Intervention de Didier Lemaire

Réunion du mercredi 3 avril 2024 à 12h00
Mission d'information de la conférence des présidents sur les capacités d'anticipation et d'adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Lemaire, rapporteur :

Notre modèle de protection et de sécurité civiles est le fruit d'une longue histoire, marquée par une structuration progressive, l'adaptation régulière de ses missions et la pluralité des acteurs qui y contribuent au quotidien. Ce modèle, malgré sa robustesse et son efficacité reconnues, malgré sa plasticité et sa capacité à résister aux crises, fait face à des défis importants appelés à s'accentuer encore demain, notamment sous l'effet du changement climatique ou du vieillissement de la population. Ces défis exposent certaines de ses fragilités, dont la pression croissante qui s'exerce sur les personnels – en premier lieu les sapeurs-pompiers professionnels et volontaires –, mais aussi le besoin d'une meilleure intégration des acteurs locaux et du monde associatif – notamment de tous les bénévoles.

C'est ce constat qui avait conduit le groupe Horizons et apparentés à demander, le 20 juin 2023, la création de cette mission d'information.

Depuis notre première réunion, le 12 juillet dernier, nous nous sommes efforcés d'entendre l'ensemble des points de vue et d'écouter toutes celles et ceux qui, de près comme de plus loin, participent à notre modèle de sécurité civile.

Entre le 7 septembre 2023, moment de notre première audition, et le 29 février dernier, date de notre dernier échange, nous avons reçu 140 personnes – professionnels, volontaires, bénévoles, élus, chercheurs et fonctionnaires. Nous en avons également rencontré beaucoup au cours des cinq déplacements de la mission.

Je remercie vivement l'ensemble des personnes que nous avons entendues, ici ou sur le terrain, pour leur temps, leur expertise et la qualité du dialogue noué avec chacune d'entre elles. Je salue l'engagement de toutes les femmes et les hommes qui font vivre notre modèle de sécurité civile et dont, chaque jour, le travail, le dévouement et le sens du service public évitent de nouveaux drames humains. Ils méritent tout notre soutien. Dégager des pistes pour leur faciliter la tâche et mieux reconnaître leur contribution essentielle au vivre-ensemble et à la cohésion nationale est aussi une façon de leur rendre hommage.

Le rapport dont je vous demanderai de bien vouloir autoriser la publication comprend soixante-deux recommandations. Ce nombre, qui peut sembler élevé, est à la hauteur du défi que représente l'évaluation d'une politique publique à la fois stratégique et complexe.

Un souci de pédagogie vis-à-vis de nos lecteurs m'a d'abord conduit à présenter et à analyser le rôle de l'ensemble des acteurs de la sécurité civile, qui forment ce qui a été appelé, lors de plusieurs auditions, une « constellation » – terme qui me semble bien choisi, tant ils sont nombreux et différents, tout en étant complémentaires.

Une fois dressé cet inventaire, quatre principales leçons se dégagent.

En premier lieu, le modèle français de sécurité civile repose sur une organisation déconcentrée : l'État en est certes le garant, et il exerce à cette fin un rôle important de coordination et de pilotage, mais de nombreux acteurs locaux œuvrent également au quotidien pour couvrir un périmètre particulièrement large de missions de prévention, de gestion des crises et de réparation une fois les crises passées. Le début du rapport comprend plusieurs recommandations pour simplifier l'obtention par les associations de sécurité civile de leur agrément, ainsi que pour favoriser la création et le renforcement des réserves communales de sécurité civile. Il s'agit d'accentuer les synergies entre les acteurs pour faire bien fonctionner tous les rouages de notre sécurité civile.

En second lieu, si cette constellation est une richesse, elle nécessite aussi des efforts renforcés de concertation et de coordination afin de garantir la cohérence d'ensemble des actions menées.

À cet égard, le rapport reprend notamment deux préconisations de M. Hubert Falco : d'une part, l'expérimentation de la mise en place d'une direction départementale de la sécurité civile ; d'autre part, l'organisation annuelle d'une conférence animée par le directeur du service départemental d'incendie et de secours (SDIS), sous l'autorité du préfet et avec l'ensemble des acteurs de la sécurité civile. Le rapport préconise également d'envisager la création d'une entité interministérielle dédiée, placée auprès du Premier ministre, pour aborder de manière coordonnée l'ensemble des questions intéressant la sécurité civile, qui relèvent actuellement de ministères distincts – intérieur, mais aussi écologie, santé ou éducation nationale –, et de renforcer les effectifs des préfectures, en particulier au sein des services interministériels de défense et de protection civile (SIDPC).

Troisième constat : le contexte d'intervention des personnels de la sécurité civile a évolué et ces interventions se sont multipliées, parfois sans lien évident avec les missions premières. Les sapeurs-pompiers font face à des défis sans précédent, en premier lieu la difficulté liée aux trop nombreuses carences ambulancières. Afin de favoriser le dialogue avec le monde médical, la mission préconise en particulier une adaptation de la gouvernance des établissements de santé.

En outre, sapeurs-pompiers professionnels et volontaires interviennent dans un contexte sécuritaire parfois dégradé, où ils peuvent eux-mêmes devenir des cibles. Le rapport recommande la plus grande vigilance vis-à-vis de ce problème, qui risque de nuire aux efforts de recrutement et de fidélisation qui sont nécessaires pour affronter les crises.

Notre quatrième constat concerne le cadre juridique. Il est le fruit d'une sédimentation de nombreuses lois, décrets et arrêtés qui a conduit à additionner des normes pouvant parfois se contredire, ce qui nous paraît problématique si nous voulons rester efficaces. Cela devrait nous amener à chercher la simplification et la clarification des textes applicables, afin de remédier aux difficultés rencontrées par les acteurs locaux pour s'approprier ce cadre normatif.

La deuxième partie du rapport aborde plus en détail le continuum de missions dévolues à la sécurité civile. Celui-ci va de la prévention sous toutes ses formes – développement d'une culture de la résilience, prévention des risques, anticipation – à l'après-crise – qui inclut les Retex (retours d'expérience), la reconstruction, le soutien aux victimes, l'indemnisation par les compagnies d'assurance – en passant par la gestion de crise elle-même.

J'ai tenu à travailler plus particulièrement sur la culture du risque, que nous devrions peut-être prendre l'habitude d'appeler « culture de la résilience », c'est-à-dire l'amélioration de la connaissance par tous, y compris les plus jeunes, des risques mais aussi des bons gestes et réflexes à adopter. Malgré les efforts des ministères, notamment la création en 2022 de la « Journée nationale de la résilience », nous peinons à développer une véritable culture partagée qui permette à l'ensemble des citoyens d'être vraiment acteurs de leur sécurité et de celle de leurs proches. Sur ce sujet qui m'est particulièrement cher, comme à notre présidente, je formule plusieurs propositions. Si les campagnes d'information sont essentielles, nous avons besoin de davantage d'exercices, d'entraînements et de mises en pratique.

Concernant la prévention des risques, il me semble essentiel d'améliorer le taux de couverture des communes exposées par des plans de prévention des risques naturels. Il nous paraît indispensable que les services préfectoraux fournissent un appui technique renforcé aux maires dont les communes sont concernées mais ne disposent pas encore d'un plan, et de mettre en place un suivi régulier de la progression de ce taux – pour lequel il pourrait être utile de fixer chaque année des objectifs indicatifs, afin de donner des repères dans chaque département et de poursuivre la mobilisation dans la durée.

S'agissant de la gestion de crise elle-même, il faut saluer l'efficacité du couple maire-préfet et de l'ensemble des acteurs de la sécurité civile qui contribuent à la gestion de crise, en particulier les SDIS. Il faut mettre un terme aux « sur sollicitations » dont les sapeurs-pompiers font l'objet – je pense en particulier aux carences ambulancières privées – et davantage les intégrer dans les instances de gouvernance déterminant les politiques publiques en matière de santé, pour tenir compte de l'évolution de la nature des crises, de plus en plus souvent hybrides. Enfin, nous devons créer les conditions d'une relation plus étroite et régulière entre les associations agréées de sécurité civile et les préfectures, afin de favoriser une gestion de crise plus efficace et fluide. La simplification des démarches administratives, notamment des réquisitions, me paraît importante pour sécuriser l'action de nos associations de sécurité civile qui, trop souvent, se retrouvent à agir sans avoir reçu de réquisition officielle. De manière générale, leur rôle doit être davantage mis en avant et valorisé par les pouvoirs publics.

Nous devons enfin penser la crise dans sa globalité, en y intégrant pleinement ce qu'on appelle l'après-crise. Les associations ont toute leur place dans l'accompagnement, y compris psychologique, des victimes, ainsi que dans la reconstruction. Par ailleurs, j'ai tenu à insister sur l'utilité des fameux Retex, dont la pratique tend à se systématiser. Il me semblerait utile, afin d'en améliorer encore la pertinence, de mettre au point une méthodologie interministérielle exploitable dans le cadre des grandes crises transversales et de davantage tenir compte de la parole des citoyens, qu'ils soient victimes ou témoins. Leur expérience peut permettre d'améliorer nos procédures.

L'après-crise, c'est aussi la réparation des dommages. Le monde de l'assurance joue en la matière un rôle crucial. La réflexion entamée sur la notion de valeur du sauvé et la création d'un fonds alimenté par les assureurs et reposant sur ce principe doit être approfondie et précisée, afin de nous permettre d'avancer vers un modèle de financement de notre sécurité civile adapté aux défis de demain.

Le dernier axe du rapport concerne les défis auquel devra faire face notre modèle de sécurité civile et les moyens qu'il nous faut nous donner pour les relever.

Notre modèle est d'abord confronté à un défi climatique. Ce constat ne doit pas nous faire oublier les risques technologiques ou sanitaires, qui ne sont d'ailleurs pas sans lien avec le climat et auxquels la mission d'information a consacré plusieurs tables rondes, ni les enjeux sécuritaires. Mais, au cours de nos auditions et déplacements, un consensus s'est clairement dégagé pour considérer la multiplication des crises liées au changement climatique – et ses conséquences inédites sur la capacité d'action des acteurs de la sécurité civile – comme le plus grand défi auquel notre modèle devra durablement faire face. Nous devons notamment simplifier les procédures mises en œuvre par les collectivités locales pour réduire les risques naturels.

La sécurité civile doit également relever un défi capacitaire : il faut dès aujourd'hui assurer le recrutement et la valorisation des sapeurs-pompiers professionnels et volontaires malgré une crise des vocations et, en parallèle, garantir les investissements matériels, technologiques et innovants de l'État et des SDIS.

Le rapport préconise plusieurs mesures afin d'encourager le recrutement des sapeurs-pompiers volontaires et de les fidéliser. Il propose notamment d'engager une campagne de communication en lien avec tous les ministères concernés, afin de mieux faire connaître leurs missions, en particulier la possibilité d'un engagement différencié, et recommande l'adoption d'une directive européenne permettant la protection du statut de sapeur-pompier volontaire, qui semble pour partie menacé par la jurisprudence européenne récente.

Pour les sapeurs-pompiers professionnels, la mission recommande en particulier de mieux encadrer le double statut de sapeur-pompier professionnel et volontaire, afin d'éviter, par exemple, qu'il soit utilisé pour contourner le plafond horaire annuel s'imposant aux employeurs des sapeurs-pompiers professionnels.

La question de la féminisation des effectifs a également été abordée durant nos travaux. Le rapport propose à cet égard de procéder, dans le cadre du nouveau plan d'égalité professionnelle en préparation, aux ajustements nécessaires dans les épreuves des concours de sapeurs-pompiers, notamment en matière sportive, afin que les femmes n'y soient pas pénalisées par rapport aux hommes.

Pour faire face aux menaces protéiformes d'aujourd'hui et de demain, le ministère de l'intérieur et des outre-mer a engagé un important chantier de modernisation de ses capacités matérielles et technologiques. Une telle démarche doit également irriguer les services d'incendie et de secours ; elle renvoie à la question cruciale du financement de notre modèle de sécurité civile. Je tiens à saluer l'exonération des malus écologiques, des malus au poids et de la taxe sur les carburants dont bénéficient les SDIS depuis la loi du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie.

Le rapport formule plusieurs préconisations de nature matérielle et relatives à notre politique industrielle et stratégique. Il recommande également de poursuivre, dans le cadre du « Beauvau de la sécurité civile » récemment annoncé, les échanges relatifs au financement de notre modèle de sécurité civile : aucune piste ne doit être écartée d'emblée sur ce sujet crucial pour le devenir de notre modèle et qui a beaucoup été évoqué au cours de nos auditions.

Le dernier défi est citoyen : il s'agit de la nécessité de mieux sensibiliser les élus et d'associer davantage la population.

S'agissant tout d'abord de nos élus locaux, il me semble essentiel de renforcer leur formation, en matière tant de prévention des risques que de gestion de crise, afin de leur permettre de mieux appréhender leur rôle lorsque survient une catastrophe. Il ressort de nos déplacements sur le terrain que ce rôle est souvent appris « sur le tas ». La mission préconise en particulier de systématiser le suivi, dès l'élection, d'une formation à la gestion de crise en s'appuyant sur les relais que représentent les SDIS et l'École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp).

Le rapport appelle à simplifier la charge administrative qui repose sur les maires. Il conviendrait, en particulier, de réduire le nombre de documents opérationnels, en procédant à la fusion de certains d'entre eux et à la simplification de leur mise à jour par les préfets. Cela doit évidemment être fait sans négliger l'efficience de la sécurité civile, ni aucune règle de sécurité. Le rapport préconise d'ailleurs de renforcer l'appui des services préfectoraux aux élus pour assurer une couverture complète des communes et des intercommunalités soumises à l'obligation de rédiger des plans communaux et intercommunaux de sauvegarde.

En matière d'engagement citoyen, les réserves communales et départementales, ainsi que les associations agréées de sécurité civile, doivent être mieux valorisées. Notre assemblée a récemment eu l'occasion de débattre de deux propositions de loi allant dans ce sens : l'une visant à valoriser la réserve communale de sécurité civile, dont j'étais le rapporteur, et qui, votée à l'unanimité en commission des lois, n'a hélas pas pu être débattue en séance ; l'autre, de notre collègue Yannick Chenevard, visant à reconnaître le bénévolat de sécurité civile, votée à l'unanimité à l'Assemblée la semaine dernière et désormais entre les mains du Sénat. Le rapport appelle à ce que ces deux textes qui vont dans le bon sens soient votés rapidement par le Parlement.

Enfin, le défi citoyen implique d'associer les plus jeunes à nos efforts de prévention. La sensibilisation des enfants et des jeunes apparaît comme un levier majeur d'acculturation de l'ensemble de la cellule familiale aux risques et aux comportements adaptés en cas de crise. Le rapport comprend une série de recommandations allant dans ce sens et qui font écho à des auditions très marquantes.

Le rapport se conclut par une ultime recommandation : préparer une nouvelle loi de modernisation de la sécurité civile (Mosc), qui devrait reposer sur une large consultation de toutes les parties prenantes et résoudre, autant que le peut la loi, les difficultés que je viens de vous présenter, mais aussi permettre l'aboutissement des préconisations d'amélioration de nature législative que formule la mission.

Je ne peux clore mes travaux sans un dernier remerciement à chacune et chacun d'entre vous pour la grande cordialité et l'esprit transpartisan qui ont prévalu à chaque instant de nos travaux. Cet esprit montre l'attachement de la représentation nationale à notre modèle de sécurité civile. Pour ces mêmes raisons, je tiens à remercier chaleureusement notre présidente, Mme Lisa Belluco, qui m'a accompagné depuis le mois de septembre dernier, tout au long des auditions et déplacements, dans une ambiance toujours studieuse mais détendue.

Je me félicite que nous parvenions, comme nous nous y étions engagés, à rendre nos conclusions au printemps, et j'espère que nos constats et recommandations permettront d'éclairer les discussions qui s'ouvriront la semaine prochaine avec les acteurs de la sécurité civile dans le cadre du Beauvau de la sécurité civile.

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