Intervention de Nathalie Sonnac

Réunion du jeudi 28 mars 2024 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Nathalie Sonnac, présidente du conseil d'orientation et de perfectionnement (COP) du Centre pour l'éducation aux médias et à l'information (Clémi) :

Présidente du COP du Clémi, je suis également professeure en sciences de l'information et de la communication à l'Institut français de presse et spécialisée dans le monde de l'économie des médias. Je rappellerai quelques éléments de contexte général avant d'aborder les thèmes que vous avez évoqués.

Depuis vingt ans, les plateformes et les médias sociaux ont envahi l'espace informationnel. Or ‒ et c'est un point essentiel ‒ on constate que la concurrence est totalement asymétrique entre les réseaux sociaux et les médias traditionnels en matière de régulation.

Nous observons également une perte de repères informationnels, notamment de la part des plus jeunes qui accèdent majoritairement à l'information via ces plateformes et ces réseaux sociaux.

Nous remarquons par ailleurs un nouveau rapport à l'information, qui n'a jamais été aussi dense ; dans le même temps, tous les points de vue se valent et sont en concurrence sans aucune hiérarchie.

Le dernier constat porte sur le modèle économique des médias. Celui-ci vacille en raison d'une perte massive d'audience et d'une chute des recettes publicitaires. Ainsi, la presse écrite a perdu 70 % de ses revenus publicitaires en l'espace de quinze ans.

Les acteurs traditionnels sont supplantés par des plateformes dont le modèle économique vise à capter l'attention par le biais de n'importe quel contenu, pourvu qu'il provoque un clash, alimente la polarisation des opinions, voire suscite de la haine. Toutes nos consommations en ligne, nos usages, nos pratiques, laissent des milliers de traces. Elles permettent à ces plateformes de dégager des superprofits et rendent notre travail très complexe.

Il faut quand même rappeler que les médias tels que nous les connaissons jouent un rôle indispensable. Ce sont des vecteurs de démocratie parce que ce sont des médiateurs, des intermédiaires, des filtres. Ils sont également tiers de confiance et producteurs d'une information de qualité, fiable, vérifiée et sourcée.

Ces médias sont essentiels à notre démocratie parce qu'ils participent à la fabrique de l'opinion, voire du jugement et de la citoyenneté. Or ils sont peu à peu remplacés par des médias sociaux qui possèdent les mêmes caractéristiques ‒ eux aussi produisent, diffusent et distribuent l'information ‒ mais sans en assumer aucune des responsabilités. Ce sont les algorithmes et les intelligences artificielles qui alimentent leurs modèles depuis vingt ans, qui contrôlent et organisent l'accès à l'information et laissent circuler massivement de la désinformation, des fausses informations, de la manipulation d'informations. Ce sont eux les véritables maux de notre démocratie.

Dans un contexte de déconsolidation qui se traduit par de l'infobésité, de la fatigue informationnelle ‒ particulièrement forte chez les plus jeunes générations ‒, de la défiance à l'égard des journalistes et des institutions, l'IA générative occupe une place grandissante dans les salles de rédaction et, bientôt, dans les salles de classe, sans aucun balisage d'usage.

Face à ces bouleversements, un renforcement de la régulation paraît nécessaire. Cependant, la loi seule ne réussira pas à endiguer ces flux de propagation de fausses informations et de théories du complot. Un large consensus se dégage pour souligner l'importance d'une éducation aux médias et à l'information (EMI) dès le plus jeune âge et tout au long de la vie pour former des citoyens libres et éclairés dans un univers qui se transforme totalement.

Depuis quarante-et-un ans, le Clémi a démontré sa capacité à promouvoir cette éducation aux médias et à l'information à l'école pour former les enseignants, et à élargir son audience auprès des familles. Le Clémi connaît une expansion soutenue, grâce notamment à une collaboration avec des associations ou le ministère du travail, de la santé et des solidarités.

Le Clémi doit aussi répondre à de nouveaux besoins, tels que la fourniture de ressources directement exploitables en classe par les enseignants. Il faut également parvenir à entraîner les familles. Il nous faut disposer de nouvelles modalités d'action, qui existent mais qu'il faut considérablement renforcer.

Des enseignants, des professeurs documentalistes et des élèves formulent de nouvelles demandes ; ils souhaitent notamment apprendre à s'informer grâce aux réseaux sociaux ‒c'est essentiel.

En raison de l'impact des algorithmes ou des bulles informationnelles, il faut apprendre à s'informer en ligne, à développer les usages pédagogiques qui peuvent être élaborés à partir des réseaux sociaux, à décrypter les phénomènes de désinformation, ou encore à intégrer l'IA générative comme nouvelle source dans les pratiques informationnelles des élèves comme dans les pratiques professionnelles des journalistes.

J'ajouterai que si les jeunes sont plus perméables aux fausses informations comparativement à leurs aînés, ces derniers propagent plus facilement des fake news en ligne. Les nouvelles générations ont clairement un rapport différent à l'information mais il ne faut pas se concentrer uniquement sur les plus jeunes. Il faut agir maintenant et considérer toutes les générations. C'est pourquoi la création d'une éducation aux médias et à l'information qui favoriserait une collaboration intergénérationnelle nous semble véritablement importante.

Pour conclure, je rappellerai que le Clémi est une instance collégiale, composée de trois collèges différents avec des représentants des pouvoirs publics, des professionnels de l'information et du système éducatif. Tous ces acteurs qui viennent d'univers différents participent à cette volonté de changement et d'adaptation et, avec toutes les équipes, nous avons rédigé une nouvelle feuille de route sur la période 2024-2030, avec cinq axes indépendants mais complémentaires.

La volonté de renforcer les partenariats du Clémi constitue le premier axe. Nous devons entraîner de façon systématique les acteurs des plateformes numériques et ceux des réseaux sociaux.

Le deuxième axe vise à renforcer les actions de formation du Clémi. Si 30 000 professeurs sont formés chaque année, cela reste insuffisant face à l'urgence à laquelle nous faisons face.

Les trois autres axes sont le renforcement des missions du Clémi dans le champ de la parentalité numérique, la poursuite de l'effort d'ouverture du Clémi en direction de l'enseignement supérieur, et le renforcement avec la coopération européenne et internationale de l'EMI.

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