Nous vivons dans un pays qui a tendance à toujours taper sur les puissants et sur les groupes importants. Je ne dis pas qu'il ne faut pas de contrôle ni de transparence, aussi bien dans les groupes privés que dans les grosses coopératives, mais ces entreprises font de la France un des grands pays agroalimentaires. Elles nous ont aidés à conquérir des parts de marché ou à ne pas trop en perdre ces dernières années, rendant ainsi un très grand service à l'agriculture. Je ne me fais pas leur avocat mais je pense qu'il faudrait tenir un discours plus équilibré. Cela étant, j'entends ce que vous dites sur la transparence : garantir la démocratie interne dans les coopératives ne peut qu'aller dans le sens de la souveraineté alimentaire française.
Par ailleurs, j'ai du mal à vous comprendre concernant les accords de libre-échange. Vos propos sont contradictoires : vous déplorez la fragilité de notre excédent commercial – si l'on retire les vins et spiritueux, les céréales et les produits laitiers, nous sommes même très proches du déficit – et, dans le même temps, vous nous dites qu'il ne faut pas d'accords de libre-échange. Or ceux-ci sont très profitables pour le monde agricole français. C'est particulièrement le cas du CETA (Accord économique et commercial global), dont je regrette, je le dis ici très officiellement, le rejet au Sénat, particulièrement par mon groupe. Le CETA s'est révélé positif pour la filière lait, en particulier les fromages, et la filière vins et spiritueux. De plus, cela n'a absolument rien coûté à la filière bovine – à peine 52 tonnes d'importations de viande canadienne l'année dernière. On peut toujours craindre le pire mais ce n'est pas comme cela que l'on fait une politique de souveraineté alimentaire.
La souveraineté alimentaire se définit de différentes manières mais c'est un concept statique. Ne devrait-on pas voir les choses de façon plus dynamique ? Le vrai sujet n'est pas de se protéger contre le reste du monde en garantissant à nos agriculteurs qu'ils seront prioritaires pour vendre – c'est un peu ce que l'on ressent quand on vous entend – mais de savoir comment répondre au défi alimentaire mondial. D'ici à 2050, la planète comptera 2 milliards d'habitants supplémentaires : il faudra non seulement les nourrir, mais également répondre aux nouveaux besoins de centaines de millions de personnes qui, parce qu'elles en acquièrent les moyens – je pense aux classes moyennes dans les pays émergents –, voudront consommer comme nous le faisons dans les pays industrialisés, ce qui nécessitera de produire davantage. Nous avons donc tout intérêt, y compris pour garantir notre souveraineté alimentaire au sens strict du terme, à nous inscrire dans une logique de développement et de structuration du commerce.
Les accords de libre-échange sont nécessaires, même s'ils sont imparfaits, voire dangereux, et même s'il faut vingt ou trente ans pour les établir, comme c'est le cas pour le Mercosur. Ils offrent en outre un cadre plus sécurisant que la faculté laissée aux très grands groupes internationaux d'aller s'installer à l'étranger pour échapper au contrôle du monde agricole. Ne trouvez-vous pas qu'il y a une contradiction dans vos propos ?