Merci de me donner l'occasion de débattre à nouveau avec vous de la Nouvelle-Calédonie, après mon audition au sujet du projet de loi organique portant report du renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie – adopté par le Sénat puis par l'Assemblée nationale – et mon audition, le 9 avril dernier, par le groupe de contact organisé par la présidente de l'Assemblée nationale.
Ce projet de loi constitutionnelle modifie la composition du corps électoral pour les seules élections provinciales – vous savez qu'il existe trois listes électorales en Nouvelle-Calédonie. Le Gouvernement souhaite un vote conforme. Le texte du Sénat ne nous satisfait pas totalement, mais il est conforme à l'esprit du texte initial comme à la volonté calédonienne et son adoption rapide nous laissera le temps nécessaire pour discuter avec toutes les parties prenantes tout en tenant l'engagement d'organiser les élections avant le 15 décembre 2024.
Le texte prévoit l'intervention des présidents des deux assemblées. Le Gouvernement ne voit rien à y redire : le Parlement – en tout cas, le Sénat – le souhaite, ces autorités morales et politiques sont évidemment les bienvenues dans le processus, et la présidente Braun-Pivet comme le président Larcher s'intéressent aux questions calédoniennes depuis leur entrée en fonctions. Je ne vois aucun inconvénient à ce qu'ils jouent un rôle de médiation ou d'aide ‒ même si c'est bien le Gouvernement qui défend le projet de loi constitutionnelle devant le Parlement.
Le projet de loi organique prévoyant le report des élections provinciales a été voté au Sénat puis à l'Assemblée, alors que nous n'avons qu'une majorité relative à l'Assemblée et que nous sommes très minoritaires au Sénat. Nous avons donc convaincu une grande partie des députés comme des sénateurs ; c'était une prouesse. Le projet de loi constitutionnelle a également été adopté par le Sénat, comme cela a été dit.
Veut-on que la démocratie locale s'exprime en Nouvelle-Calédonie, que les Calédoniens nés de parents calédoniens puissent voter ? Voilà la question qui nous est posée.
Dix années de présence sur le territoire demeureront nécessaires pour voter à des élections locales, conformément à ce qui avait été imaginé par Lionel Jospin dans l'accord de Nouméa – condition modifiée par la suite par le président Chirac pour des raisons politiques qui n'avaient pas grand-chose à voir avec la Nouvelle-Calédonie, mais qui tenaient plutôt au rapport de forces qu'il entretenait avec son ministre de l'Intérieur de l'époque.
Dominique de Villepin avait dit à la tribune du Congrès, à Versailles, que le gel du corps électoral pour les élections provinciales ne valait que pour les deux élections provinciales à venir ; nous arrivons à la troisième. Le corps électoral des élections provinciales en Nouvelle-Calédonie restera restreint, de façon exceptionnelle par rapport au reste du territoire national mais aussi par rapport aux autres démocraties – je n'en connais pas où des citoyens d'un pays doivent attendre dix ans pour voter à une élection locale. J'ai aussi l'honneur de défendre ce dossier devant les Nations unies, et le C-24 – le Comité spécial de la décolonisation – nous a adressé un satisfecit à ce sujet.
Le Gouvernement n'ignore pas les manifestations organisées ces dernières semaines ; la participation a été très impressionnante : plusieurs dizaines de milliers de personnes pour chacune des parties, près de 10 % du corps électoral calédonien. Je remercie le haut-commissaire, les gendarmes et les policiers qui ont permis que ces manifestations se déroulent dans deux rues séparées de Nouméa et qu'il n'y ait pas d'affrontement. Le dossier peut paraître bien épineux depuis la métropole, et certains pourraient se demander s'il est vraiment utile de convoquer les parlementaires à Versailles pour un changement de corps électoral en Nouvelle-Calédonie ; sur place, on le voit, le sujet est crucial et nous devons tous prendre nos responsabilités.
Mais nous souhaitons surtout donner la priorité à la vie des Calédoniens. Vous avez cité la question économique. Les réserves de nickel, principale richesse de ce magnifique territoire, sont très importantes, mais le secteur est en grande difficulté ; les trois usines fonctionnent difficilement, voire plus du tout. Or le modèle économique et social de l'archipel est fondé sur le nickel : plus de la moitié des emplois, directs et indirects, en dépendent. Et comme le gouvernement est autonome, les systèmes sociaux, sanitaires et économiques en dépendent également. Le Gouvernement de la République française n'a pas de compétence en la matière, mais il verse énormément d'argent depuis longtemps pour soutenir les salaires, les entreprises, notamment les mines, et les collectivités locales.
Je salue le travail de Bruno Le Maire et des présidents des différentes collectivités, notamment le président Mapou et la présidente Backès, pour arriver à un accord sur la filière du nickel. Faut-il fermer une usine, transformer le modèle économique, changer la doctrine du nickel et choisir d'exporter sans transformer sur place ? Des décisions difficiles devront être prises, en lien avec l'État, et pour cela, le Congrès de Nouvelle-Calédonie comme les gouvernements des provinces doivent trouver une nouvelle légitimité grâce à un renouvellement démocratique, donc à de nouvelles élections.
Or chacun constate que le corps électoral gelé n'est plus conforme aux principes de la démocratie. Le Conseil d'État nous a lui-même fortement suggéré qu'un décret de convocation d'un corps électoral non modifié serait probablement attaqué, et les élections annulées. Nous serions alors obligés de revenir vers le Parlement. Plutôt que de jouer cette mauvaise comédie, nous avons préféré prendre nos responsabilités.
Voilà trois ans que nous discutons avec les indépendantistes comme avec les non-indépendantistes pour trouver un accord que nous qualifions de global sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Faut-il réformer ces institutions ? Après tout, cinq organes pour un archipel de 300 000 habitants, c'est peut-être excessif. Personne ne disconviendra, je pense, que trois codes de l'environnement, un pour chaque province, ce n'est pas très efficace à l'heure du réchauffement climatique. Mais personne ne s'accorde non plus sur une construction institutionnelle idéale. Faut-il prévoir une autodétermination dans le futur – ni demain, ni après-demain – qui serait conforme aux engagements internationaux de la France mais aussi à nos principes constitutionnels, lesquels prévoient évidemment le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ? Le Gouvernement y est favorable ; encore faut-il en déterminer les modalités concrètes. La question de la représentativité du corps électoral est là aussi centrale.
Aucune des discussions n'a abouti à un accord global. Le Gouvernement prend donc, comme il l'avait annoncé, ses responsabilités sur la seule question du corps électoral restreint des élections provinciales, la plus urgente puisque les élections devaient se tenir au mois de mai de cette année.
Vous évoquez enfin la question des ingérences étrangères. Il y a en Nouvelle-Calédonie une sorte de tradition en la matière.
Longtemps, la Nouvelle-Zélande et l'Australie ont entretenu avec les courants indépendantistes un lien particulier ; c'est beaucoup moins vrai, voire plus du tout. Je peux témoigner du fait que mes homologues australiens, que j'essaye de rencontrer chaque fois que je me rends en Nouvelle-Calédonie – sept fois ces deux dernières années –, sont très heureux de la présence française dans le Pacifique, souhaitent des partenariats avec nous et se réjouissent de la diplomatie indo-pacifique dessinée par le Président de la République.
Il existe aussi une ingérence asiatique, notamment chinoise, en particulier en matière économique – je pense au nickel, mais aussi à la pêche ou aux câbles sous-marins en Polynésie française.
Nous avons enfin découvert il y a quelques mois une ingérence nouvelle, celle de l'Azerbaïdjan, que l'on pourrait qualifier d'opportuniste – quel est, en effet, l'intérêt de ce pays à être présent dans la zone du Pacifique Sud ? Le lien que l'Azerbaïdjan entretient avec quelques courants indépendantistes, voire avec quelques personnes, ne paraît pas conforme à un idéal politique mais plutôt numéraire. Sur ces liens de toute sorte, la délégation parlementaire au renseignement peut sans doute demander des précisions.
L'Azerbaïdjan, on le voit bien, utilise le dossier calédonien non pas pour le bien de telle ou telle population ou pour soutenir tel ou tel principe démocratique – encore faudrait-il que ce pays en ait, ce qui n'est pas flagrant –, mais pour répondre à la défense des Arméniens par la France. Cette défense est, je crois, tout à notre honneur et l'utilisation de ce dossier par l'Azerbaïdjan nous choque profondément. C'est un cas d'école d'une ingérence telle que la définit votre proposition de loi en cours d'examen au Parlement, monsieur le président.
Il faut dénoncer ces ingérences. La direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) les contrôle, sous mon autorité, comme la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) sous celle du ministre des armées. J'ai demandé au haut-commissaire de se saisir de ce sujet. Je sais aussi qu'il y a des débats à ce propos au sein du Congrès de Nouvelle-Calédonie.
La signature de prétendus protocoles politiques entre une partie du courant indépendantiste et la dictature azerbaïdjanaise n'est évidemment pas possible politiquement ni acceptable moralement. Elle nous amène surtout à nous interroger sur la volonté profonde de certains groupes qui semblent voir en l'Azerbaïdjan un modèle politique : ce n'est pas l'avenir que nous souhaitons pour la Nouvelle-Calédonie, et je suis sûr que personne ici ne dira le contraire. Cette ingérence étrangère caractérisée est extrêmement néfaste et nous regrettons que des hommes et femmes politiques français, d'une partie du courant indépendantiste, voient dans l'Azerbaïdjan une planche de salut.
Je redis que le Gouvernement est à la disposition de tous les acteurs calédoniens pour continuer les discussions. Je redis également que le corps électoral demeure restreint pour les élections provinciales, même modifié. Le Gouvernement ne souhaite pas décaler à nouveau ces élections, mais, en cas d'accord sérieux, nous avons la possibilité de les reporter encore jusqu'en novembre 2025. Notre main est toujours tendue pour une discussion trilatérale, à Paris ou à Nouméa. Si cet accord devait se dessiner, pour le bien de la Nouvelle-Calédonie et des Calédoniens, le Gouvernement le reprendrait, à la demande du Président de la République. Mais la procrastination ne fait pas une bonne politique. Les Calédoniens attendent, comme tous les Français et comme tous ceux qui vivent en démocratie, de voter pour les élections locales qui détermineront des questions économiques et sociales cruciales, comme l'aide sociale à l'enfance ou les régulations de l'urbanisme et de l'économie.