Sécuriser et réguler l'espace numérique, c'était une belle ambition. À l'issue de la commission mixte paritaire, c'est surtout une occasion manquée, et même gâchée.
Nous partageons l'idée selon laquelle ce qui est illégal dans l'espace physique doit l'être aussi dans l'espace numérique et celle que réguler est nécessaire. L'essor fulgurant des plateformes, quand leur capital boursier cumulé concentre des valeurs supérieures au budget de la plupart des États du monde, nous préoccupe. Parce que nous partageons ces deux grands principes, nous avions travaillé à la recherche d'un équilibre et le groupe Socialistes avait voté pour le texte à l'issue de la première lecture. Et voilà que la CMP réduit à néant cet équilibre, dégrade les avancées obtenues et accouche d'un résultat décevant, pour ne pas dire préoccupant.
Le texte aurait pu être une simple adaptation au règlement européen. Cela aurait évité qu'on y introduise des mesures contestables qui écartent toute hypothèse de consensus.
Nous croyons pourtant qu'une régulation équilibrée est possible, sans porter atteinte au potentiel compétitif de nos start-up. Elle est surtout nécessaire, dès lors que nous savons que la « main invisible du marché » est une fable. Les géants du numérique n'ont aucun intérêt à s'autoréguler.
Le dispositif régulant l'accès des mineurs à la pornographie se limite à la France et aux acteurs extra-européens : autant dire que ce n'est pas un trou dans la raquette, mais une raquette sans cordage ! Les plateformes pornographiques peuvent sabrer le champagne devant notre impuissance. Nous avions l'occasion d'armer notre arsenal législatif et pénal à l'encontre des éditeurs qui refusent de se soumettre à la loi française ; nous y renonçons. On se contentera d'un message d'avertissement pour signifier que le viol et l'inceste sont interdits dans la vraie vie et punissables pénalement…
S'agissant du contrôle de l'âge par les plateformes pornographiques, imaginons un instant un restaurateur qui refuserait d'appliquer les normes d'hygiène sous prétexte de complexité, et qui exigerait que l'État prenne à son compte les aménagements ! C'est l'excuse invoquée par ces plateformes. Quand les restaurateurs sont défaillants, ils sont sanctionnés, mais quand c'est l'industrie pornographique, on laisse filer. Je crains que l'Arcom, dont les moyens sont insuffisants, ne se retrouve bien seule dans la mission qui lui est assignée.
La vérité est que les Jonum sont un marché, certes ludique, mais un marché de cryptovaleurs. Si nous avons réussi à en interdire l'accès aux mineurs et à permettre à l'ANJ d'exercer sa capacité de contrôle, nous avons bien compris que le Gouvernement ne souhaitait pas s'attaquer aux gigantesques intérêts économiques du français Sorare, leader du secteur. Avec l'article 15, sous couvert d'une expérimentation de trois ans, on ferme les yeux sur les addictions, le blanchiment d'argent et même le financement du terrorisme,…