Intervention de Catherine Jaouen

Réunion du mercredi 10 avril 2024 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCatherine Jaouen :

L'article unique de cette proposition de loi vise à instituer un régime de confidentialité des consultations rédigées par les juristes d'entreprise, sous réserve de la réunion de quatre conditions. Les effets attachés à la confidentialité sont l'insaisissabilité, la non-communicabilité et l'inopposabilité de cette consultation dans le cadre de procédures ou de litiges en matière civile, commerciale ou administrative, à l'exclusion des procédures ou des litiges en matière pénale et fiscale. Une procédure de contestation de la confidentialité de certains documents liés à un litige civil ou commercial ou à une opération de visite dans le cadre d'une procédure administrative est prévue. Enfin, un délit sanctionne l'apposition frauduleuse de la mention « confidentiel » sur un document exclu du régime de la confidentialité.

D'après l'exposé des motifs, qui ne contient aucune donnée chiffrée, ce dispositif permettrait de lutter contre la délocalisation de la direction juridique des grandes entreprises vers des pays étrangers où les juristes d'entreprise détiennent un legal privilege – l'usage de cet anglicisme étant d'ailleurs révélateur de l'influence du droit anglo-saxon, pourtant inapplicable en France.

Le texte ne vise qu'à libéraliser l'économie, au détriment de la sécurité des citoyens et des entreprises, et tente d'affaiblir les professions réglementées. Il est accueilli favorablement par les représentants des juristes d'entreprise et par le barreau de Paris, mais les autres barreaux français, représentés par la Conférence des bâtonniers ainsi que le Conseil national des barreaux, dénoncent la création d'une nouvelle profession réglementée qui ne dit pas son nom et l'affaiblissement du secret professionnel de l'avocat. L'Autorité de la concurrence, l'Autorité des marchés financiers (AMF) et l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ainsi que la Cour des comptes ont également émis un avis défavorable, estimant que leurs pouvoirs de contrôle et d'enquête seraient amoindris. C'est une véritable levée de boucliers.

Le statut du salarié juriste d'entreprise ne relève pas d'une profession réglementée dont l'accès est conditionné à un examen et dont l'exercice est soumis à une obligation déontologique contrôlée. Il se caractérise tout au contraire par un rapport de subordination vis-à-vis de l'employeur exclusif d'une véritable indépendance. Le périmètre de cette confidentialité reste opaque et les procédures de levée de cette dernière sont vecteurs d'incertitude juridique pouvant nuire aux intérêts des petites et moyennes entreprises et, surtout, entraver l'application du régime de droit commun de la preuve garant d'un équilibre dans le procès.

Ce texte porte une véritable atteinte à la profession des avocats. Il est le premier pas vers la création d'un corps professionnel protégé au sein des entreprises qui ne profitera en réalité qu'aux plus grandes d'entre elles, qui sont les seules à avoir les moyens de se doter de services juridiques étoffés pour répondre aux obligations réglementaires renforcées s'imposant à elles du fait de leur taille. Il ne sera en revanche d'aucun avantage pour les petites et moyennes entreprises ni pour les particuliers.

En définitive, ce texte tend à métamorphoser fondamentalement les professions françaises du droit au préjudice des avocats pour servir une économie ultralibérale qui n'enrichit que quelques-uns sans nullement profiter aux Français dans leur ensemble. Nous voterons donc contre.

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