Le sujet est vraiment très grave et il va au-delà de l'agriculture. Je vais tenter de vous donner notre version des faits et des agissements.
Nous connaissons la Russie depuis qu'elle est redevenue la Russie. Du temps de l'Union soviétique, la Russie était importatrice nette de blé en provenance principalement des États-Unis et d'Europe, notamment de la France. Les grands silos portuaires de la façade atlantique et de la Manche poussaient le blé dans les bateaux qui partaient en Union soviétique. Au milieu des années 1990 et au début des années 2000, la Russie représentait un potentiel agricole important par la taille des surfaces, par la qualité des terres, le fameux tchernoziom, en Ukraine et un peu en Roumanie. Grâce à des investissements colossaux – occidentaux, il ne faut pas craindre de le rappeler –, sur les semences, le matériel, etc., les Russes se sont constitués en businessmen. Ils ont monté des compagnies d'exportation, notamment grâce à des investissements sur les ports du sud de la Russie. Dès lors, la Russie est devenue un grand pays agricole et plutôt exportateur. La population étant faible, il n'existe pas beaucoup de transformation agroalimentaire et la Russie a rapidement misé sur l'export, tout comme l'Ukraine d'ailleurs, les deux pays étant complètement similaires.
Puis la guerre en Ukraine a été déclenchée et les dirigeants russes ont bien compris que c'était une arme absolue. Le potentiel russe était tellement important que la Russie a décidé de vendre des céréales, ou d'en donner à certains pays, notamment d'Afrique, des pays où la France était extrêmement présente. La Russie pratique depuis plusieurs mois un dumping extrêmement féroce en dégradant les prix de marché de 15 à 20 % pour une tonne. Il n'existe aucun salut à attendre des normes et des règles, voire des décisions européennes ou françaises dans le cadre réglementaire.
Le sujet est donc très grave pour la France pour plusieurs raisons. D'abord, nous avions des habitudes de co-développement et des relations commerciales fortes avec certains pays, notamment historiquement avec le Maghreb, à savoir le Maroc, l'Algérie et la Tunisie. L'Algérie nous sort de son marché, arguant de motifs de gradient qualitatif mais surtout pour des raisons de prix et de choix politiques. Malheureusement, une grande partie des pays de l'Afrique de l'Ouest a choisi la carte russe parce que la Russie a fait des dons importants de blé.
Permettez-moi de vous raconter une petite anecdote très révélatrice. La guerre a débuté au mois de février 2022. Au mois de mai ou juin, j'ai porté auprès du ministre de l'agriculture et du Président de la République la possibilité que l'Union européenne pourrait avoir à acheter des céréales directement en Ukraine afin de payer les agriculteurs ukrainiens, de leur fournir du cash et d'utiliser ces céréales pour faire des dons alimentaires en Afrique, comme beaucoup de pays l'ont fait durant des décennies. Malheureusement, cette idée portée par la France et dont chacun mesurait l'intérêt stratégique n'a pas été retenue. Deux ans plus tard, la Russie s'est engouffrée dans cette politique de bas prix et de dons de céréales et elle a déstabilisé le marché. Cela impacte énormément le revenu agricole français et européen et donne une très belle image de marque – nous l'observons – de la Russie dans certains pays d'Afrique. Ce constat est désastreux pour l'économie agroalimentaire qui suit et pour l'économie d'une manière générale. Force est de constater que la France est victime d'une agression non seulement sur le marché des céréales, mais également dans les relations bienveillantes qu'elle avait nouées avec certains pays d'Afrique.
Ce sujet est sensible pour les agriculteurs céréaliers. Quand l'alimentation n'est pas suffisante dans ces pays victimes de surpopulation, ils cherchent ailleurs leur bonheur. C'est la vie et c'est normal.