De Maastricht à Lisbonne, en passant par le projet de Constitution européenne rejeté par le peuple français, les différents jalons de la construction européenne ont tous été marqués du sceau de l'ordolibéralisme, un projet qui consiste à réduire toujours plus la place de l'État et la mise en commun, au profit de l'individualisme et de la concurrence libre et non faussée. Dans ce cadre de pensée, la France, avec son système collectif de protection sociale – la sécurité sociale –, avec ses services publics développés, mais aussi avec ses monopoles publics et ses grands fleurons industriels à capital public, a toujours constitué un contre-modèle à abattre.
Pour y parvenir, il fallait bien entendu fixer des règles contraignantes : ce sont les règles budgétaires, dont le seul objectif est de réduire les dépenses publiques et, avec elles, les services publics et le système de protection sociale. Il fallait en outre construire un récit anxiogène, à même de faciliter l'acceptation par les peuples de l'application de ces règles : c'est la fétichisation de la dette, fardeau financier que nos générations légueraient à leurs enfants.
Dans ce travail de destruction, les règles européennes et le récit ne seraient rien sans les serviteurs qui les appliquent. Ils le font d'autant mieux qu'ils en sont eux-mêmes convaincus, comme le démontre la récente révision du pacte de stabilité et de croissance : alors que Bruno Le Maire se félicitait d'avoir arraché plus de flexibilité dans l'application des règles, il n'y aura dans les faits aucune évolution ; un temps évoquée, la sortie, du calcul des déficits publics, de certains investissements dans la transition écologique n'aura pas trouvé grâce aux yeux du Gouvernement.
Il faudra donc bel et bien trouver 95 milliards d'euros à l'horizon 2027 pour revenir sous la barre des 3 % de déficit public. Pour cette année 2024, 10 milliards d'euros de crédits ont d'ores et déjà été annulés, sur des politiques publiques centrales et ô combien importantes pour l'avenir : la rénovation thermique des logements – moins 1 milliard d'euros ; les infrastructures de transport – moins 340 millions ; le fonds Vert destiné aux investissements écologiques des collectivités territoriales – moins 500 millions ; l'éducation nationale – moins 700 millions sur les dépenses de personnel ; l'enseignement supérieur – moins 600 millions.
Laisser penser que ces annulations n'auront pas d'impact réel sur les politiques publiques est, bien sûr, un mensonge ; elles auront au contraire un impact bien palpable. Hier, monsieur le ministre, vous avez répondu ici même que ces annulations correspondaient à des sous-exécutions budgétaires. Si ces sous-exécutions budgétaires existent, elles sont avant tout le résultat d'un manque de volonté et de portage politiques dans ces domaines.
Pour 2025, l'austérité sera plus marquée encore et aboutira inéluctablement à des coups de rabot massifs. Il s'agit d'économiser 20 milliards d'euros supplémentaires, faute de vouloir aller chercher l'argent là où il est. Pensons aux 97 milliards d'euros de dividendes et de rachats d'actions décidés par les sociétés du CAC40, aux 230 milliards d'euros de patrimoine supplémentaire accumulés en un an par les quarante-deux milliardaires français et, pour ne citer que cet exemple, aux 36 millions d'euros de rémunération indécente versés à Carlos Tavares. Voilà qui pourrait donner des idées de recettes nouvelles et tout à fait justes ! Nous ferons évidemment des propositions en ce sens.
Mais non ! Vous refusez tout nouveau prélèvement, sous prétexte que notre pays présenterait les taux de prélèvements obligatoires et de dépenses publiques les plus importants de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Or ces taux élevés ne traduisent pas une quelconque inefficacité ou un gaspillage ; au contraire, ils traduisent un choix de société, celui de réponses collectives plutôt qu'individuelles, les premières se révélant d'ailleurs plus efficaces que les secondes.
Rappelons par exemple que la France consacre environ 12 % de son PIB à son système de santé, structuré autour de la sécurité sociale, tandis qu'aux États-Unis, ce sont 20 % du PIB qui partent dans des systèmes d'assurance individuelle privés, pour des résultats moins bons et marqués par de très fortes inégalités. Les dépenses publiques sont certes proportionnellement moindres que chez nous, mais les dépenses de santé sont bien plus élevées et bien moins efficaces. Qu'importent ces faits bien établis, l'objectif doit être de poursuivre la réduction de la place de l'État.
À trois reprises, monsieur le ministre, vous avez été interrogé sur la sous-indexation des pensions de retraite en 2025. Vous n'avez jamais répondu – ce sera peut-être encore le cas tout à l'heure –, preuve que le sujet est sur la table. Je retente néanmoins ma chance : entendez-vous, oui ou non, désindexer les pensions de retraite en 2025 pour faire des économies ?
En procédant à la sous-indexation des pensions, en augmentant l'âge de départ à la retraite et en accroissant la période de cotisation, vous participez à la destruction de notre système public de retraite, au profit d'assurances privées qui combleront bientôt le vide que la puissance publique aura laissé. C'est pourquoi le groupe Gauche démocrate et républicaine soutiendra, dans le cadre de sa niche parlementaire, une proposition de loi constitutionnelle visant à constitutionnaliser la sécurité sociale, afin de protéger celle-ci contre les assauts répétés des libéraux et des marchés.
Face aux politiques d'austérité qui affaiblissent l'État et les services publics, qui concourent à l'individualisme et à la concurrence de tous contre tous, vous trouverez toujours les députés de notre groupe sur votre route.