Je vous remercie de votre invitation. Notre mission d'assistance au Parlement est selon moi essentielle dans la mesure où elle nous met directement à contribution pour informer les parlementaires et les citoyens sur la conduite des affaires publiques.
Malgré le format un peu inhabituel de cette audition, je tiens à vous présenter différents travaux publiés aujourd'hui, qui ont tous en commun d'expliquer la situation de nos finances publiques et leurs perspectives. Cette année, la dégradation assez spectaculaire des finances publiques change la donne et confère un caractère d'alerte et d'urgence. Je rappelle que le déficit public est très élevé en 2023 : il est supérieur de 0,6 point de PIB à celui qui était initialement prévu dans la programmation. L'augmentation significative de l'endettement et la hausse spectaculaire du coût de la dette appellent une action déterminée.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, permettez-moi de remercier devant vous les artisans de ce très important travail : Carine Camby, présidente de la première chambre ; Lionel Vareille, rapporteur général du rapport sur le budget de l'État, sous la supervision d'Emmanuel Giannesini contre-rapporteur pour la certification des comptes ; Denis Soubeyran, rapporteur général, sous la supervision de Jean-Luc Fulachier, contre-rapporteur. Je ne peux citer l'ensemble des personnes qui ont contribué à ces rapports, mais je tiens à leur exprimer toute ma gratitude. Je remercie également Éric Dubois, rapporteur général du Haut Conseil des finances publiques, les membres du HCFP, ainsi que la petite équipe qui compose son secrétariat permanent, qui n'a pas ménagé ses efforts dans des conditions toujours plus difficiles. Nous sommes saisis toujours plus tard d'avis qui sont toujours plus complexes à réaliser.
Je souhaite débuter mon propos en ma qualité de Premier président de la Cour des comptes, par la présentation du rapport sur le budget de l'État en 2023. La loi organique relative aux lois de finances confie à la Cour le rôle essentiel d'examiner l'exécution budgétaire. Comme son titre l'indique, ce rapport analyse uniquement le budget de l'État, sans inclure les administrations publiques locales et les administrations de sécurité sociale, sinon dans de brefs chapitres, au titre des financements que l'État leur procure.
Dans notre rapport public annuel publié le mois dernier, nous avions relevé le risque relatif à l'exercice 2023. Pour ce qui concerne l'État, ce n'est plus un risque, mais désormais une certitude ; l'année 2023 est une année grise et peut-être même une année noire. Le déficit budgétaire de l'État en 2023 est le deuxième le plus dégradé jamais enregistré. Il atteint presque le niveau record de 2020, qui avait été frappé de plein fouet par la crise sanitaire. Le déficit atteint cette année 173 milliards d'euros, soit 21 milliards d'euros de plus qu'en 2022 et 9 milliards d'euros de plus qu'initialement prévu dans la loi de finances initiale (LFI) pour 2023. La comparaison avec l'année 2019 est peut-être encore plus frappante et parlante, puisque le déficit a quasiment doublé en quatre ans.
Si cette situation tient en premier lieu à une loi de finances initiale peu ambitieuse, elle est aggravée par des facteurs multiples. S'agissant des dépenses, le constat est clair et plutôt décevant. Nous n'avons pas profité du reflux des dépenses exceptionnelles de crise et de relance pour diminuer les dépenses de l'État et réduire le déficit. Après avoir augmenté de 110 milliards d'euros entre 2019 et 2022, les dépenses du budget général de l'État auraient dû logiquement diminuer. L'année 2023 a en effet été synonyme d'un reflux des dépenses exceptionnelles, avec une baisse de 28 milliards d'euros des dépenses liées à l'urgence sanitaire et à la relance. Mais cette baisse a été plus que compensée par la hausse des autres dépenses, dont le volume supplémentaire s'élève à 29,4 milliards d'euros.
Les dépenses totales de l'État ont ainsi atteint 454,6 milliards en 2023, soit 1,9 milliard d'euros de plus qu'en 2022. Toutes les composantes de la dépense de l'État ont progressé en 2023. Les mesures nouvelles décidées pour l'année 2023 atteignent près de 15 milliards d'euros, notamment pour prolonger les dispositifs de soutien face à la hausse des prix de l'énergie.
La croissance des dépenses de l'État est aussi due à la hausse continue des dépenses ordinaires. La Cour estime leur progression à 14,5 milliards d'euros en 2023, contre moins de 2 milliards d'euros en 2022. Cette progression est notamment due à la charge de la dette (3,2 milliards d'euros supplémentaires), à l'augmentation de la masse salariale (6 milliards d'euros) avec l'augmentation de la valeur du point d'indice en 2022 et en juillet 2023, et parallèlement, à l'augmentation significative des effectifs de l'État (8 991 ETP supplémentaires).
De surcroît, alors qu'ils ne dépassaient pas quelques milliards d'euros avant la crise sanitaire, les reports de crédits atteignent des niveaux inédits depuis quatre ans : 16 milliards d'euros de crédits de 2023 ont de nouveau été reportés sur 2024. La perpétuation de ces reports massifs altère la sincérité du niveau de solde voté par le Parlement. Surtout, cette pratique nuit à une maîtrise résolue des dépenses.
Ces augmentations et ces reports étaient en réalité tous prévus et tous autorisés par la loi de finances et la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027. Le constat est assez singulier à l'aube d'une trajectoire qui était déjà exigeante et qui était supposée ramener le déficit public sous le seuil des 3 %. C'est la raison pour laquelle j'évoquais initialement une LFI peu ambitieuse. Pour le dire simplement, la quasi-stabilité des dépenses de l'État entre 2022 et 2023, malgré le reflux très important des dispositifs de sortie de crise, retarde encore la maîtrise des dépenses. Après une année aussi décevante sur ce terrain-là, il est indispensable que les revues de dépenses lancées l'année dernière prennent toute leur ampleur et qu'elles donnent lieu à des économies pérennes et assez importantes.
De leur côté, les recettes de l'État baissent en 2023, après deux années très dynamiques. Cette mauvaise surprise ne fait qu'aggraver le déficit. En 2023, les recettes nettes du budget général ont diminué de 8,2 milliards d'euros par rapport à 2022 et elles se sont avérées inférieures de 7,4 milliards d'euros à la prévision de la LFI.
La diminution constatée par la Cour provient surtout de la baisse très marquée des recettes fiscales à hauteur de 7,4 milliards d'euros et de l'augmentation des prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales (1,3 milliard d'euros). Par ailleurs, la Cour analyse la baisse des recettes fiscales nettes en 2023 comme un signe de désarmement des recettes de l'État, qui réduit d'autant ses marges de manœuvre pour l'avenir. Cette diminution en valeur est en effet une véritable singularité, alors même que 2023 a été une année de croissance, même modeste. À cet égard, j'entends dire ici ou là qu'un retournement conjoncturel expliquerait cette dégradation. Cela n'est pas le cas, puisque la croissance a été de 0,9 %, en ligne avec la prévision de 1 %.
Quelle en est la cause ? Il s'agit en partie des transferts de TVA, dont l'État n'est plus qu'un attributaire minoritaire. En conséquence, les recettes de l'État sont plus volatiles et moins corrélées à la croissance économique. Plus généralement, le rendement de tous les grands impôts est en baisse. Par exemple, l'État perd 10,5 milliards d'euros de TVA supplémentaires dans le cadre de la compensation pour les collectivités de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).
Comment expliquer cette mauvaise surprise de 2023 sur les recettes fiscales de l'État ? Plusieurs événements postérieurs à la loi de finances de fin de gestion expliquent cet écart inhabituel de près de 8 milliards d'euros. Une partie d'entre eux relève d'évolutions qui étaient difficilement prévisibles, mais une autre partie aurait pu être anticipée au cours des débats parlementaires de novembre. En particulier, les revenus de la contribution sur la rente inframarginale de la production d'électricité étaient estimés à 12,3 milliards d'euros en LFI. Ce montant a été réduit à moins de 3 milliards d'euros en loi de finances de fin de gestion et il n'a finalement représenté que 0,6 milliard d'euros. Je suis, comme vous, attaché à ce que les raisons à l'origine d'un tel écart, extraordinairement rare en matière de prévisions fiscales, soient pleinement établies. L'administration l'explique par la baisse des prix de l'électricité durant l'année 2023, alors que cette imposition exceptionnelle a été estimée fin 2022 lorsque ces prix étaient au plus haut. Mais la baisse de l'inflation était tout de même anticipée. Des analyses complémentaires sont en cours pour apprécier si d'autres facteurs ont pu jouer.
Ces évolutions négatives sur les volets des recettes comme des dépenses ont contribué à accroître le besoin de financement et la dette de l'État, qui atteignent des niveaux plus que préoccupants. En comptabilité budgétaire, le besoin de financement de l'État atteint le niveau historique de 314,6 milliards d'euros, soit quasiment le montant des recettes fiscales de l'État. Ce besoin de financement est constitué par le déficit à financer, d'une part, et par le remboursement des emprunts arrivés à échéance, d'autre part. En d'autres termes, pour couvrir ses dépenses, l'État a emprunté quasiment autant, sous une forme ou une autre, qu'il a perçu en impôts.
Cette évolution montre bien les difficultés à sortir réellement du « quoi qu'il en coûte » et à reprendre le contrôle de nos finances publiques. Le corollaire de ce besoin de financement en hausse est bien entendu l'augmentation continue de l'encours de la dette, qui a augmenté de 6,5 % sur l'exercice 2023. En comptabilité budgétaire, la charge de la dette a aussi continué d'augmenter de manière soutenue après la brusque accélération de 2022. La charge de la dette s'est élevée à près de 54 milliards d'euros en 2023, contre 50,7 milliards d'euros en 2022.
Cette tendance est évidemment préoccupante, particulièrement dans un contexte où les taux d'intérêt ont augmenté et où les projections indiquent une progression continue de la dette. La loi de programmation des finances publiques prévoit en effet dans son scénario central d'évolution des taux une hausse de la charge en intérêts de 9,5 milliards d'euros en 2024 et de près de 36 milliards d'euros à l'horizon 2027.
À l'issue de cette année très difficile pour les finances publiques, j'aimerais partager avec vous un message d'alerte et de vigilance. L'absence de réformes et d'économies structurelles en 2023 pèsera fortement sur la trajectoire de retour du déficit à un niveau soutenable. Alors que se pose la question du financement des investissements nécessaires à la croissance et la transition écologique, la situation financière de l'État ne sera soutenable qu'au prix d'efforts considérables sur d'autres dépenses. Je le redis : ces efforts sont difficiles, mais ils sont encore possibles. Ils ne sont contradictoires ni avec une politique de croissance, ni avec le maintien du modèle social français, ni avec les exigences de la transition écologique, s'ils portent sur les dépenses peu efficaces, c'est-à-dire les dépenses de faible qualité.
Dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, la Cour a proposé un mode d'emploi pour passer au tamis la qualité des dépenses publiques, mais nous avons incontestablement perdu un an. Il faut aller plus loin, car le temps presse. La Cour a été saisie par le Premier ministre ce sens. Elle contribuera aux revues de dépenses, à sa place et dans son rôle. Nous proposerons des réformes et des économies inspirées par cette approche par la qualité.
J'en viens désormais brièvement à la présentation de l'acte de certification des comptes de l'État par la Cour. Cette certification consiste à donner une opinion sur la régularité, la sincérité et la fidélité des comptes. Cette mission est une prérogative de puissance publique, déterminante pour apprécier la situation financière réelle de l'État et de la sécurité sociale. Elle ne peut pas être prise à la légère. Les réserves formulées par la Cour devraient à mon sens faire l'objet de toute l'attention de l'administration, afin de les faire disparaître.
Encore une fois, la Cour, dans son rôle de commissaire aux comptes de l'État, exprime une opinion avec réserves sur les comptes pour 2023. Ces comptes présentent en effet sur certains points des anomalies significatives par rapport aux normes applicables, ou l'administration n'a pas été en mesure de justifier les chiffres de certains postes importants sans qu'une anomalie ne soit certaine.
Par rapport à 2022, deux réserves importantes ont été levées, et non des moindres, puisqu'il existait une incertitude sur le montant futur des charges de retraites des fonctionnaires et une autre sur le montant des dettes de trésorerie de l'État envers les correspondants du Trésor. En revanche, une nouvelle réserve apparaît : il s'agit de l'absence de mentions, parmi les engagements donnés par l'État, de la garantie du remboursement de l'emprunt émis par l'Union européenne (UE) pour financer le plan de relance européen. Cet engagement peut être évalué à 75 milliards d'euros.
Au total, si les comptes de l'État sont riches, utiles en information et représentent un grand progrès par rapport à la situation prévalant avant 2006, il reste encore un peu de chemin à parcourir avant qu'ils ne puissent être certifiés sans réserve. La situation financière de l'État, telle qu'elle ressort de ces comptes 2023 est accompagnée d'une note d'analyse de la Cour complétant utilement la vision du rapport sur l'exécution du budget de l'État.
Permettez-moi de conclure sur la certification en attirant votre attention sur un point technique, mais qui a toute son importance. Nous nous étonnons en effet que lorsque le Gouvernement communique sur les comptes de l'État, il ne mentionne pas systématiquement les réserves récurrentes de la Cour. Quelle entreprise pourrait, comme l'État, présenter des comptes présentant durablement des anomalies ou des réserves sans signaler cette situation aux utilisateurs de ces états financiers ?
Parallèlement à ces deux rapports, et conformément aux dispositions prévues par loi organique, le Haut Conseil des finances publiques a rendu aujourd'hui deux avis. Le premier concerne le projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2023 ; le second porte sur le programme de stabilité pour les années 2024-2027.
L'avis sur le projet de loi relatif aux résultats de la gestion concerne le solde structurel de l'ensemble des administrations publiques, c'est-à-dire non seulement l'État, mais aussi ses opérateurs : les administrations de sécurité sociale, les collectivités territoriales et leurs opérateurs. Cet avis doit juger si l'écart entre le solde structurel réalisé et celui de la loi de programmation des finances publiques est important.
Permettez-moi un petit rappel méthodologique : si le Haut Conseil venait ou était venu constater que cet écart est ou était important, cela déclencherait ou aurait déclenché automatiquement le mécanisme de correction prévu par le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'union économique et monétaire (TSCG). Le Gouvernement devrait ou aurait dû alors en tenir compte au plus tard dans le prochain projet loi de finances ou de loi de financement de la sécurité sociale de l'année et présenter des mesures de correction envisagées.
Or, comme vous le savez, les résultats présentés par l'Insee à la fin du mois de mars font état d'un déficit public plus élevé que celui prévu par la LPFP de 0,6 point de PIB. Le déficit s'est établi à 5,5 points de PIB, alors qu'il était prévu à 4,9 points de PIB dans la LPFP. Cet écart se traduit par un écart de 0,5 point sur le solde structurel, qui constitue justement le seuil du déclenchement du mécanisme de correction. En effet, la croissance était un peu moins forte que prévue, de 0,1 point. Une petite partie de l'écart est donc de nature conjoncturelle.
Pour juger si cet écart est important, le Haut Conseil doit tenir compte des circonstances exceptionnelles. Or, dans son avis rendu le 17 mars 2020, sur le premier projet loi de finances rectificative (PLFR) pour 2020, le HCFP avait constaté, à la demande du Gouvernement, que la crise sanitaire et ses répercussions économiques et financières constituaient indéniablement des faits inhabituels et indépendants de la volonté du Gouvernement, qui relevaient donc des circonstances exceptionnelles. Depuis, cette clause est restée en vigueur.
Le Haut Conseil constate dans son avis publié aujourd'hui que ces circonstances exceptionnelles ne sont plus réunies et qu'elles ne doivent pas être prises en compte dans l'examen du présent projet de loi. En effet, les conditions d'exercice de l'activité économique qui avaient fortement pâti en 2020 et 2021 de la crise sanitaire, puis de la crise énergétique en 2022, se sont depuis nettement améliorées. En 2023, l'activité a continué de croître et l'inflation a reflué. Le Haut Conseil a donc décidé de lever les circonstances exceptionnelles, mais il constate toutefois que l'écart de 0,5 point entre le solde structurel pour 2023 et celui prévu par la LPFP résulte pour partie d'un changement d'ordre méthodologique. Ce changement est lié au passage de l'ensemble des données de comptes nationaux de la base dite 2014 à la base dite 2020.
Corrigé du changement de base, l'écart observé entre le solde structurel réalisé et celui prévu par la LPFP est donc de 0,36 point du PIB. Il ne peut donc pas être considéré comme important au sens de l'article 62 de la loi organique. Dans ces conditions, le Haut Conseil a estimé qu'il n'y avait pas lieu de déclencher le mécanisme de correction au titre de l'année 2023.
Cependant, ce n'est pas parce que cet écart n'est pas important au sens de la loi organique qu'il n'est pas significatif. Conserver durablement un déficit élevé n'est pas sans conséquences, puisque cela ne permet pas de réduire notre ratio de dette publique, déjà parmi les plus élevés d'Europe. Je l'ai déjà dit souvent devant vous : notre désendettement est impératif pour retrouver des marges de manœuvre et permettre à la France de faire face à d'éventuels chocs économiques, sans compter les investissements nécessaires en faveur de la transition écologique et d'autres transitions. La trajectoire de finances publiques de la loi programmation, que le Haut Conseil avait jugée optimiste quand elle lui a été soumise pour avis, est d'ores et déjà remise en cause, seulement quatre mois après avoir été communiquée.
J'en viens à présent au deuxième avis du Haut Conseil sur le programme de stabilité pour les années 2024-2027. Comme les années précédentes, le Haut Conseil des finances publiques a été saisi d'un programme de stabilité (PSTAB) pour les années 2024-2027, qui sera vraisemblablement le dernier. En effet, la nouvelle réforme de la gouvernance économique européenne remplacera les programmes de stabilité par des programmes dits budgétaires et structurels de moyen terme, fixés pour au moins quatre ans et déterminant une trajectoire non plus de solde public, mais d'évolution de la dépense publique.
Ce projet est désormais presque à son terme. Il prévoit une saisine obligatoire des institutions budgétaires indépendantes sur les hypothèses macroéconomiques sous-jacentes, mais seulement huit ans après que les règles seront entrées en vigueur. Rien n'interdit toutefois d'introduire cette obligation de saisine dès la transposition des règles en droit français et, ainsi, de prévoir une saisine annuelle du HCFP sur le déroulement de ces programmes. Pour vous le dire franchement et assez nettement, il me semble vraiment nécessaire de le prévoir pour pouvoir continuer à éclairer au mieux le Parlement et les citoyens sur les perspectives d'une dépense publique par une analyse impartiale, objective et pluraliste. Il me paraîtrait paradoxal qu'une approche plus nationale de la situation budgétaire des pays membres de l'UE se traduise par un recul du rôle de leurs institutions budgétaires indépendantes.
À la suite de nombreuses alertes sur nos finances publiques depuis le début de l'année 2024, et dans un contexte dégradé, le Gouvernement s'est doté d'une nouvelle trajectoire, profondément modifiée, qui était nécessaire. Notre avis sur le programme de stabilité s'articule autour de deux grands messages.
D'abord, les hypothèses présentées par le Gouvernement sont trop optimistes, comme nous en avions déjà fait part lors de notre avis l'an passé. Il est utile pour cela de revenir un instant sur la LPFP promulguée en fin d'année dernière. Lorsqu'il avait rendu son avis sur le projet de LPFP, le HCFP avait estimé que le scénario de croissance du Gouvernement était optimiste. Il avait relevé que la trajectoire de finances publiques était peu ambitieuse au regard des objectifs européens de la France, alors même qu'elle supposait déjà la réalisation d'importantes économies structurelles, qui restaient à préciser.
De fait, le Gouvernement prend acte, dès ce programme de stabilité, que la trajectoire de la LPFP promulguée il y a moins de quatre mois a été construite sous des hypothèses trop optimistes et qu'elle doit être profondément modifiée. Le Gouvernement a ainsi corrigé à la baisse de 0,8 point sa trajectoire de croissance sur la période 2023-2025 dans le programme de stabilité. Il a eu raison d'agir de la sorte : la croissance était de 0,9 % en 2023, contre une prévision de 1 % en loi de programmation, et l'économie française a été quasiment à l'arrêt au second semestre 2023.
Le Gouvernement a ainsi révisé à 1 % sa prévision de croissance pour 2024, soit 0,4 point de moins que la prévision précédente. Notons toutefois que cette prévision reste encore supérieure au consensus des économistes ou, par exemple, à la prévision de croissance pour la France présentée hier par le Fonds monétaire international (FMI), qui n'est pas d'ordinaire une institution pessimiste.
Le scénario macroéconomique à l'horizon 2027 reste toutefois encore optimiste. Il suppose un fort rebond du commerce mondial, qui n'est pas acquis dans un contexte d'obstacles croissants aux échanges internationaux, et une forte baisse du taux d'épargne des ménages qui, si elle n'est pas impossible, est assez peu probable au regard du passé.
L'évaluation du PIB potentiel associé n'a été réalisée qu'à la marge et reste donc avantageuse. Celle-ci suppose d'abord des gains de productivité sensiblement plus élevés que les tendances observées avant la pandémie de Covid 19, et a fortiori celles observées depuis. Elle suppose également une augmentation de l'emploi total, liée notamment aux réformes des retraites et de l'assurance chômage, qui nous paraît un peu surestimée. Le HCFP considère que l'estimation par le Gouvernement de l'écart de production actuel est optimiste puisqu'il estime qu'il est de -1,1 point en 2023. Cet écart n'est pas, à notre sens, en ligne avec les tensions persistantes sur les recrutements.
Malgré un scénario de croissance qui reste favorable, il en résulte que l'écart de production – la part conjoncturelle du PIB – reste négatif jusqu'en 2027. Cela conforte le diagnostic du Haut Conseil que la trajectoire du PIB potentiel retenue dans la prévision du Gouvernement est surévaluée et pourrait donc être prochainement révisée à la baisse. Cela aurait pour conséquence d'accroître la part du déficit considérée comme structurelle, et donc en particulier l'effort nécessaire pour ramener le solde public en dessous de 3 points de PIB.
La trajectoire de finances publiques a dû aussi être révisée de manière substantielle. Elle est nettement plus dégradée que dans la LPFP. Pour 2023, le résultat sur la dette publique, soit 110,6 points de PIB, est plus élevé de 0,9 point de PIB que celui qui est prévu dans la LPFP. En 2024, le déficit public est prévu en hausse de 0,7 point par rapport à la LPFP, pour atteindre 5,1 points de PIB, malgré les nouvelles mesures d'économies prises en compte dans la prévision. Le ratio de dette atteindrait donc 112,3 points de PIB en 2024, soit une augmentation de 2,6 points par rapport à la LPFP. En particulier, la prévision de prélèvements obligatoires que le Haut Conseil avait déjà jugée optimiste dans son avis sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2024 – et avant même les mauvaises surprises enregistrées en fin d'année 2023 – a dû être révisée à la baisse de plus de 25 milliards d'euros en 2024. La cible de déficit public pour 2027 a été relevée à 2,9 points au lieu de 2,7 points, même si le Gouvernement maintient l'objectif d'un retour sous 3 points de PIB à cet horizon. Cette trajectoire de déficit conduit à une augmentation du ratio de dette au PIB, qui atteindrait 112 points de PIB en 2027, soit 4 points de plus que ce qui avait été prévu dans la LPFP. Alors que les autres pays les plus endettés de la zone euro réduisent leur ratio de dette, la France risque ainsi de figurer durablement parmi les trois pays les plus endettés de la zone, avec la Grèce et l'Italie, lesquels semblent effectuer plus d'efforts de leur côté.
J'en viens enfin au dernier point, qui me paraît peut-être le plus important de nos échanges de ce matin. Bien qu'il ait été révisé par rapport à une loi de programmation trop optimiste, le scénario du programme de stabilité manque à nos yeux de crédibilité et de cohérence. La nouvelle trajectoire des finances publiques présentée dans ce programme de stabilité est nettement plus dégradée que dans la LPFP. Dès 2023, notre point de départ s'éloigne fortement de ce qui était inscrit dans cette loi. Le déficit public a atteint 5,5 points de PIB en 2023 et, en 2024 il est prévu en hausse de 0,7 point de PIB par rapport à la LPFP, où il était envisagé à 4,4 points de PIB.
Compte tenu de la dégradation des prévisions de finances publiques en 2023 et 2024, la trajectoire présentée par le Gouvernement est beaucoup plus exigeante que celle de la LPFP, sur laquelle nous nous interrogions déjà. Je souhaite que ce point soit clair : nous partons d'une situation encore plus dégradée, mais le Gouvernement prévoit toujours l'objectif d'un retour sous 3 points de PIB en 2027. La pente était déjà escarpée, elle est désormais beaucoup plus raide, presque abrupte. Par ailleurs, le maintien d'un objectif de déficit public en dessous de 3 points de PIB en 2027 suppose un ajustement structurel primaire – c'est-à-dire hors charges d'intérêt – massif entre 2023 et2027, de 3,2 points de PIB sur quatre ans. Cet effort inédit s'appuierait, d'après les documents qui nous ont été fournis, quasi exclusivement sur un effort d'économies en dépenses.
Le Haut Conseil considère que cette prévision manque de crédibilité. Alors qu'un tel effort en dépenses n'a jamais été réalisé par le passé, sa documentation reste encore lacunaire et sa réalisation suppose la mise en place d'une gouvernance rigoureuse qui associe l'ensemble des acteurs concernés – État, collectivités locales, sécurité sociale – qui ne semble pas réunie aujourd'hui. Le Gouvernement indique qu'il s'appuiera sur les revues de dépenses engagées. Au vu des économies dégagées par les revues effectuées jusqu'à présent, cela suppose une accélération puissante. Nous la souhaitons, mais elle reste à démontrer.
Le Haut Conseil considère aussi que cette prévision manque de cohérence. En effet, la mise en œuvre de l'ajustement structurel prévu ne manquerait pas de peser à court terme sur l'activité économique. Je rappelle que pour 2025 le chiffre inscrit dans le programme de stabilité s'établit à 27 milliards d'euros. Les prévisions de croissance du Gouvernement, élevées d'ici 2027, ne pourraient donc être atteintes que sous des hypothèses très favorables et, en réalité très peu probables. Un scénario cohérent supposerait de changer, soit la prévision macroéconomique, soit celle des finances publiques.
Une prévision macroéconomique inchangée aboutirait ainsi à un effort de réduction des déficits qui serait probablement nettement plus faible. À l'inverse, le maintien de la cible de déficit supposerait de retenir des prévisions de croissance nettement plus faibles et des efforts en dépenses encore plus importants que ceux envisagés par la trajectoire du PSTAB, qui sont déjà pourtant inédits. Si nous souhaitons rétablir des finances publiques saines, il faut tenir un discours de vérité et établir des choix. Nous ne pouvons pas annoncer un tel ajustement structurel sans que celui-ci ne repose sur des hypothèses robustes.
Pour conclure, laissez-moi préciser que le Haut Conseil considère toujours que la réduction du déficit public et du ratio de dette est indispensable. Certes, cette réduction sera encore plus difficile que ce que nous pouvions penser il y a quelques mois. Nous avons beaucoup trop tardé à maîtriser nos dépenses, mais la réduction des déficits publics n'en est pas moins nécessaire. Elle doit s'appuyer sur une stratégie articulée et crédible de réduction du poids de la dépense publique dans le PIB et un réexamen à la baisse des diminutions de prélèvements obligatoires. La définition de cette stratégie est désormais à nos yeux urgente ; nous ne pouvons plus tarder à agir.
Au delà du respect des engagements européens, la capacité de la France à conserver la maîtrise et le contrôle des finances publiques se joue dans les prochaines années et, en réalité, dans les tout prochains mois. La priorité consistera, à nos yeux, à concilier ajustement budgétaire et amélioration du potentiel de croissance. Ce défi est considérable, j'en suis pleinement conscient, mais il est incontournable.
Nous avons trop tardé à nous attaquer à la réduction des déficits et de notre dette, comme à la maîtrise de notre dépense publique. L'effort à produire est important, mais nous ne pouvons pas nous dérober. Nous risquons tôt ou tard de payer le prix fort d'un état aussi dégradé de nos finances publiques. Afin qu'elle réussisse, cette démarche doit être menée avec courage, volonté et intelligence.