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Intervention de Pr Régis Aubry

Réunion du samedi 22 avril 2023 à 21h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'accompagnement des malades et de la fin de vie

Pr Régis Aubry, membre du Comité consultatif national d'éthique :

Les filières universitaires sont une nécessité parce qu'il existe des spécificités à enseigner la complexité, l'incertitude, qu'il est indispensable d'appréhender en interdisciplinarité. Cette formation réflexive est différente de la formation à l'action ou à la réaction. La formation médicale est très scientifique, mais il importe de revenir aux humanités médicales qui sont un peu oubliées ; apprendre à douter, à travailler avec autrui, à écouter, mais encore faut-il qu'écouter soit considéré comme un acte majeur et soit valorisé.

S'agissant de la recherche, il existe un besoin de quantification et de qualification des questions relatives à la fin de vie. L'absence de chiffres ou les extrapolations de chiffres génèrent des difficultés.

Il importe également de cerner le désir de mort, de définir la souffrance existentielle qu'éprouve une personne confrontée à la question du sens de la vie lorsque vivre consiste uniquement à souffrir.

Ces questions nécessitent la mise en œuvre de recherches peu valorisées, des recherches qualitatives et phénoménologiques qu'il faut appréhender. Nous constatons un véritable vide au niveau de la recherche autour de ces dimensions et, face au vide, il existe un besoin.

Il est essentiel d'universitariser et de nommer des paramédicaux. Leurs compétences sont nécessaires pour appréhender ces questions complexes. Nous avons certes besoin de médecins, mais également de psychologues qui portent leur regard sur un autre registre. Ces regards croisés sont fondamentaux.

Il est essentiel d'autoriser l'intervention d'un tiers, lorsque la personne n'est plus en capacité d'absorber ou de s'administrer elle-même un produit létal, au nom d'un principe éthique de justice. Cependant, une telle intervention doit rester rare et exceptionnelle parce que le tiers n'est pas neutre.

Entre 2008 et 2012, nous avons expérimenté plusieurs maisons de vie. Elles proposent un accompagnement à des personnes en fin de vie qui ne relèvent pas d'une médicalisation importante, mais qui vivent seules. Chaque année, des rapports inquiétants montrent l'augmentation des solitudes des personnes à mesure qu'elles sont confrontées à des situations de vulnérabilité. Finir son existence seul chez soi est inacceptable.

Par ailleurs, nous ne pouvons pas continuer à engendrer de longues situations de fin de vie qui reposent pour partie sur les aidants. Ces maisons proposent des lieux d'accueil des patients et des temps de répit pour leurs proches.

Deux des trois expérimentations ont échoué parce qu'elles ont fait l'objet d'un détournement de vocation, faute d'organisations de soins palliatifs dans un environnement géographique proche. L'expérimentation de Besançon avait bien fonctionné, mais faute de modèle financier, elle avait été éphémère. Néanmoins, il serait souhaitable de développer ces structures.

La question du moyen terme est complexe. Le court terme inscrit dans la loi de 2016 interrogeait déjà sur la nécessité de normer. Les sociétés savantes avaient abouti à identifier un terme de quelques heures à quelques jours.

Cependant, j'ai évoqué des situations qui concernent quelques semaines à quelques mois. J'ignore s'il est indispensable de normer des délais dans des situations aussi singulières qu'il importerait d'analyser individuellement et pour lesquelles il faudrait argumenter le recours éventuel à l'aide à mourir en fonction de l'évolution de la demande et de la situation, de la particularité de chaque personne. Chacun vit à sa façon les pertes qui s'accumulent. Certains éprouvent une forme de résilience, voire de transcendance, à vivre au travers des pertes. D'autres, par moment, vivent leur vie comme une aporie, une souffrance existentielle, une « non-existence ». Il s'avère donc impossible de définir une norme le temps, mais il est indispensable de procéder à une analyse très rigoureuse. Dès lors, la nécessité d'analyser la demande dans une approche interdisciplinaire est prégnante parce que les regards croisés sont indispensables pour fonder une décision.

Enfin, l'évaluation me semble essentielle pour mesurer l'application de la loi et identifier les difficultés qu'elle rencontre. Il importe de vérifier que l'impact effectif correspond à l'impact attendu. Le montage du dispositif d'évaluation nécessite un travail rigoureux. En outre, la mise en place d'une stratégie décennale d'accompagnement doit impérativement être complétée par des dispositifs d'évaluation afin d'adapter les offres aux évolutions et aux évaluations réalisées. L'enjeu de l'évaluation participe de la garantie que le droit peut atteindre l'objectif visé.

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