Le poids des normes est un sujet de préoccupation constant. Le dossier de la PAC ne doit plus être rempli par beaucoup d'agriculteurs, tant il est devenu complexe de respecter chacune des BCAE (bonnes conditions agricoles et environnementales).
Tout ce qui nous est imposé est conçu loin de nos champs. Pour être éligible à l'aide aux MLG (mélanges légumineuses-graminées), la composition des semences doit être déterminée non pas en fonction des variétés mais du poids de mille grains : je ne sais même pas comment un contrôleur, si ce n'est à vue d'œil et à condition qu'il connaisse les variétés, peut nous contrôler. Les factures affichent des kilogrammes de semences, mais ce n'est pas cela qui sort de nos terres !
Concernant les haies, les agriculteurs ne savent plus ce qu'ils ont le droit de faire. Le dossier PAC étant souvent délégué, si des arbres isolés ou des haies ont été intégrés dans les surfaces d'intérêt écologique, que se passe-t-il si les agriculteurs y touchent ou s'ils autorisent des voisins ou des collègues à venir faire un peu de bois ?
Quant aux cours d'eau, nous les respectons. Mais nos anciens curaient les fossés pour permettre l'écoulement normal des eaux. On l'a bien vu dans le Lot-et-Garonne, où nos collègues sont intervenus en amont de la période des pluies : ils ont ainsi évité tout problème de mauvais écoulement ou d'écoulement d'excès d'eau vers la mer.
Autre aberration, les jours de pâturage : quand une ferme a des prairies autour de ses bâtiments, on sait très bien que c'est pour que les animaux sortent.
Avec un tel système, nous devrions noter tout ce que nous faisons. Ce serait possible si nous étions aux 35 heures, mais notre charge de travail est telle qu'il est déjà compliqué de se reposer. C'est bien pour cela que beaucoup d'agriculteurs sont en détresse, et pas seulement ceux qui vont mal financièrement : de nombreux agriculteurs sont épuisés par les tâches administratives.
Nous défendons bien entendu le droit à l'erreur, avec un seul contrôle pédagogique. Certaines choses nous paraissaient inutiles, comme le CSP (conseil stratégique phytosanitaire). Nous préférerions accéder à de la formation continue pour nous remettre à jour, pour prendre le temps également de nous retrouver entre agriculteurs. Encore faut-il que les personnes qui interviennent dans ces formations pour nous conseiller sur la réactualisation des pratiques et les rendre plus favorables à l'agroécologie soient elles-mêmes formées. Vous l'avez lu comme moi, le projet de loi d'orientation agricole vise à former les 50 000 personnes qui nous encadrent déjà – mais visiblement pas comme il le faudrait !
Concernant les associations, les agriculteurs ne s'opposent pas à elles. Il est possible et même souhaitable de discuter avec elles. J'ai récemment été invitée à participer à un débat sur l'eau avec un député européen tendance Europe Écologie-Les Verts, des membres des associations Bretagne vivante et Eau et rivières de Bretagne ainsi que de la Confédération paysanne : dès mon arrivée, on m'a félicitée parce que j'étais la seule femme et seule représentante de l'opposition – alors que je ne m'étais pas encore exprimée ! Ils m'ont applaudie à au moins deux reprises, signe qu'il y a moyen de discuter avec eux. Beaucoup de messages doivent être rééquilibrés : il faut leur faire comprendre le métier et combattre les influences néfastes qui sont très dangereuses pour l'avenir de nos jeunes.
Ma deuxième fille, étudiante en BTS ACSE (analyse, conduite et stratégie de l'entreprise agricole), a effectué dans ce cadre un déplacement, la semaine dernière, au cours duquel trois des interventions au moins relevaient de l'écologie pure. Même dans le Finistère, il faudrait apprendre à vivre avec le loup, en indemnisant si nécessaire les agriculteurs touchés : voilà le discours que l'on transmet aux futurs agriculteurs ! De même, l'agriculture serait responsable de la pollution aux algues vertes : ce n'est pas comme cela qu'on résout les problèmes ! Le message doit être non biaisé et formateur pour tout le monde.
On a parfois l'impression que, quel que soit le projet, celui-ci sera contesté. En Finistère Sud, un collectif s'est récemment créé pour dénoncer le passage d'une exploitation porcine de 150 à 180 truies, alors que c'est un couple qui exploite cette ferme. En Bourgogne-Franche-Comté, une association environnementale s'est opposée à un projet de 15 000 poules pondeuses en plein air au motif qu'il était préférable d'avoir quatre petits élevages de 4 000 poules. On ne sait plus où on va ! Dans tous les cas, il ne faut pas faire de l'opposition par principe.
Ce qui compte pour nous, c'est que notre modèle soit viable, vivable et transmissible, en ayant la certitude qu'il ne finira pas entre les mains de la finance.