Je commencerai par présenter le contexte économique et géographique dans lequel s'inscrit notre filière. La production de betteraves se situe dans le nord de la France. Elle est cyclique : nous plantons nos betteraves au mois de mars, nous les récoltons à partir du mois de septembre et les usines les transforment de septembre à janvier. Elle est réalisée dans des territoires ruraux par 24 000 planteurs, dans des exploitations d'environ 20 hectares chacune, et transformée dans une vingtaine de sucreries. La filière représente environ 70 000 emplois directs et indirects.
Jusqu'en 2017, le marché était organisé en quotas. La production collait à la consommation, ce qui assurait l'équilibre du marché en dépit des importations réalisées dans le cadre des accords commerciaux conclus par l'Union européenne avec le Mercosur et avec les pays de la zone Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP).
En 2017, la suppression du régime des quotas nous a fait entrer sur les marchés européen et mondial. Pour la filière, ce fut un séisme. Nous avions alors 480 000 hectares de betteraves et pensions non seulement subvenir aux besoins européens, mais aussi jouer un rôle sur le marché mondial. Or celui-ci était en crise de surproduction, ce qui a provoqué une crise économique majeure. De 2018 à 2020, le prix de la tonne de betteraves est passé de 500 à 300 euros. Un prix d'environ 500 euros la tonne garantit aux betteraviers non le confort, mais la possibilité de financer normalement leur exploitation. La chute de leur revenu a été un cataclysme, pour eux et pour nos coopératives.
Le secteur du sucre occupe un nombre restreint d'acteurs : deux grands groupes coopératifs – Cristal Union et Tereos – acquièrent 80 % de la production de betteraves ; le reste est écoulé auprès du groupe Saint-Louis Sucre, qui a deux sucreries, et de deux producteurs indépendants de Seine-et-Marne, M. Lesaffre à Nangis et M. Ouvré à Souppes. En raison de l'évolution des conditions du marché, nous avons dû restructurer ce tissu économique, ce qui a fait passer le nombre de sucreries de vingt-cinq à vingt.
La descente ne s'est pas arrêtée là. En 2020, nous avons subi une crise sanitaire en raison de l'entrée en vigueur, en 2018, de l'interdiction des néonicotinoïdes prévue par la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Le néonicotinoïde est un insecticide en enrobage de semence. Il protège efficacement la betterave du virus de la jaunisse, dont le vecteur est le puceron. En son absence, en 2020, une attaque massive de pucerons a provoqué une forte jaunisse virale, donc des pertes de rendement colossales, notamment dans la Beauce, en Seine-et-Marne, dans l'ancienne région Champagne-Ardenne et, dans une moindre mesure, dans les Hauts-de-France. La chute a parfois été supérieure à 50 %, certaines exploitations passant de 100 à 30 tonnes par hectare. Ce fut un traumatisme aux dommages importants, qui est encore dans les mémoires des agriculteurs et des industriels. Le Gouvernement a versé une aide pour compenser les pertes, loin d'atteindre 100 % pour les agriculteurs et nulle pour les industriels. Chacun a donc dû puiser dans ses réserves.
Par ailleurs, le plan national de recherche et d'innovation (PNRI) a été lancé pour identifier des solutions alternatives aux néonicotinoïdes. Trois ans plus tard, il a été renommé PNRI consolidé (PNRI-C). Le résultat est mi-probant, mi-décevant. Aucune solution n'a été identifiée ni n'est sur le point de l'être, mais nous avons progressé en matière d'identification des réservoirs viraux et nous plaçons beaucoup d'espoir dans les progrès de la génétique ; or celle-ci progresse lentement, au rythme du cycle de production d'environ un an, ce qui est bien plus long que le temps de l'espoir politique.
Nous sommes donc toujours dans une impasse s'agissant des néonicotinoïdes, ce qui pose d'autant plus problème que nous subissons des distorsions de concurrence à l'échelle européenne, et plus encore à l'échelle mondiale, dans la mesure où nos concurrents utilisent des produits interdits chez nous. Notre agriculture est vertueuse mais n'est pas reconnue comme telle par nos pairs.
Le secteur bénéficie tout de même d'une embellie des prix, car l'équilibre entre l'offre et la demande joue en notre faveur. Mais ce n'est qu'un peu de baume au cœur d'un secteur fragilisé. Nous anticipons, pour cette année, un retournement de situation qui nous fait craindre le pire.