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Intervention de Hadrien Ghomi

Réunion du mercredi 3 avril 2024 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHadrien Ghomi, rapporteur :

Nous sommes réunis pour examiner le projet de loi ratifiant l'ordonnance du 24 mai 2023 modifiant les dispositions du CG3P relatives à la Polynésie française.

Cette ordonnance rend l'État compétent pour définir les règles applicables à son domaine privé. Elle répare ainsi un oubli du législateur, organique comme ordinaire, et tire les conséquences des évolutions du statut de la Polynésie française intervenues en 2019.

Avant de présenter plus en détail le contenu de l'ordonnance, une brève présentation du cadre juridique me semble utile.

De manière générale, les biens qui appartiennent à l'État se répartissent entre son domaine public et son domaine privé. Les biens du domaine public sont soumis à un régime exorbitant de droit commun, qui assure leur inaliénabilité et leur imprescriptibilité. Ils doivent être affectés soit à l'usage direct du public soit à un service public, pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à son exécution. Les biens du domaine privé, quant à eux, sont définis par opposition au domaine public : il s'agit des biens dont l'État est propriétaire et qui ne relèvent pas du domaine public. Ces biens sont principalement soumis aux règles du droit privé, même si le fait qu'ils appartiennent à une personne publique les rend incessibles à vil prix et insaisissables.

En Polynésie française, le domaine privé de l'État représente près de 12,5 kilomètres carrés. Il s'agit principalement d'immeubles de bureaux ou d'habitation, mais également de quelques bâtiments techniques. Ces biens sont détenus par les ministères civils ou par le ministère des armées, ainsi que par des opérateurs, tels que Météo-France ou l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer).

En France hexagonale, et dans l'essentiel des territoires d'outre-mer sous réserve de leurs compétences, le CG3P organise les règles de la domanialité publique comme privée depuis son entrée en vigueur en 2006. Toutefois, l'extension des règles intéressant les biens du domaine privé n'a pas été possible en Polynésie française, car le statut organique de 2004 ne prévoyait pas que l'État puisse légiférer sur son domaine privé et sur celui de ses établissements publics. En effet, en tant que collectivité d'outre-mer relevant de l'article 74 de la Constitution, la Polynésie française est régie par le principe de spécialité. Le statut organique adopté en 2004 prévoit ainsi que la Polynésie française dispose d'une compétence de principe dans toutes les matières à l'exception des plus régaliennes, tandis que l'État et les communes n'exercent que des compétences d'attribution.

De plus, dans les matières qui relèvent de la compétence de l'État, les dispositions législatives et réglementaires doivent comporter une mention expresse pour être applicables, sauf dérogation. Or, jusqu'à sa modification par la loi organique du 5 juillet 2019, et bien que l'État soit propriétaire de son domaine privé, le statut de la Polynésie française ne prévoyait pas que l'État puisse légiférer sur son domaine privé et sur celui de ses établissements publics. L'État détenait une compétence d'attribution strictement limitée aux règles intéressant son domaine public.

Cette situation était doublement singulière : d'une part, elle présentait un caractère inhabituel au regard des régimes en vigueur dans les autres collectivités d'outre-mer, dans lesquelles l'État disposait généralement d'une compétence en matière de domanialité privée ; d'autre part, elle empêchait en pratique l'harmonisation avec le droit applicable dans l'Hexagone et dans les autres territoires ultramarins en matière de domanialité privée. Alors que le CG3P, entré en vigueur en 2006, avait été étendu aux territoires ultramarins en 2016, le domaine privé de l'État en Polynésie restait régi par les règles de l'ancien code du domaine de l'État.

La loi organique du 5 juillet 2019 est venue réparer cet oubli du législateur, et a ouvert la voie à une mise en cohérence juridique, en étendant les compétences de l'État aux règles intéressant son domaine privé, qui sont désormais applicables de plein droit. Quatre ans plus tard, l'ordonnance dont la ratification est proposée à notre assemblée tire les conséquences des possibilités ouvertes par la loi organique de 2019.

L'ordonnance comporte six articles.

Son apport est double. Premièrement, l'ordonnance prévoit l'application de plein droit des dispositions du CG3P, non seulement au domaine public de l'État et de ses établissements publics en Polynésie française, mais également à leur domaine privé. Elle étend ainsi en Polynésie française les nouvelles règles de la domanialité privée issue du CG3P, et met fin, par conséquent, à l'application du code du domaine de l'État. Deuxièmement, elle procède à plusieurs adaptations techniques, afin d'assurer le respect des compétences que la loi organique réserve à la Polynésie française et des spécificités de ce territoire.

Je tiens à insister sur ce point : l'ordonnance s'inscrit dans le respect absolu des compétences de la Polynésie française, telles qu'elles sont prévues par le statut. Elle n'empiète aucunement sur les compétences de la Polynésie : la majeure partie de l'ordonnance s'attache, au contraire, à identifier précisément, voire chirurgicalement, les dispositions qui ne pourront pas s'appliquer en Polynésie, ainsi que celles qui devront être adaptées.

Lors des auditions que j'ai conduites la semaine dernière, mon attention a notamment été attirée sur la question des biens publics culturels. Je souhaite remercier les représentants de l'Assemblée de Polynésie française, ainsi que nos collègues Mereana Reid Arbelot et Tematai Le Gayic pour leur participation à cette audition. Des amendements ont été déposés, et cela me donnera l'occasion, je l'espère, de vous rassurer : l'ordonnance opère sur ce point une codification à droit constant, dans le parfait respect des compétences de la Polynésie française.

Avant de conclure mon intervention, je dirai quelques mots de la méthode suivie par le Gouvernement, qui a fait le choix de recourir à une ordonnance de l'article 74-1 de la Constitution, qui lui permet d'étendre et d'adapter par ordonnances les dispositions de nature législative en vigueur dans l'Hexagone. À la différence des ordonnances de l'article 38, celles de l'article 74-1 doivent impérativement être ratifiées par le Parlement dans les dix-huit mois suivant leur publication, sous peine de devenir caduques. Cela préserve le rôle du Parlement, qui est nécessairement saisi du projet de loi de ratification. Il faut donc se féliciter de la méthode choisie, qui associe la souplesse nécessaire à la prise de mesures sur un sujet technique à la garantie d'un contrôle parlementaire effectif au moment de la ratification.

En conclusion, le projet de loi de ratification que nous nous apprêtons à examiner clarifie les règles applicables au domaine privé de l'État en Polynésie française et contribue, plus largement, à assurer l'accessibilité et l'intelligibilité du droit en Polynésie française.

Je vous propose donc de l'adopter.

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