Intervention de Grégoire Lemarchand

Réunion du jeudi 28 mars 2024 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Grégoire Lemarchand, rédacteur en chef Investigation numérique au sein de l'Agence France-Presse (AFP) :

Je vais vous présenter plus en détail le travail de l'AFP en matière de lutte contre la désinformation.

La lutte contre la désinformation est au cœur de l'activité de l'AFP. C'est une priorité éditoriale évidente eu égard au chaos informationnel que l'on constate en France et, plus généralement, dans le monde. Elle fait partie intégrante de notre mission d'intérêt général inscrite dans la loi.

L'AFP repose sur un réseau de près de 150 journalistes spécialisés dans l'investigation numérique et la lutte contre les infox, répartis dans plus de trente bureaux. Nous travaillons en vingt-six langues et tout ce que nous produisons est accessible à tous les citoyens sans abonnement.

Ce réseau profite de surcroît de l'expertise de l'ensemble de la rédaction de l'AFP, composée de 1 700 journalistes représentant plus de 200 nationalités et répartis dans 150 pays. En retour, ce réseau de journalistes spécialisés renforce notre rédaction. C'est d'autant plus indispensable qu'il n'y a plus désormais un seul événement majeur qui ne soit tordu, lessivé, essoré par une désinformation qui tire habilement profit de l'extraordinaire puissance du numérique et des réseaux sociaux. Le récent effondrement du pont à Baltimore aux États-Unis est un exemple parfait.

Notre réseau démystifie autant que possible les manipulations et les falsifications tout autour du monde et œuvre à ce qui demeure notre mission première à l'AFP : rapporter les faits et rien que les faits.

Nous varions nos formats et ciblons des publics divers pour toucher une audience aussi large que possible. Cela se traduit par des fact-checks méthodiques et transparents quant à leurs sources, des vidéos de décryptage et de sensibilisation où nous essayons de toucher les plus jeunes publics, des enquêtes numériques en source ouverte, des formations en ligne, mais aussi des collaborations avec d'autres médias spécialisés et des institutions comme le Clémi.

Il faut noter que le développement de notre réseau a été permis par certaines des plateformes et des réseaux sociaux les plus populaires. Je parle de Meta, de Google ou de TikTok, qui font appel à notre expertise pour les aider à lutter contre la désinformation.

Nous avons avec ces plateformes des contrats qui nous permettent de financer notre activité et d'agir directement là où les informations sont le plus virales. Ces contrats respectent notre indépendance et nos choix éditoriaux.

Tout porte à croire que notre investissement contre les infox sera encore plus essentiel dans les prochaines années. L'incroyable accélération des technologies numériques offre de nouvelles armes à tous ceux qui ont intérêt à attiser la polarisation et leurs peurs, à remettre en cause les politiques de santé publique ou de changement climatique, à saper la légitimité des institutions publiques, à nier le résultat d'élections démocratiques ou à s'en prendre à certaines communautés ou minorités.

Pendant longtemps nous avons considéré que la mission première de l'AFP était de rapporter des faits avérés, jamais des rumeurs. À partir de 2016-2017, l'évocation au plus haut niveau de « faits alternatifs » a achevé de nous convaincre de nous lancer dans la bataille. Nous avons vu depuis à quel point la désinformation pollue, pourrit et brise le désir de faire société.

Lutter contre les infox est un combat très inégal. Désinformer prend quelques secondes, ne coûte presque rien et peut avoir un effet maximum. Répondre avec des faits, de la nuance et du contexte prend nettement plus de temps. La désinformation est généralement peu sophistiquée. C'est un bruit de fond permanent qui sape peu à peu les fondements de notre société démocratique.

Nos équipes sont donc mobilisées de manière durable et nous croyons fermement à notre mission malgré le cyber harcèlement qui vise de plus nos journalistes. Les conséquences peuvent en effet être violentes quand les menteurs et les manipulateurs sont démasqués. La source de motivation de ceux qui s'adonnent à la désinformation est souvent l'argent que celle-ci peut rapporter. Malgré tout cela, nos journalistes font face.

Vérifier et remettre en contexte est l'essence même du journalisme. Il est donc essentiel pour nous de respecter des standards éditoriaux irréprochables et une vraie politique de transparence et d'éthique dans notre production d'informations.

J'insiste néanmoins sur un point. Si la vérification et la démystification sont indispensables, elles ne sont pas suffisantes. Elles sont une riposte face à la désinformation, mais ce n'est certainement pas la seule.

Les fact-checkers de l'AFP n'ont nullement la prétention d'être en mesure de régler le problème, pas plus qu'ils ne sont des gardiens de la vérité ou des censeurs au service des puissants, comme nous le reprochent souvent nos plus ardents critiques. Nous tentons humblement de remettre des faits là où les manipulations et les biais obscurcissent la perception de la réalité.

L'essentiel de notre travail n'est pas d'arbitrer ce qui est vrai ou ce qui est faux, mais de donner des clés de compréhension aux citoyens pour sortir d'une vision binaire et mieux appréhender le monde éminemment complexe dans lequel nous vivons.

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