« Un réalisateur, puis un autre firent de moi leur objet. Ils se disputaient l'enfant Judith. Et tout autour de nous, dans ce monde d'érudits, de savants et de génies, le silence. La permissivité de la société. La sacralisation de ces auteurs faite par les journalistes de cinéma. Par les acteurs et actrices adultes [...] Comment, dans ce contexte-là, imaginer que les bouches des petites filles, des jeunes femmes, des jeunes hommes abusés puissent bouger pour exprimer autre chose que : "Pas de problème. Oui, j'ai compris. Je me tais." » Ces mots, ce sont ceux que Judith Godrèche a employés lors de son audition par la délégation aux droits des femmes et la délégation aux droits des enfants. Elle était venue nous dire qu'elle comptait sur nous. Des millions de femmes et d'enfants le font, comme elle, pour garantir leur protection à l'école, au sport, lorsqu'ils passent des castings ou vont sur les plateaux télé, les tournages de cinéma, de publicité et de mode, partout où ils ne se sentent pas en sécurité, parce qu'une personne a décidé, souvent en vertu d'une autorité, d'un ascendant pris sur l'autre, d'abuser d'eux.
Si nous sommes aujourd'hui réunis pour examiner l'opportunité de créer une commission d'enquête sur la situation dans les industries du cinéma, du spectacle vivant et de la mode, nous le devons à Judith Godrèche, à son témoignage, à ses prises de parole nombreuses, puissantes, déchirantes. Elle est pourtant loin d'être la seule à parler : des actrices révélant publiquement leurs agressions, nous en avons malheureusement entendu, des acteurs aussi, et tant d'autres personnes. Les témoignages ne s'arrêtent pas : ce n'est pas seulement pour le passé qu'une commission d'enquête est nécessaire, mais pour toutes celles et tous ceux qui sont en danger aujourd'hui ou qui pourraient l'être demain.
Je veux redire ce que notre groupe a déjà déclaré au sujet des violences sexuelles dans le sport, au moment de la clôture de la commission d'enquête consacrée à cette question : il serait faux de penser que l'omerta qui régnait n'était due qu'au fait que les victimes ne parlaient pas ; c'est aussi, et surtout, parce qu'elles n'étaient pas entendues. Nous sommes dans la même situation et notre première responsabilité est donc d'entendre les victimes, de mettre fin à la culture du secret, du tabou, de la culpabilité inversée. C'est un préalable, mais il ne pourra lui-même qu'accompagner la fin de la culture de l'impunité. Seulement 40 % des victimes vont jusqu'à un procès et à la condamnation de leurs agresseurs.
Nous devons protéger les mineurs, particulièrement lorsqu'ils se trouvent dans une situation de vulnérabilité, de forte proximité. La plupart du temps, celui qui abuse n'est pas un inconnu pour l'enfant, c'est une personne de la famille ou bien un entraîneur, un professeur, un réalisateur, un directeur de casting. C'est une personne de confiance ou qui incarne une forme d'autorité, une personne à qui il est impossible de dire non, une personne que l'on ne dénonce pas, par peur, en raison d'une emprise, par déni. Ce qui est alors subi, en tant qu'enfant, on le garde pour sa vie entière – c'est une destruction d'une part de soi.
Cette commission d'enquête, nous la devons à Judith Godrèche et plus largement à toutes ces vies volées, à ces enfances perdues. Notre groupe soutiendra, évidemment, la proposition de résolution, que j'ai d'ailleurs cosignée. Nous n'avions qu'une interrogation, celle de savoir si nous ne devrions pas étendre la commission d'enquête aux adultes, compte tenu de tous les témoignages qui émanent des industries du cinéma, du spectacle et de la mode, mais nous constatons que des amendements ont été déposés en ce sens – nous les soutiendrons.