Je salue la proposition de créer une commission d'enquête sur la situation des mineurs dans les industries du cinéma, du spectacle vivant et de la mode. J'ai signé sans hésitation ce texte qui fait écho à celui que j'ai moi-même déposé après l'audition de Judith Godrèche. Qu'il s'agisse des travaux de la Ciivise, du juge Durand, des associations féministes ou des sociologues, tout nous montre que les violences sur les mineurs et les femmes sont universellement répandues. Contrairement à ce que certains voudraient faire croire ici, elles n'épargnent aucun milieu ni aucune sphère de la société. Celle-ci reste largement muette et complice, car façonnée par des schémas de domination patriarcaux.
Je crois que ce n'est pas un hasard si la première grande vague de libération de la parole des victimes, le mouvement MeToo, a émergé à la suite de l'affaire dite Weinstein, du nom d'un producteur mis en cause par plusieurs dizaines de femmes et condamné pour viols et agressions sexuelles après des années de silence d'un entourage professionnel qui savait et se taisait. Ce n'est pas un hasard si nous assistons depuis, en France, à une multiplication de témoignages d'actrices, d'Adèle Haenel à Judith Godrèche en passant par Emmanuelle Debever, Charlotte Arnould, Anna Mouglalis ou, tout récemment, Marie Gillain, des témoignages qui tentent désespérément de briser le silence de la profession, le silence entourant le cri d'Adèle Haenel qui se lève et se casse des César, le silence dénoncé par Judith Godrèche, s'exclamant, toujours aux César « Je parle, je parle, mais je ne vous entends pas ». Ce n'est pas un hasard si cette vague s'accompagne d'autres déferlantes culturelles – MeTooThéâtre, MusicToo et désormais MeTooStandUp.
Le monde du cinéma et du spectacle vivant, si souvent décrit comme une grande famille, fonctionne comme un miroir grossissant des violences qui traversent la société et la famille, non pas parce que ce monde serait une zone de subversion par rapport à des normes communément respectées, comme le pensent certains, mais au contraire parce qu'il est, malheureusement, un lieu de concentration, de reproduction et de légitimation des dominations de genre, économiques et symboliques, un monde encore très largement habité et dominé par les hommes et façonné par un regard masculin fantasmant et sexualisant femmes et enfants et qui va parfois jusqu'à glorifier leur agression, un monde très peu régulé, où le code du travail n'est pas toujours respecté et où la précarité règne chez les jeunes comédiennes, mais aussi chez les techniciennes, costumières, maquilleuses, qui sont légion parmi les 6 000 témoignages reçus par Judith Godrèche, un monde propice à l'emprise sur les corps et les esprits, où les rapports de pouvoir ne se résument pas à la hiérarchie professionnelle mais prennent une dimension symbolique très forte, liée à la notoriété, à l'aura artistique, et où les relations de pouvoir, d'autorité et d'emprise sont, évidemment, accrues lorsqu'il s'agit de personnes mineures, exploitées sans le moindre contrôle ni accompagnement. Il s'agit, enfin, d'un tout petit monde où chacun se connaît, se parle, se protège, un monde d'omerta où il coûte encore très cher de dénoncer des violences et où à l'inverse en être publiquement accusé n'empêche pas d'être glorifié, que l'on s'appelle Polanski, Depardieu, Rebotini, Lomepal, Tavernier ou Lioret.
Cette commission d'enquête est nécessaire non seulement pour interroger la situation juridique des mineurs mais aussi, plus largement, pour mettre au jour les mécanismes de prédation et pointer toute la chaîne de responsabilité dans la perpétuation des violences et la silenciation des victimes. Afin de renforcer le texte, j'ai proposé au nom de mon groupe plusieurs amendements qui visent à élargir l'enquête à toutes les violences sexistes et sexuelles, qu'elles soient commises sur des mineurs ou des majeurs, et à ne pas focaliser les investigations sur les seules industries culturelles mais à intégrer aussi les institutions publiques, structures du spectacle vivant, lieux de formation et organismes de régulation, comme le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC). Enfin, un autre amendement met l'accent sur les phénomènes d'omerta qui organisent, autour de ces violences, des silences destructeurs. Judith Godrèche nous l'a dit, entre ces murs : « Ces souffrances, beaucoup les regardent de loin, les bras croisés, comme d'éternels témoins muets, spectateurs paralysés qui font semblant de ne pas savoir. » Ne soyons pas des spectateurs qui restent les bras croisés. Nous avons le devoir, comme législateurs, de faire en sorte que les victimes soient écoutées et crues, qu'elles n'aient pas à se lever et à se casser du monde des arts. Nous avons le devoir d'examiner tout ce qui peut être mis en œuvre pour assurer la protection des femmes et des enfants, pour ne plus permettre que l'art serve de couverture à des agresseurs et pour que la culture s'émancipe de la culture du viol et renoue avec sa force émancipatrice.