – je ne le dirai pas, puisque j'en suis le rapporteur. Il devrait faire l'unanimité dans la classe politique, puisqu'il résout le problème juridique tout en permettant un accord jusqu'au bout ; les élections ont déjà été décalées de six mois, mais elles pourraient l'être jusqu'en novembre 2025. L'esprit de recherche du consensus est donc préservé.

Les Calédoniens attendent ces élections depuis longtemps ; ils attendent surtout une traduction concrète de leur vote aux référendums, dont le troisième s'est tenu en 2021. La Calédonie traverse une grave crise économique, liée à l'incertitude institutionnelle comme à la crise du nickel. Nous vivons un déficit migratoire sans précédent : nous perdons 4 000 à 5 000 habitants par an depuis cinq ans, ce qui met nos finances au plus mal. Nous sommes bien loin d'un repeuplement du territoire.

Il faut donc redonner des perspectives aux Calédoniens ; le projet de loi constitutionnelle va dans ce sens.

En ce qui concerne les ingérences étrangères, je rappellerai aussi que l'Union calédonienne, qui n'est pas le parti indépendantiste le plus constructif, a annoncé qu'une délégation se rendrait au Venezuela pour aller y chercher du soutien. On voit que les pays qui soutiennent les indépendantistes les plus radicalisés ne sont pas des modèles de démocratie. Or la plupart des Calédoniens, qu'ils soient indépendantistes ou non, veulent vivre dans une république démocratique.

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