Oui, car le sucre se conserve très bien, et se transporte facilement à bas coût en raison de sa densité.
S'agissant de l'Ukraine, je souligne qu'elle exporte davantage par la mer Noire qu'avant la guerre. Tout le monde pense que les ports ont sauté, mais quand on regarde les flux, on s'aperçoit que les exportations ont augmenté. En revanche, qu'elles concernent les céréales ou d'autres productions, elles ne sont plus dirigées vers les marchés historiques, notamment du Moyen-Orient et d'Afrique, elles le sont vers l'Union européenne. La guerre qui se déroule à nos portes a pour conséquence d'inonder les marchés européens de ces produits, qui entrent par la mer en Italie et en Espagne, ou à Rotterdam pour remonter le Rhin ; dans beaucoup de filières, les prix sont craqués. L'Ukraine nous inonde et la Russie est en train de prendre place dans des marchés historiquement occupés. Dans Géopolitique du sucre, Sébastien Abis et Thierry Pouch expliquent que la Russie possède le plus gros potentiel sucrier : elle a de bonnes terres et le changement climatique lui est profitable, notamment en rendant cultivable des terres qui ne l'étaient pas. Il faut qu'on se méfie.
Pour conserver sa souveraineté, la France ne doit pas se reposer ; il faut réfléchir à la production sucrière à l'échelle européenne. On parle beaucoup du puceron vecteur de jaunisse, mais un autre insecte, la cicadelle, transmet le syndrome des basses richesses – je l'ai constaté l'année dernière en Allemagne. Celui-ci fait chuter la teneur en sucre des betteraves de 16 % à 12 %, et diminue les rendements. À moins de 100 kilomètres de Strasbourg, la cicadelle se développe fortement. Dans le secteur, les gros concurrents européens sont Südzucker, numéro un, et Nordzucker en Allemagne, Tereos et Cristal Union en France. Or une grande partie du bassin de production de Südzucker est atteinte par cette maladie qui s'est développée en deux ou trois ans. Chaque fois qu'on est privé de moyens de protéger les plantes, d'insecticides en particulier, on est confronté à de nouvelles maladies. Si celle-ci arrive en France, ce sera une catastrophe. Pour nous, l'enjeu est de conserver des moyens de production sans lesquels nous risquons de perdre rapidement des filières complètes et des pans entiers de l'économie.