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Intervention de Jean-Noël Barrot

Réunion du mercredi 3 avril 2024 à 16h30
Commission des affaires européennes

Jean-Noël Barrot, ministre délégué :

Je vous remercie pour toutes vos questions.

Monsieur le président, le rapport annuel sur l'élargissement sera présenté la semaine prochaine. Nous lui accorderons toute l'importance qu'il mérite.

Madame Klinkert, le soutien de l'Union européenne aux pays candidats, dans un processus qui peut être très long et décourageant, prend deux formes, aussi importantes l'une que l'autre. La première est celle du soutien en expertise. Le secrétaire général des affaires européennes (SGAE) s'est rendu, il y a quelques mois, en Moldavie pour épauler les autorités locales dans leur effort de réforme. Des représentants du gouvernement et de l'administration moldaves viendront, à leur tour, à Paris et reverront le SGAE.

Le deuxième soutien est financier. L'Union s'est accordée sur un plan d'investissement et de croissance de 6 milliards d'euros, dont 2 milliards d'argent frais et 4 milliards d'emprunt à destination des pays candidats des Balkans occidentaux. Ce plan est en cours de finalisation. Un trilogue aura lieu demain pour en définir les contours. Sur le chemin vers l'adhésion, certains pays s'intègrent déjà à des dispositifs européens – je pense notamment à l'itinérance téléphonique, le roaming, dont les Balkans bénéficient.

Monsieur François, nous considérons qu'il y va de l'intérêt de la France et de l'Europe de réussir cette intégration des Balkans occidentaux, parce que nous préférons exporter dans cette enclave européenne notre modèle de stabilité politique, de liberté et de démocratie, plutôt que d'importer, du fait de notre voisinage, l'instabilité qui surviendrait inévitablement sous l'influence qu'y exerceraient de grandes régions beaucoup moins démocratiques, comme la Chine ou la Russie. Si nous faisons patienter trop longuement – plusieurs décennies – ces pays, nous prenons le risque que, s'appuyant sur la fatigue qui pourrait saisir leurs dirigeants et leurs populations, des partis politiques instrumentalisés par de grandes puissances étrangères viennent souffler sur les braises d'une forme de nationalisme qui ne serait, en réalité, qu'un nationalisme sous influence.

Néanmoins, le principe d'adhésion doit continuer de se fonder sur les mérites propres : chaque étape doit être dûment franchie. On ne peut pas accepter de faire entrer dans l'Union européenne des nations qui n'ont pas, comme nous, fait de l'État de droit leur colonne vertébrale.

Sur l'agriculture et le principe de réciprocité, il reste indéniablement du chemin à faire. Mais il faut se rappeler qu'il y a sept ans le principe même de la réciprocité dans les accords commerciaux était tabou. Il a été abordé par le Président de la République dans son discours de la Sorbonne, où l'on voit apparaître l'idée du procureur commercial européen, ainsi que celle des clauses miroirs. Les choses ont avancé sous la législature qui vient de s'achever. Nous sommes en train de faire obstacle à l'adoption par l'Union européenne de l'accord avec le Mercosur, parce que nous considérons que les conditions de réciprocité et de soutenabilité ne sont pas remplies.

Nous essayons également de rallier, ce qui n'est pas facile, les États membres à une nouvelle conception des accords commerciaux autour de trois critères : la soutenabilité – le respect des accords de Paris –, la réciprocité – les normes environnementales et sanitaires que nous imposons à nos agriculteurs et à nos industriels s'imposent aussi à ceux qui veulent commercer avec nous –, et l'intérêt géostratégique – on ne commerce pas pour commercer mais on commerce avec des régions avec lesquelles on pense avoir un intérêt stratégique. C'est ce qui motive, par exemple, le soutien d'un accord, qui fait certes un peu polémique, avec la Nouvelle-Zélande ou avec le Chili.

C'est vraiment la France qui défend cette idée. L'Europe, pendant longtemps, par temps de paix, s'est contentée de vivre du commerce et a profité d'être un continent de commerçants, beaucoup plus ouvert que les autres régions. Dans le monde actuel, nous ne pouvons plus être naïfs et nous devons évoluer. Le blocage de l'accord avec le Mercosur ne tient qu'à un fil, celui par lequel le Président a lié les mains de la Commission européenne, si vous me permettez cette image. Sans ce fil, l'accord aurait été adopté. Ce n'est pas que nos idées ne soient pas séduisantes, mais, pour certains pays européens, le Mercosur est un débouché vital de leur production industrielle. Nous essayons d'instaurer une nouvelle conception géostratégique du libre-échange et de nos accords commerciaux, quand d'autres pays, qui vivent des temps difficiles sur le plan industriel, voient dans certains accords leur survie. Nous menons un travail de conviction.

Madame Obono, nous ne pouvons pas accepter l'emploi du terme « génocide » dans cette situation. La question de la suspension de l'accord avec Israël a été abordée dans le cadre du Conseil des affaires étrangères. Sans attendre la fin de cette discussion, nous avons pris des sanctions, au niveau français et au niveau européen. Les sanctions que la France a prises à l'égard des colons extrémistes et violents consistent en une restriction d'accès au territoire français. Les six personnes visées par cette interdiction sont, par répercussion, interdites d'accès à l'intégralité de l'espace Schengen.

Quant aux sanctions en cours de finalisation au niveau européen – un accord politique devrait être trouvé dans les prochains jours –, elles frapperont les personnes concernées, en gelant leurs avoirs. Cela constitue une première vague de sanctions. Nous verrons ensuite ce qu'il adviendra de l'accord de coopération.

Monsieur Dumont, s'agissant de la Bosnie, je reprends volontiers à mon compte les remarques de Frédéric Petit : les étapes qu'il convient de franchir s'assimilent quasiment à une réforme constitutionnelle. À terme, nous examinerons la compatibilité des accords de Dayton avec l'adhésion pleine et entière.

Si la France a pris un certain retard dans les Balkans occidentaux, le discours de Bratislava a impulsé un changement majeur, en nous conduisant à rouvrir les relations avec ces pays – on se souvient de la visite du Président de la République en Albanie. Par ailleurs, la diplomatie française s'y déploie non seulement dans le cadre du processus d'adhésion mais aussi, plus généralement, pour établir et renforcer nos relations bilatérales. Même si je n'ai pas encore beaucoup d'expérience dans mes fonctions, je dois dire que le Président de la République est très attentif, à titre personnel, à l'évolution de la situation dans chacun de ces pays.

Il y a bien un débat sur la majorité qualifiée, parce que nous sommes en fin de législature. Deux documents sont en cours de discussion : l'agenda stratégique, qui sera adopté par le Conseil européen du mois de juin, pour en fixer les priorités, et la feuille de route des réformes de l'Union européenne, issue du sommet de Grenade, dans laquelle chaque pays met ce qu'il souhaite. Nous y mettons, pour notre part : la réforme des politiques, pour que l'Europe soit prête à affronter les grands défis à venir et à accueillir les nouveaux pays ; les moyens budgétaires pour répondre à ces objectifs politiques ; les évolutions de gouvernance éventuelles, car nous nous sommes aperçus, dans cette législature où nous avons connu la Covid et la guerre d'agression russe en Ukraine, que l'on pouvait faire bien des choses à traiter constant.

Sur ces questions de gouvernance, il est donc trop tôt pour se prononcer. Nous avons néanmoins les idées assez claires sur certains points. Pour la France, le processus d'adhésion doit rester du ressort de l'unanimité. Une proposition actuellement débattue consisterait à faire passer l'une des étapes du processus d'adhésion à la majorité qualifiée, ce que nous ne soutenons pas à ce stade pour diverses raisons.

Madame Morel, concernant le processus de paix à Gaza, des efforts sont menés au niveau européen, ainsi qu'au niveau bilatéral. Stéphane Séjourné y consacre une partie de son temps et était notamment en déplacement dans la région voilà quelques semaines. Il a d'ailleurs joué un rôle important dans l'adoption de la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies appelant à un cessez-le-feu.

Concernant la manière de coopérer avec les autres États membres – question qui rejoint aussi celle de Mme Gérard –, je voudrais commencer par saluer les annonces récentes du ministre des armées en Allemagne, pays avec lequel nous avons deux projets phares : l'avion de combat et le char du futur. Les annonces, qui vont se concrétiser par une signature ces prochains jours, témoignent de l'avancée de ces deux projets industriels majeurs. C'est vraiment la France qui a imposé l'idée de faire respecter la notion de préférence européenne dans les dispositifs de financement européens. Nous avons en Europe – on oublie souvent, par exemple, que la Belgique est le premier producteur au monde de munitions de petit calibre –, une expertise qui doit nous permettre d'aspirer à une autonomie stratégique en matière de défense.

Ce qui est très prometteur, dans le programme présenté par la Commission européenne, c'est qu'il reprend certaines de nos idées : la montée en puissance, la plus grande élasticité de notre base industrielle et technologique de défense, afin d'être capables de monter ou de baisser en charge rapidement, et l'interopérabilité des équipements. Avant même d'aborder des questions de commandement ou d'harmonisation des lignes de commandement en Europe, une première étape est indispensable : avoir des équipements qui fonctionnent entre eux. Il y a actuellement dix-sept types d'hélicoptères dans les armées européennes, parce que l'on a pris l'habitude d'acheter sur l'étagère des équipements et des armements, à droite et à gauche, sans même qu'ils puissent fonctionner ensemble.

Monsieur Pont, s'agissant de la pêche, le Président de la République a rencontré Ursula von der Leyen, le 22 mars, en marge du Conseil, pour lui demander que la Commission européenne autorise, après six ans d'attente, le financement par l'État du renouvellement de segments très vétustes de flottes de pêche dans les outre-mer, qui posaient des problèmes de sécurité et de concurrence inéquitable avec les pêcheurs du voisinage. Pour la Guyane, les Antilles et l'océan Indien, c'est une nouvelle qui était très attendue. Cela a été obtenu de haute lutte.

Les décisions prises par le Royaume-Uni, avec lequel nous entretenons une entente cordiale, de fermer les aires marines protégées la semaine dernière, officiellement pour des motifs, tout à fait légitimes, de préservation de la biodiversité et de la ressource halieutique, ont, quand on y regarde de plus près, carte à l'appui – comme nous l'avons fait à propos de Boulogne, premier port de pêche français –, un caractère très probablement discriminatoire, ce qui n'est pas acceptable. On sait bien que le Royaume-Uni se prépare à un épisode un peu douloureux en 2026, avec la renégociation de l'accord de commerce et de coopération. Ce que j'ai dit avec vous, Monsieur Pont, aux pêcheurs, c'est que nous allions, de notre côté, du vôtre et du leur, nous coaliser avec les États membres qui subissent les conséquences de ces fermetures arbitraires, de manière à peser sur la décision de la Commission d'activer les clauses de rétorsion prévues à l'accord de commerce et de coopération, qui peuvent aller jusqu'à l'application de tarifs douaniers sur les importations britanniques.

Madame Chikirou, il va de soi que le renforcement des liens de coopération entre l'Union européenne et l'Égypte est souhaitable, notamment parce que l'on ne peut pas régler les questions migratoires sans échanger avec les pays de départ. La contrepartie, si l'on peut dire, du pacte sur la migration et l'asile, notamment du point de vue des pays de première entrée que sont l'Italie, l'Espagne ou la Grèce, ce sont bien évidemment les accords de coopération avec les pays de départ, afin que leur développement économique limite la nécessité pour certains de leurs ressortissants de chercher l'asile en Europe, mais aussi pour les accompagner dans l'établissement des systèmes d'information nécessaires à la maîtrise de l'état civil, qui est parfois insuffisante et ne leur permet pas de disposer d'une politique migratoire propre. Ces accords sont indispensables. Un bémol : ils sont négociés avec la Commission européenne. J'ai eu l'occasion de lui dire que les États membres souhaitaient que des comptes leur soient rendus sur les négociations relatives à ces accords de coopération et sur leurs effets.

L'Égypte est un partenaire fiable et central en Méditerranée. Les droits de l'homme sont régulièrement évoqués par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, donc par la France, avec les autorités égyptiennes. C'est le cas aussi de l'Union européenne. Les Égyptiens le savent bien.

Madame Le Grip, la question du financement n'est pas facile, mais les Européens vont être obligés de se la poser. Il faut financer la transition verte, l'autonomie stratégique en matière de défense, ainsi que d'autres domaines, qui avaient été identifiés lors du sommet de Versailles, pendant la présidence française de l'Union européenne, où des dépendances critiques s'étaient accumulées et pourraient continuer de le faire. L'élargissement sera sans doute coûteux. Il n'en reste pas moins que tout le monde veut investir pour la transition verte, que de plus en plus d'États membres veulent investir pour l'autonomie stratégique et qu'une immense majorité convient qu'il faut se préparer à l'élargissement. Mais tout cela coûte de l'argent et les contraintes budgétaires s'appliquent partout, y compris en Allemagne, après le frein constitutionnel imposé par la Cour de Karlsruhe.

Il y a l'argent public. C'est vrai que l'on a fait franchir à l'Europe un pas considérable, avec l'emprunt commun, en juillet 2020. Rappelons qu'il a permis à la France de payer 40 des 100 milliards de France relance. Rappelons aussi, puisqu'une communication a été faite par le ministre de l'économie et des finances tout à l'heure en Conseil des ministres, que nous sommes le pays d'Europe qui a le plus tiré sur ces crédits, ce qui est plutôt une bonne chose, puisqu'il nous est déjà arrivé d'être moins diligents pour nous saisir des fonds européens.

Toutefois, l'histoire de cet emprunt commun n'est pas terminée et ne le sera que lorsque nous aurons trouvé des ressources propres. En effet, lorsque les parlements ont été invités – si l'on peut dire – à voter cet emprunt commun ou ce plan national de relance et de résilience (PNRR), il était prévu qu'à partir de 2028 ou de 2029, des ressources propres commencent à le rembourser. Si nous parlons d'un nouvel emprunt commun, il faudra inévitablement nous mettre autour de la table pour discuter de ce qu'elles peuvent être.

Voilà pour l'argent public. Peut-être existe-t-il d'autres pistes de financement que l'emprunt commun – et nous nous employons d'ailleurs à contribuer au travail que la Commission européenne a engagé en ce sens en vue du Conseil européen du mois de juin.

Il y a aussi l'argent privé. Nous sentons bien que les chefs d'État et de gouvernement européens sont de plus en plus déterminés à sortir de l'ornière le projet d'union du financement ou d'union de l'épargne, que nous appelons depuis une dizaine d'années « union des marchés de capitaux ». Cela supposera d'accepter une supervision européenne et un accroissement de la titrisation, c'est-à-dire de la possibilité dont disposent les banques de se défaire d'une partie de leur portefeuille de prêts pour élargir leur capacité d'investissement. Ce mécanisme fonctionne aux États-Unis, même s'il a complètement dysfonctionné au moment de la crise des subprimes. Depuis lors, en effet, des garanties ont été instaurées pour accompagner cette titrisation, à laquelle nous devons réfléchir.

La réunion de l'Eurogroupe qui suivait le Conseil européen a évoqué l'harmonisation du droit des faillites. De fait, les différences significatives en la matière entre pays européens rendent la tâche difficile pour les créanciers, qui préfèrent se spécialiser à l'échelle d'un seul pays. Se pose ensuite la question des produits d'épargne communs.

Je suis assez optimiste et je pense que nous avancerons, car nous n'avons, en fait, guère le choix si nous voulons atteindre les objectifs politiques que je viens d'évoquer.

Monsieur Petit, il existe, au niveau communautaire, un club des amis des Balkans occidentaux, qui réunit les pays les plus engagés en faveur de l'adhésion la plus rapide possible de ces États. Il s'agit de pays voisins ou qui, comme la Hongrie ou l'Autriche, ont avec ces États des Balkans occidentaux une histoire très ancienne et s'impliquent particulièrement pour les épauler. Cela ne signifie pas pour autant que la France ne fait rien car, depuis le discours de Bratislava, la diplomatie française et les plus hautes autorités de l'État ont véritablement engagé un nouvel investissement au profit de cette région.

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