Notre commission d'enquête est traversée par un débat portant à la fois sur la définition de la souveraineté alimentaire et sur sa réalité dans notre pays aujourd'hui. M. le président a soulevé un point intéressant. Celui-ci a toutefois besoin d'être précisé, car les conclusions de certaines analyses pourraient remettre en question la pertinence même de cette commission d'enquête.
D'abord, ce n'est pas cette commission qui a mis en exergue l'enjeu de la souveraineté alimentaire mais le Gouvernement lui-même qui a jugé bon, il y a quelque temps, d'inscrire cette notion au fronton du ministère de l'agriculture. Quant à M. Fesneau, il rappelle régulièrement l'importance de la reconquérir. Cela corrobore l'idée selon laquelle il y a bien là un enjeu : nous pourrions la perdre ou l'avoir déjà perdue.
Je le répète : dans le rapport de l'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) sur la souveraineté alimentaire, il ne faut pas se contenter de lire la colonne consacrée au taux d'autoapprovisionnement. Elle est bien verte, en effet, mais quatre autres colonnes permettent de caractériser notre dépendance aux importations. Le taux de couverture de la consommation par la production nationale, par exemple, présente des chiffres très contrastés, traduisant une inadaptation de certaines productions à la consommation. Nous exportons par exemple des pattes et des crêtes de poulet, ainsi que des oreilles et des pieds de cochon, dont la consommation est relativement limitée sur le sol national. De la même façon, la production de lait n'est pas suffisante pour couvrir nos besoins en matières grasses. Si l'on importe du blanc de poulet en grande quantité et que l'on exporte des pattes de poulet, on comprend l'origine de la différence de valeur que vous avez soulignée, madame la présidente, entre exportations et importations.
Le tableau figurant en page 14 du rapport de FranceAgriMer montre que la France importe 37 % de sa consommation de fruits tempérés, 33 % de celle de légumes frais, 42 % de celle de poulet, 53 % de celle d'ovins, 21 % de celle de viande bovine, 25 % à 40 % de celle de produits laitiers, 75 % de celle de blé dur, 67 % de celle soja et 37 % de celle de sucre. Celui de la page 19 présente l'évolution de ces indicateurs : le nombre de cases rouges par rapport au nombre de cases vertes n'est pas rassurant.
N'oublions pas qu'il est indispensable, pour préserver notre souveraineté alimentaire, de disposer d'un outil industriel agroalimentaire qui nous permette de transformer nos matières premières.
La Coordination rurale définit la souveraineté alimentaire comme « la capacité à choisir son régime alimentaire, en quantité suffisante pour nourrir sa population en fonction de son origine, mais aussi de sa qualité et de son mode de production ». Pour elle, « cette notion implique donc d'avoir la capacité, pour un pays ou un groupe de pays, de produire suffisamment pour pouvoir faire ce choix, mais aussi d'accéder aux marchés extérieurs si le choix qui est fait est de s'approvisionner ailleurs en tenant compte des mêmes limites que celles de la sécurité alimentaire ».
Cette définition est bien différente de celles que nous avons entendues au cours des précédentes auditions : certains considèrent en effet que la souveraineté alimentaire, c'est la maîtrise des importations, en oubliant la notion de production nationale.
L'article 1er du projet de loi d'orientation agricole définit la souveraineté alimentaire comme la « capacité [de la France] à assurer son approvisionnement alimentaire dans le cadre du marché intérieur de l'Union européenne et de ses engagements internationaux ». Cela vous semble-t-il une bonne définition ?