Nous avions déjà voté les dispositions que prévoit la proposition de loi dont nous entamons l'examen, en adoptant la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, dite loi justice, mais le Conseil constitutionnel, les considérant comme des cavaliers législatifs, les a malheureusement censurées.
Le Sénat les a reprises, en y apportant quelques modifications, mais, par respect pour le travail accompli à l'Assemblée en première lecture de la loi justice et pour sécuriser le dispositif, j'ai déposé la présente proposition de loi afin que nous nous prononcions en tant que première assemblée saisie.
Le dispositif protégeant la confidentialité des consultations rédigées par les juristes d'entreprises représente l'aboutissement de nombreux rapports et initiatives législatives, mais je n'en citerai que deux. Alors qu'il était député, Raphaël Gauvain a, en 2019, fait valoir dans un rapport que l'absence de confidentialité des avis rendus par les juristes d'entreprise accentuait la vulnérabilité des entreprises françaises, ainsi laissées à la merci de leurs concurrents et d'investigations de portée extraterritoriale conduites par des autorités étrangères, notamment américaines.
Il y va également de l'attractivité de la France dont la plupart des partenaires économiques se sont déjà dotés d'un dispositif garantissant la confidentialité de ces consultations. Le risque que les entreprises délocalisent leur direction juridique est ainsi réel et certains juristes anglo-saxons vont jusqu'à recommander d'éviter de porter des litiges devant des juridictions françaises, en raison de l'absence d'une protection équivalente à celle garantie par le legal privilege qu'ils connaissent.
Au rapport très éclairant de M. Gauvain s'ajoute celui rendu par le groupe de travail sur la justice économique et sociale, constitué dans le cadre des états généraux de la justice. Le groupe soulignait lui aussi les enjeux d'attractivité et pointait le risque que les juristes d'entreprises, par peur de l'auto-incrimination, ne donnent plus l'alerte au sein de leurs propres sociétés.
Alors qu'en matière de conformité, nous faisons peser des obligations toujours plus nombreuses sur les entreprises, il est paradoxal de ne pas leur donner les moyens de remédier à leurs faiblesses internes. Au cours des auditions puis lors de la discussion du texte en commission, j'ai entendu les inquiétudes exprimées par diverses parties, notamment les avocats et les autorités administratives indépendantes (AAI). Je tenterai donc de les lever.
En premier lieu, je tiens ici à réaffirmer ma conviction que cette proposition de loi n'est pas un cheval de Troie ou la première étape vers la création d'une nouvelle profession réglementée, celle de juriste d'entreprise. En effet, le parallèle établi avec le secret professionnel de l'avocat ne résiste pas à l'examen des conditions posées par l'article 1er de la proposition de loi, puisque la confidentialité n'est pas attachée à la personne, mais aux consultations rédigées par le juriste à l'attention de son employeur.
En deuxième lieu, cette proposition de loi n'est pas, comme je l'ai entendu, contraire au droit européen.