Nous appelons la représentation nationale à s'emparer de sa souveraineté. Ce vote n'est pas ordinaire, il n'est pas partisan. Si ce projet de loi doit être rejeté, ce n'est pas parce qu'il est présenté par ce gouvernement mais parce qu'il est dangereux. Sa portée dépasse de loin les circonstances actuelles. Elle engage la sûreté nucléaire de la France, c'est-à-dire la prévention et la gestion d'un risque majeur. Si un accident se produisait, il aurait selon son degré de gravité des conséquences sur la vie et la santé humaines et sur l'environnement pendant plusieurs générations. Chacune et chacun de nous a donc une responsabilité personnelle éminente.
La sûreté nucléaire repose d'abord sur le facteur humain, et l'ensemble des femmes et des hommes qui assurent la sûreté nucléaire à l'IRSN, à l'ASN et au CEA sont vent debout contre ce projet. La perturbation majeure qu'entraînerait cette réforme pour les ressources humaines de la sûreté nucléaire est à elle seule un argument suffisant pour rejeter le texte. C'est la chronique d'un chaos annoncé. Adopter le projet de loi revient à se tirer une balle dans le pied, mais aussi dans les jambes, dans les bras et dans le cerveau.
Les risques sont nombreux, à commencer par le risque de départs et de perte de compétences rares. Faut-il rappeler que, dans les domaines de l'expertise scientifique et technique de pointe, de la recherche et de l'ingénierie de sûreté nucléaire, le fameux principe selon lequel personne n'est irremplaçable ne s'applique pas ? Il faut ajouter à cela les risques sociaux, les risques psychosociaux et le risque que le système de sûreté nucléaire perde de son efficacité lorsque les personnels seront absorbés par des questions de statut, de service, d'organisation interne et par de nombreux problèmes matériels.
Ces risques sont notoires et vous nous demandez de voter pour, en connaissance de cause. Le tout, sur fond d'impréparation confondante, de données manquantes et, bien sûr, de coupes budgétaires à venir – car vous nous faites craindre le pire lorsque vous affirmez qu'il n'est pas possible d'augmenter les moyens de l'ASN sans prendre ceux de l'IRSN.
Si le facteur humain est ignoré en dépit de toute rationalité, c'est parce que l'objectif réel du projet de loi consiste à en finir avec la séparation stricte entre l'expertise et la décision de sûreté nucléaire. Vous espérez ainsi en finir avec la transparence, considérée comme gênante et enquiquinante. Les raisons inavouables de cette fusion figurent d'ailleurs dans un rapport classé secret-défense.