Je suis honoré de m'exprimer devant la représentation nationale et cette commission d'enquête, relativement à l'attribution, au contenu et au contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre, la TNT. C'est l'occasion de vous faire part du sens de mon engagement dans les médias, et des raisons qui m'ont poussé à investir dans cette industrie.
Nous sommes d'abord une entreprise familiale de transport et de logistique, dont l'aventure a démarré à Marseille le 13 septembre 1978. À cette époque, mon père décide de fuir Beyrouth et de venir s'installer à Marseille pour nous protéger de la guerre au Liban. Cela devait être temporaire ; nous y sommes depuis plus de quarante-cinq ans.
Convaincu que les échanges économiques par voie maritime seraient amenés à se développer et que le conteneur jouait un rôle prépondérant, mon père crée la Compagnie maritime d'affrètement (CMA) avec quatre collaborateurs et un bateau en location reliant Marseille, Livourne, Lattaquié et Beyrouth. Il ne cessera de se développer : en Asie dès 1986, en Chine dès 1992, puis en Océanie, en Afrique et sur tous les continents. En 1996, il rachète la Compagnie générale maritime (CGM), lourdement endettée et redressée en un an seulement. Ce rachat donnera naissance au groupe CMA CGM, qui deviendra dès 2005 le numéro 3 mondial du transport maritime.
En 2017, je prends la succession de mon père. En 2018, tout en poursuivant le développement de l'activité de transport maritime, je fais le choix de nous diversifier dans la logistique pour offrir à nos clients des solutions complètes, couvrant l'ensemble de leurs besoins, en faisant du point à point et pas seulement du port à port : nous rachetons ainsi Ceva Logistics, alors numéro 12 mondial du secteur et en grande difficulté financière. Ma première décision consiste à rapatrier cette entreprise en France, à Marseille. Ceva Logistics a perdu de l'argent pendant plus de dix ans, et il nous aura fallu dix-huit mois pour la redresser. Nous accélérons ensuite son développement, avec la volonté d'écrire une nouvelle page de son histoire pour en faire un leader mondial de la logistique.
En 2021, nous rachetons la société américaine Ingram Micro Commerce & Lifecycle Services (CLS), très présente en Europe et aux États-Unis, et nous faisons l'acquisition de Colis Privé, pour nous positionner sur le segment du dernier kilomètre en logistique. Nous rachetons également Gefco à un actionnaire russe pour nous développer dans la logistique des véhicules finis, et ce sous pavillon français.
Il y a trois semaines, nous avons annoncé et finalisé l'acquisition de Bolloré Logistics, et nous sommes désormais le cinquième logisticien mondial.
Je suis fier d'être à la tête d'un groupe français leader de son industrie, qui emploie plus de 170 000 collaborateurs à travers le monde, dont 17 000 en France, et est présent dans plus de 160 pays. Si le groupe CMA CGM a beaucoup évolué depuis ses débuts, certaines choses ne changent pas : notre dimension familiale et les valeurs humaines qui y sont associées, lesquelles s'expriment dans l'attachement que nous avons à l'entreprise et à ses collaborateurs ; notre esprit entrepreneurial et notre passion pour le développement – avec la conviction que pour réussir, il faut investir et garder le cap même dans les périodes difficiles ; notre attachement à la France et à Marseille ; notre volonté d'être utiles pour notre pays et notre territoire.
Vous retrouverez ces valeurs qui font dans nos investissements dans les médias. Whynot Media permet une diversification significative pour le groupe CMA CGM. Ce pôle a démarré avec les journaux La Provence et Corse-Matin. Je l'ai dit, je suis attaché à Marseille et La Provence est intimement liée à l'histoire de cette ville. Lors de la liquidation du groupe de Bernard Tapie, son maintien à Marseille et sa survie étaient en danger. Nous avons répondu présent et lancé un vaste plan de transformation et de développement, en investissant plus de 36 millions d'euros au-delà du prix de vente. Nous avons procédé à la refonte de la maquette du journal, des sites web et des applications de La Provence et de Corse-Matin. Nous avons lancé, fin 2023, un nouvel hebdomadaire consacré à l'Olympique de Marseille (OM), intitulé 1899 L'Hebdo. Nous développerons une nouvelle imprimerie et les équipes de La Provence emménageront dans un nouvel immeuble au cœur de Marseille, doté des moyens pour produire des journaux, de l'audio et de la vidéo de grande qualité.
Lors de l'acquisition de La Provence, je n'avais pas nécessairement l'intention de continuer à développer un groupe de presse. Mais, très vite, je me suis rendu compte qu'un média ne pouvait être pérenne en restant isolé : pour être compétitif, il doit pouvoir s'appuyer sur un pôle plus important. Cela permet, par exemple, de proposer aux clients une offre publicitaire élargie, de bénéficier de journalistes experts en leur domaine et de partager les coûts de développement, comme dans le digital. La solidité financière du groupe CMA CGM nous a permis de constituer un pôle de premier plan avec Whynot Media.
J'ai ainsi racheté La Tribune. Cette acquisition a eu beaucoup de sens, car elle a permis de lancer des partenariats gagnant-gagnant avec La Provence et Corse-Matin : je pense notamment aux pages économiques nationales et internationales, désormais rédigées et publiées quotidiennement par les équipes de La Tribune dans les journaux La Provence et Corse-Matin. La Tribune et La Provence ont également organisé de premiers événements communs, comme l'Artificial Intelligence Marseille (AIM) ou le Forum Europe-Afrique à Marseille.
Fort de notre esprit entrepreneurial, nous avons lancé La Tribune Dimanche, qui constitue un développement important de notre pôle. Les équipes ont réussi à lancer ce nouveau quotidien du dimanche en seulement huit semaines. Ce nouveau venu dans la presse écrite a déjà trouvé son public, qui apprécie l'information nuancée qui lui est apportée, et est publié à plus de 40 000 exemplaires par semaine.
Whynot Media est constitué de La Provence, de Corse-Matin, de La Tribune, de La Tribune Dimanche et de deux participations minoritaires – 10,25 % du capital de M6 et 15,5 % de celui de Brut.
Le 15 mars, nous avons signé une promesse d'achat avec le groupe Altice pour le rachat d'Altice Media, qui dispose de trois chaînes nationales et de dix chaînes locales faisant l'objet d'une autorisation de renouvellement de fréquences TNT – BFM TV, RMC Découverte et RMC Story pour les chaînes nationales, auxquelles s'ajoutent dix chaînes régionales de BFM TV. Le périmètre d'acquisition n'inclut pas la chaîne i24NEWS, la conclusion de cette transaction restant soumise à l'approbation des autorités réglementaires et de concurrence compétentes, en l'occurrence l'Arcom et très probablement l'autorité française de la concurrence.
Le rapprochement avec Altice Media constituerait une nouvelle étape pour Whynot Media. En nous appuyant sur ses marques emblématiques que sont BFM TV et RMC, nous serions présents dans tous les canaux de diffusion – TV, radio, digital, et événementiel –, avec des expertises fortes dans la presse économique, le journalisme politique et sportif et l' entertainment ou divertissement. Nous pourrions envisager de nouveaux partenariats entre les médias du groupe. Les journalistes de La Provence et de La Tribune, par exemple, pourront intervenir davantage et s'exprimer sur les plateaux radio et télévisés. Inversement, RMC pourrait utilement apporter à La Provence son expertise dans le domaine sportif.
Au total, notre division média emploierait 2 700 collaborateurs, dont 1 200 journalistes, et 40 % travailleraient hors de Paris, au cœur des territoires, pour une information de proximité. C'est une dimension essentielle à mes yeux, et je vous y sais également sensibles.
Au moment où ce nouveau pôle est en train de voir le jour, permettez-moi de partager avec vous ma conception et ma vision de cette nouvelle industrie.
D'abord, je suis convaincu que les médias sont essentiels à notre démocratie. Au vu des événements récents à La Provence, je tiens à redire l'importance de l'indépendance éditoriale et des valeurs du groupe CMA CGM. Pour garantir cette indépendance, nous avons pris des engagements concrets. À La Provence et Corse-Matin, nous co-construisons depuis plusieurs mois avec les salariés une charte d'indépendance éditoriale et de déontologie que nous avons l'ambition de signer dans les prochaines semaines. À La Tribune, les trois chartes d'indépendance en vigueur ont été confirmées lors du rachat. Ces textes incluent, pour chaque média, le principe d'un vote consultatif des journalistes au sujet du projet éditorial des nouveaux directeurs de rédaction. Il est aussi du devoir d'une rédaction d'être exemplaire et de donner une information fiable et claire, qui ne trompe pas le lecteur et qui lui permette de se forger sa propre opinion dans le respect des valeurs démocratiques et républicaines.
Ensuite, les médias sont indispensables à la vie sociale et économique de nos territoires. La presse régionale, avec des titres tel que La Provence, Corse-Matin et BFM Régions, apporte un regard différent dont nous avons besoin. La demande d'une information de proximité et de confiance est croissance. Je suis persuadé que les médias locaux verront leur rôle renforcé dans les années à venir.
Enfin, les médias sont une activité économique et doivent être gérés comme tel. Ils ne sont pas condamnés à perdre de l'argent. Ils peuvent être rentables : l'exemple de La Tribune en témoigne. Les équipes ont construit un business model ou plan d'affaires qui fonctionne, avec une information économique de qualité et un savoir-faire reconnu dans l'événementiel. BFM TV et RMC, qui développent de très belles chaînes, sont les rares médias du secteur à afficher de très bons niveaux de profitabilité.
Comme toute autre activité, les médias ont besoin d'investissements pour se développer, former leurs collaborateurs, saisir les avantages qu'offrent les nouvelles technologies, s'adapter à un monde qui change très vite. Ils doivent aussi innover. Or l'innovation est dans l'ADN du groupe CMA CGM. Dans Whynot Media, nous mettons l'accent sur la transition digitale et les nouvelles technologies.
Peut-être plus que d'autres activités, les médias sont à un tournant de leur histoire. Ils ne sont pas les seuls vecteurs de l'information et ils sont concurrencés par les réseaux sociaux, territoire de prédilection des fake news ou fausses nouvelles. L'intelligence artificielle pourrait être une menace, mais aussi une opportunité si elle est bien utilisée. L'industrie des médias doit se transformer pour s'adapter aux grands défis de notre temps. Pour y parvenir, elle a besoin d'investisseurs et d'entrepreneurs ; faute de quoi les médias disparaîtront, comme c'est le cas de la presse locale aux États-Unis. En outre, il me semble préférable pour notre pays que ces acteurs soient français.
Dans un monde incertain, la liberté – voire le devoir – d'informer est un pilier vital de nos démocraties. Les moyens économiques sont une condition indispensable à la pérennité des médias. Je suis déterminé à permettre à ceux du pôle Whynot Media d'affronter l'avenir avec la confiance que représente un actionnaire solide, qui s'appuie sur des valeurs fortes, des valeurs qui ont fondé le parcours de ma famille et du groupe que nous avons bâti et qui résonne avec l'exigence du journalisme : l'indépendance, la rigueur, l'exigence, la précision et le travail. Pour Whynot Media, la liberté et la qualité de l'information sont davantage qu'une déclaration d'intention : elles constituent son ADN.