À l'instant t, vous avez raison, on observe une stabilisation. Cependant, je pense que nous sommes totalement déstabilisés. Même si la production était stabilisée, la dérégulation a eu pour conséquences des fermetures d'usines, des suppressions d'emplois, une diminution de la diversité de la production dans certaines exploitations, puisque des secteurs entiers ont disparu – le Calvados, l'Auvergne. Le consommateur ne s'y est absolument pas retrouvé. Surtout, l'Union européenne a perdu sa souveraineté et sa sécurité, passant de 21 à 16 millions de tonnes. En fait, on a tout perdu. En raison de phénomènes climatiques, le Brésil a moins produit et la Thaïlande a moins exporté ; sans les évolutions du marché qui en ont résulté, nous serions tombés l'année dernière de 370 000 à 320 000 hectares. À la prochaine inversion du marché, nous perdrons beaucoup de surfaces : le nombre de cultivateurs a diminué et les surfaces dans les fermes n'ont pas augmenté en proportion. Il y a eu un effet d'aubaine : les agriculteurs se sont dit que le prix de la betterave en 2023 était très bon – plus de 45 euros la tonne –, tandis que celui du blé s'était effondré, qu'ils allaient donc faire un effort dans le cadre de la rotation et augmenter les surfaces de betterave. Mais ils reviendront à la normale quand le cours baissera. Nous aurons quelque 390 000 hectares cette année, mais nous ne les tiendrons pas dans la durée. Donc, nous sommes déstabilisés.
Je le redis, il faut ajouter au tableau la distorsion de la concurrence européenne. La politique agricole commune (PAC) prévoit des aides couplées pour certaines productions. En Pologne, la betterave est couplée, et les planteurs reçoivent, je crois, environ 500 euros par hectare, tandis que la France a choisi de coupler l'élevage bovin, lait et viande. La Pologne a opté pour une vraie stratégie de développement et de présence sur les marchés.
Nous sommes donc dans un monde très concurrentiel. La situation est comparable avec celle de la fin des quotas, dont je peux peut-être parler plus librement qu'Alain Carré. À l'époque, en 2017, chaque groupe sucrier a espéré que son concurrent ne résisterait pas à la crise, qu'en craquant les prix pendant deux ans, les surfaces diminueraient et que les plus solides pourraient prendre la place des autres, ce qui s'est traduit par une concurrence féroce sur les marchés.