Dans le secteur public, l'INRAE n'a pas travaillé sur la jaunisse avant la crise de 2020. Mon intention n'est pas de le critiquer, mais j'ai besoin de recherches qui m'apportent des solutions concrètes pour ma ferme, parce que je suis d'abord agriculteur. Il est maintenant très impliqué dans le PNRI, aux côtés de l'Institut technique de la betterave (ITB), et des appels à projets ont été lancés, pour trouver des solutions en partenariat avec des entreprises, notamment des start-up.
Nous avons désormais une meilleure connaissance de l'arrivée des pucerons et du modèle climatique le plus efficace pour la prédiction. Les agriculteurs sont donc mieux sensibilisés et plus à même, en cas d'attaque, de protéger les plantes en utilisant des produits phytosanitaires. Il nous reste deux insecticides, moyennement efficaces. Sachant que la betterave reste sensible tant qu'elle est petite et que ses feuilles ne couvrent pas le sol, et que la durée limitée des produits oblige parfois à y recourir plusieurs fois en fonction de l'attaque, si je n'ai plus, demain, de produit autorisé, je n'ai plus d'autre perspective que la recherche variétale. C'est la seule capable d'offrir à l'avenir des variétés résistantes aux virus de la jaunisse, qui sont au nombre de quatre, ce qui rend les recherches plus complexes. Cette solution sera effective d'ici trois à quatre ans.
Nous avons absolument besoin des variétés NBT, New Breeding Techniques, correspondant aux recherches européennes en cours pour accélérer les croisements. On constate que la canne à sucre est un OGM, un organisme génétiquement modifié ; l'Ukraine ne cultive quasiment que des betteraves OGM : par l'importation, ce que nous ne produisons pas en Europe se retrouve quand même dans nos assiettes et celles de nos enfants. L'Ukraine emploie vingt-trois molécules interdites dans l'Union européenne : ses cultivateurs ont tous les produits qu'ils veulent pour protéger leurs cultures, il faut en être conscients. Nous avons l'agriculture la plus sûre du monde ; tout n'est pas parfait, mais entre le moyennement parfait et le très imparfait, il faut sans doute choisir. Les variétés offriront peut-être une solution ; certains grands groupes de semenciers en cherchent.
À ce stade, nous n'avons pas beaucoup d'autres possibilités. Nous avons essayé d'associer des espèces, par exemple en semant de l'avoine en même temps que la betterave, mais l'avoine prend le dessus et c'est très peu efficace : cela fonctionne un an sur deux, selon l'humidité des sols. Ensuite, il faut détruire l'avoine, ce qui implique de désherber.
Dire qu'on fait de la politique ne doit pas être péjoratif, mais quand on fait des annonces, il faut qu'elles aient une réalité. Aujourd'hui, j'ai prêté serment – pour la première fois. Quand, par voie de presse, a été affirmé publiquement que des haies auraient pu sauver tous les champs de betterave en 2020, c'est faux et archifaux. Dans le bocage normand, on trouve des haies, des cultures diversifiées, de la prairie, tout ce qu'on veut, pourtant les betteraves fourragères y étaient aussi jaunes qu'ailleurs. Ce n'était pas la solution. Une étude a été menée sur les haies dans le cadre du PNRI : elles sont parfois avantageuses, mais il arrive qu'elles aggravent le phénomène. Certains préconisent donc une solution parfaite inexistante. Nous, nous avons besoin de moyens concrets de protection. Dans l'économie compétitive que nous connaissons, nous ne pouvons pas nous permettre de perdre 5, 10, voire 70 % de notre récolte : les agriculteurs n'y résisteront pas.
En plus des variétés, il existe un produit de biocontrôle auquel je crois beaucoup : la start-up Agriodor associe des odeurs capables de repousser les pucerons et de freiner leur multiplication. Toutefois, il y en aura toujours : la protection des betteraves passera à la fois par de nouveaux produits, par des variétés résistantes – mais elles ne le sont jamais totalement – et, quand il le faudra, par des produits phytosanitaires.