Comme je l'ai dit, j'ai démarré ce métier très jeune. Depuis l'âge de 22 ans, j'ai validé des centaines de unes de journaux. Jeudi dernier, lorsque j'ai découvert cette une, j'ai considéré qu'elle posait un problème et laissait planer une ambiguïté.
Tous les matins, à chaque instant, nous sommes jugés par les Français quant à notre crédibilité et à notre fiabilité. Préserver la crédibilité de notre mission d'information est un enjeu de taille. J'ai découvert cette une vers sept heures et demie, jeudi dernier. J'ai immédiatement envoyé un mail à Laurent Guimier et au directeur général de La Provence, Gabriel d'Harcourt, pour leur signaler que je la trouvais ambiguë, car elle pouvait laisser penser que le journal avait laissé la parole à des narcotrafiquants.
L'indépendance des journalistes n'a pas été mise en question dans cette affaire. M. Saadé est propriétaire de La Provence et de Corse-Matin depuis un an et demi et il n'y a jamais eu, depuis, d'ingérence. Dans le cas contraire, nous l'aurions su. Lorsque j'ai rencontré les journalistes de La Provence, vendredi matin, aucun n'a soulevé la question de leur indépendance depuis que le groupe Whynot Media existe et depuis que M. Rodolphe Saadé en est propriétaire.
Le seul point de désaccord éventuel vient de ce que je considère que la une est la vitrine d'un journal et qu'il ne peut pas y avoir d'ambiguïté quand on s'inscrit dans les valeurs de la République – en l'occurrence, en laissant penser que l'on aurait donné la parole à des narcotrafiquants comme on le ferait avec des policiers, des pompiers ou des travailleurs sociaux. Les journalistes avec qui j'ai dialogué ont reconnu qu'il y avait eu un problème d'édition. Certains lecteurs ont pensé qu'on avait donné la parole à des habitants de La Castellane, mais d'autres ont pensé qu'on l'avait donnée à des narcotrafiquants, ce qui était une provocation à l'égard des habitants de ce quartier et des Marseillais.
Un quotidien régional a une mission et une responsabilité. En tant que dirigeants de journaux, nous sommes directeurs de la publication. Il m'est arrivé, au cours de ma carrière, de me retrouver devant des tribunaux pour assumer la responsabilité des contenus de nos journaux.
S'agissant de cette une, nous considérons qu'il y a eu une erreur d'édition. Notre directeur de la rédaction était en Pologne lorsqu'elle est parue. Lorsque j'ai demandé à le voir, vendredi matin, j'ai assumé de le mettre en dispense d'activité le temps de conduire un audit pour comprendre la défaillance dans la production et dans la chaîne de commandement. Il n'a nullement été envisagé de le licencier, comme ce qui a pu être écrit. Pour nous, il était très important, conformément à notre engagement vis-à-vis des lecteurs, de comprendre ce qui s'est passé et ce qui a permis que cette erreur soit commise en une.